Les conséquences de l’inscription d’un site « Natura 2000 » pour les projets déjà autorisés mais non encore exécutés

Catégorie

Environnement

Date

January 2016

Temps de lecture

5 minutes

CJUE 14 janvier 2016 Grüne Liga Sachsen eV e.a. c/ Freistaat Sachsen, Aff. C-399/14

La Cour de justice de l’Union européenne juge qu’un plan ou un projet déjà autorisé dans un site ensuite inscrit sur la liste des sites d’importance communautaire peut devoir faire l’objet d’un réexamen de ses incidences conformément à la directive « Habitats »

    1 Le cadre juridique

La directive 92/43/CEE du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, dite directive « Habitats », a prévu que soit constitué « un réseau écologique européen cohérent de zones spéciales de conservation, dénommé ‘Natura 2000’ » 1)Article 3 § 1..

Ce réseau est formé par des sites abritant des types d’habitats naturels et des habitats de certaines espèces, dont il doit assurer le maintien ou, le cas échéant, le rétablissement, dans un état de conservation favorable.

L’article 4 de la directive prévoit schématiquement que les Etats membres proposent une liste de sites à la Commission européenne, qui arrête ensuite la liste des sites sélectionnés comme « sites d’importance communautaire » (SIC), faisant apparaître les sites abritant un ou plusieurs types d’habitats naturels prioritaires ou une ou plusieurs espèces prioritaires.

Une fois qu’un site d’importance communautaire a été ainsi retenu, l’État membre concerné désigne ce site comme “zone spéciale de conservation” (ZSC) le plus rapidement possible, afin qu’y soient appliquées les mesures de conservation nécessaires au maintien ou au rétablissement, dans un état de conservation favorable, des habitats naturels et/ou des populations des espèces pour lesquels le site est désigné.

Il est par ailleurs prévu que dès qu’un site est inscrit sur la liste des SIC, il est soumis aux dispositions de l’article 6, paragraphes 2, 3 et 4 2)Article 4 § 5..

Le paragraphe 2 de l’article 6 énonce que :

    « Les États membres prennent les mesures appropriées pour éviter, dans les zones spéciales de conservation, la détérioration des habitats naturels et des habitats d’espèces ainsi que les perturbations touchant les espèces pour lesquelles les zones ont été désignées, pour autant que ces perturbations soient susceptibles d’avoir un effet significatif eu égard aux objectifs de la présente directive ».

Le paragraphe 3 prévoit une évaluation des incidences des plans ou projets non liés directement à la gestion du site mais susceptibles de l’affecter de manière significative, et l’obligation de ne les autoriser que s’ils ne porteront pas atteinte à son intégrité.

Le paragraphe 4 prévoit une hypothèse de dérogation, permettant d’autoriser un plan ou un projet dont l’évaluation d’incidences a abouti à des conclusions négatives s’il n’y a pas de solutions alternatives et qu’il est nécessaires pour des raisons impératives d’intérêt public majeur.

Par ailleurs, la Cour de justice a déjà eu l’occasion de juger, s’agissant du paragraphe 2 de l’article 6 :

    – qu’une activité n’y est conforme que s’il est garanti qu’elle n’engendre aucune perturbation susceptible d’affecter de manière significative les objectifs de la directive 3)CJUE 24 novembre 2011 Commission c/ Espagne, Aff. C-404/09, point 126. ;
    – que la simple existence d’un risque ou d’une probabilité que cette activité provoque des perturbations significatives pour une espèce violait cette disposition 4)CJUE 24 novembre 2011 Commission c/ Espagne, Aff. C-404/09, point 142.;
    – et que, même si un projet a été autorisé avant que le régime de protection prévu par la directive «Habitats» ne devienne applicable au site en cause et que, dès lors, un tel projet n’était pas soumis à la procédure d’évaluation préalable du paragraphe 3, son exécution tombait néanmoins sous le coup du paragraphe 2 5)CJUE 14 janvier 2010 Stadt Papenburg, Aff. C‑226/08, point 49 – CJUE 24 novembre 2011 Commission c/ Espagne, Aff. C-404/09, point 142..

La question – on le devine d’emblée – est alors de savoir, dans cette dernière hypothèse, si l’obligation de respecter le paragraphe 2 au moment de l’exécution du projet peut finalement conduire à devoir effectuer l’évaluation d’incidences prévue au paragraphe 3. Question qui a fini par être posée à la Cour.

