Conseil d’État | Avis sur un projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et ses effets

Catégorie

Environnement

Date

February 2021

Temps de lecture

11 minutes

Avis sur un projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et ses effets

Saisi le 8 janvier 2021 du projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, le Conseil d’Etat a rendu son avis le 4 février 2021 après quatre saisines rectificatives les 12 et 21 janvier ainsi que les 3 et 4 février.

Après avoir rappelé que l’étude d’impact du projet de loi  a d’abord été complétée le 20 et le 26 janvier puis a fait l’objet d’une nouvelle version le 1er février, elle-même complétée le 3 février, le Conseil d’Etat déplore ses insuffisances notables ainsi qu’une analyse des impacts « trop souvent superficielle ».

Le Conseil d’Etat regrette ensuite que le Gouvernement n’ait pu intégrer dans son projet les modifications recommandées par notamment par le Conseil économique social et environnemental et le Conseil national de l’évaluation des normes, eu égard aux dates auxquelles les avis ont été rendus. L’ajout de telles modifications aurait pourtant donné au Conseil d’Etat « les conditions de nature à examiner, de manière approfondie et pleinement informée, l’ensemble des questions soulevées ».

Le Conseil d’Etat profite également de cet avis pour rappeler au Gouvernement que si la lutte contre le dérèglement climatique doit se traduire par des mesures volontaristes, elle ne doit toutefois pas « dispenser de mettre en œuvre les bonnes pratiques de l’action publique ». Il demande donc au gouvernement d’anticiper autant que possible, d’évaluer les effets des mesures prises et attire enfin son attention sur l’importance de la prévisibilité de la norme pour modifier les comportements à long terme.

I.    En ce qui concerne le titre intitulé « Consommer »

S’agissant de l’affichage destiné à l’information du consommateur sur les caractéristiques environnementales des produits et notamment leur « impact sur le climat », le Conseil d’Etat invite le Gouvernement à apporter une précision essentielle en substituant à cette notion celle d’impact en termes d’émission de gaz à effet de serre.

Concernant la publicité pour les énergies fossiles, le Conseil d’Etat rappelle que le droit des professionnels à faire de la publicité peut faire l’objet de restrictions, voire d’interdictions, à la condition que ces mesures soient justifiées par un objectif d’intérêt général, comme la protection de l’environnement, et qu’elles soient adaptées et proportionnées à cet objectif. Or, faute de précision sur le périmètre ou les effets attendus de l’interdiction générale de « la publicité en faveur des énergies fossiles », l’étude d’impact ne lui permet pas de disposer d’éléments pour préciser le champ de l’interdiction envisagée. En conséquence, cette expression générale conduit le Conseil d’Etat à estimer que les dispositions du projet de loi pourraient être regardées comme entachées d’incompétence négative et de méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines. Il suggère donc de ne pas les retenir.

Le projet de loi comporte aussi plusieurs dispositions relatives à la publicité dite « extérieure » (publicité et enseignes visibles de toute voie ouverte à la circulation publique). Ainsi, le projet de loi fait du maire la seule autorité de police compétente en matière de publicité extérieure, alors qu’en l’état du droit, ce pouvoir de police est exercé alternativement par le préfet ou par le maire lorsqu’a été établi dans la commune un règlement local de publicité.

Le Conseil d’Etat relève qu’aucune disposition ni aucun principe ne fait obstacle à ce que le maire devienne dans tous les cas l’autorité chargée de veiller au respect des règles applicables en matière de police de la publicité extérieure. Mais, la suppression de la possibilité conférée au préfet par l’article L. 581-14-2 du code de l’environnement de se substituer au maire en cas d’inaction de ce dernier est considérée par le Conseil d’Etat comme inopportune. Il ne resterait plus au préfet que la possibilité, moins souple, de provoquer une décision, le cas échéant implicite de rejet, du maire et de la déférer à la juridiction administrative.

Le Conseil d’Etat propose enfin de préciser les finalités de l’expérimentation de l’interdiction de principe de la distribution des imprimés publicitaires dans les boites aux lettres. En effet, il relève que le dispositif « Stop Pub », permettant de manifester, sur sa boite aux lettres, son refus de recevoir des publicités existe depuis 2004 et peut déjà faire l’objet de sanctions en vertu de l’article L. 541-15-15 du code de l’environnement. Or le projet vise à expérimenter, sur certaines parties du territoire seulement, une logique inverse passant d’une distribution autorisée sauf opposition, à une distribution interdite sauf acceptation. Le Conseil d’Etat suggère donc de modifier la rédaction de cette nouvelle disposition en prévoyant premièrement, pour éviter une rupture d’égalité entre les professionnels concernés, que l’expérimentation n’aura lieu que dans les collectivités ayant déjà adopté un programme local de prévention des déchets ménagers et assimilés, et deuxièmement, que cette expérimentation conduira à la rédaction d’un rapport remis au parlement afin qu’il puisse décider, le cas échéant, de pérenniser la mesure.

II.    En ce qui concerne le titre intitulé « Produire et travailler »

Le projet de loi modifie notamment les articles L. 2112-2 et L. 2152-7 du code de la commande publique pour imposer la prise en compte de considérations environnementales dans les conditions d’exécution et les critères d’attribution du marché public.