    2 Le contexte du litige

En janvier 2003, les autorités régionales de la région de Dresde ont effectué une étude d’impact en vue de la construction d’un pont sur l’Elbe, enjambant les prairies sur les rives ; ces autorités ont effectué une étude d’impact, qui ne satisfaisait toutefois pas aux exigences du paragraphe 3 de l’article 6 de la directive « Habitats ».

En février 2004, le projet de pont a été autorisé ; il a été attaqué en avril 2004 par une association de défense de l’environnement.

En décembre 2004, la Commission européenne a inscrit le site vallée de l’Elbe entre Schöna et Mühlberg en tant que SIC.

En octobre 2006, les autorités régionales ont déclaré ce SIC zone spéciale de conservation des oiseaux ou de leurs habitats.

En novembre 2007, les travaux du pont ont commencé.

En octobre 2008, les autorités régionales ont procédé à une nouvelle appréciation limitée des effets induits par le projet pour vérifier, dans un premier temps, s’il était susceptible d’affecter le site concerné de manière significative au sens de l’article 6, paragraphe 3, de la directive « Habitats » et, dans un deuxième temps, si les conditions d’une dérogation au titre du paragraphe 4 du même article étaient alors remplies ; la poursuite du projet a été autorisée.

En 2013, les travaux de construction du pont ont été achevés et il a été ouvert au trafic.

Le recours introduit en 2004, qui était entre-temps arrivé devant la cour administrative fédérale, a alors conduit celle-ci à soumettre à la CJUE plusieurs questions au regard de la directive « Habitats ».

    3 Les réponses apportées par la CJUE

La première et principale question était de savoir si l’article 6, paragraphe 2, de la directive «« Habitats » doit être interprété en ce sens qu’un plan ou un projet non directement lié ou nécessaire à la gestion d’un site et qui a été autorisé, à la suite d’une étude ne répondant pas aux exigences de l’article 6, paragraphe 3 relatif à l’évaluation d’incidences, avant l’inscription du site en cause sur la liste des SIC, doit néanmoins faire l’objet, par les autorités compétentes, d’un examen a posteriori de ses incidences sur ce site préalablement à son exécution.

La Cour commence par relever que le paragraphe 2 ne prévoit pas expressément des mesures précises de protection telles qu’une obligation d’examiner ou de réexaminer les incidences d’un plan ou d’un projet sur les habitats naturels et les espèces et fixe simplement une obligation de protection générale visant à la prise de mesures de protection appropriées, ce qui implique que les États membres jouissent d’une marge d’appréciation.

Elle rappelle toutefois ensuite qu’une activité n’est conforme à cette disposition qu’en l’absence de perturbation ou de risque de perturbation susceptible d’avoir un effet significatif au regard des objectifs de la directive, un tel risque pouvant précisément résulter de l’absence d’évaluation d’incidences conforme à la directive.

Elle en déduit en conséquence, au point 46 de son arrêt, et au terme d’un long raisonnement, que :

    « Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que l’article 6, paragraphe 2, de la directive «habitats» doit être interprété en ce sens qu’un plan ou un projet non directement lié ou nécessaire à la gestion d’un site et qui a été autorisé, à la suite d’une étude ne répondant pas aux exigences de l’article 6, paragraphe 3, de cette directive, avant l’inscription du site en cause sur la liste des SIC, doit faire l’objet, par les autorités compétentes, d’un examen a posteriori de ses incidences sur ce site si cet examen constitue la seule mesure appropriée pour éviter que l’exécution dudit plan ou projet n’entraîne une détérioration ou des perturbations susceptibles d’avoir un effet significatif eu égard aux objectifs de cette directive ».

En réponse aux questions suivantes, et compte tenu par ailleurs de ce que le pont avait déjà été construit et que pouvait se poser pour la juridiction nationale la question de sa démolition, elle précise en outre et notamment que, lorsqu’une telle évaluation d’incidences est faite a posteriori pour ce motif, que les conclusions sont défavorables et que se pose la question de la mise en œuvre de la dérogation prévue à l’article 6, paragraphe 4, les exigences du contrôle effectué dans le cadre de l’examen des solutions alternatives ne peuvent pas être modifiées du fait que le plan ou le projet a déjà été exécuté.

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References   [ + ]

1. Article 3 § 1.
2. Article 4 § 5.
3. CJUE 24 novembre 2011 Commission c/ Espagne, Aff. C-404/09, point 126.
4. CJUE 24 novembre 2011 Commission c/ Espagne, Aff. C-404/09, point 142.
5. CJUE 14 janvier 2010 Stadt Papenburg, Aff. C‑226/08, point 49 – CJUE 24 novembre 2011 Commission c/ Espagne, Aff. C-404/09, point 142.

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