Le Conseil d’Etat rappelle sur ce point que le projet impose simplement que l’environnement soit pris en compte lors de la rédaction des clauses du marché, sans empêcher que d’autres considérations, notamment sociales ou économiques, le soient au même titre. Il souligne également que ces nouvelles dispositions ne sauraient avoir pour effet de déroger à l’exigence du choix de l’offre économiquement la plus avantageuse ni à la condition que les critères d’attribution soient objectifs, précis et liés à l’objet du marché ou à ses conditions d’exécution. Toutefois pour le Conseil d’Etat, l’absence d’extension de ces dispositions aux concessions soulève des interrogations en termes d’opportunité et de cohérence. Il conviendrait alors, selon lui, que l’étude d’impact évoque ces questions et justifie le choix du Gouvernement.

III.    En ce qui concerne le titre intitulé « Se déplacer »

L’article L. 2213-4-1 du code général des collectivités territoriales prévoit la création de zones à faible émission mobilité (ZFE) concernées par des restrictions de circulation pour les véhicules les plus polluants. Le projet de loi rend obligatoires ces zones dans toutes les agglomérations de plus de 150 000 habitants et prévoit que dans ces ZFE l’autorité locale compétente doit adopter des mesures progressives de restriction de la circulation de certaines catégories de véhicules particulièrement polluants dès lors que sont constatés des dépassements réguliers des normes de qualité de l’air. Si les conséquences pour les propriétaires des véhicules concernés sont potentiellement lourdes, le Conseil d’Etat, n’identifie pas d’obstacle constitutionnel à cette mesure, qui est d’une part, fondée sur des éléments objectifs et rationnels tirée de l’ancienneté des véhicules et du type de leur motorisation, qui sont en rapport direct avec la finalité d’intérêt général poursuivie, et d’autre part, proportionnée aux motifs impérieux de santé publique et de protection de l’environnement.

Le projet de loi prévoit également de modifier l’article L. 6412-3 du code des transports afin de prévoir que les services réguliers de transport aérien public intérieurs sont interdits sur toute liaison également assurée sans correspondance et en moins de deux heures trente par voie ferrée, dans des conditions précisées par décret en Conseil d’Etat. Le Conseil d’Etat observe que le projet est silencieux sur les conditions dans lesquelles sera appréciée la durée de ce trajet et propose en conséquence de modifier la rédaction, afin de préciser que sont concernés les trajets assurés par les voies du réseau ferré national par plusieurs liaisons quotidiennes de moins de deux heures trente.

Pour la première fois la loi prévoirait que certaines catégories de projets ne peuvent par principe bénéficier d’une déclaration d’utilité publique, indépendamment de leur intérêt intrinsèque. En effet le projet de loi introduit dans le code de l’expropriation pour cause d’utilité publique un article L. 122-2-1 ayant pour objet d’interdire, sous la réserve de certaines exceptions, de déclarer d’utilité publique les travaux de création ou d’augmentation des capacités d’accueil d’un aérodrome, s’ils conduisent à augmenter les émissions de gaz à effet de serre par rapport à l’année 2019. Pour le Conseil d’Etat cette mesure peut trouver une justification dans le principe de prévention résultant de l’article 3 de la Charte de l’environnement mais il estime toutefois nécessaire de préciser que les travaux et ouvrages concernés, sont ceux qui ont pour effet d’entraîner une augmentation nette, après compensation, des émissions de gaz à effet de serre générées par l’activité aéroportuaire.

Pour le Conseil d’Etat, la création aux articles L. 229-55 et suivants, d’un dispositif de compensation des émissions de gaz à effet de serre des vols opérés à l’intérieur du territoire national peut trouver une assise dans le troisième article de la Charte de l’environnement selon lequel « Toute personne doit, dans les conditions définies par la loi, prévenir les atteintes qu’elle est susceptible de porter à l’environnement ou, à défaut, en limiter les conséquences » et son article 4, aux termes duquel : « Toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu’elle cause à l’environnement, dans les conditions définies par la loi ». Mais il rappelle toutefois que cette mesure, qui s’ajoute à d’autres dispositions restrictives prévues par le projet de loi, est proposée dans le contexte d’une grave crise sanitaire à cause de laquelle « les compagnies aériennes, dont le trafic s’est effondré, réduisant d’ailleurs ainsi fortement et durablement leurs émissions, seraient actuellement en faillite sans le soutien des Etats ». Le Conseil d’Etat attire donc l’attention sur l’estimation des coûts supplémentaires induits par cette mesure, le coût total direct pour le secteur étant susceptible d’excéder sensiblement 60 millions d’euros dans l’hypothèse la moins favorable.

IV.    En ce qui concerne le titre intitulé « Se loger »

Le Conseil d’Etat estime que la mesure modifiant la loi du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs, qui étend à la situation où le loyer est manifestement sous-évalué par rapport à ceux habituellement constatés dans le voisinage, le champ d’application des dispositions interdisant au propriétaire de rehausser le loyer de son bien à l’occasion d’un renouvellement ou d’un nouveau bail lorsque la consommation énergétique du logement est excessive, ne porte pas atteinte au principe d’égalité. En revanche, il considère comme inutile la modification purement rédactionnelle des articles 6 et 20-1 de la même loi.

Le Conseil d’Etat attire l’attention du Gouvernement sur les modifications apportées à la loi du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis. L’obligation de constituer et de maintenir en permanence un fonds de travaux d’un montant relativement élevé est imposée uniformément dans les copropriétés, sans tenir compte de leur situation financière. Ensuite, la limitation des travaux susceptibles d’être financés par le fonds de travaux, proposée par le projet de loi, accroît le risque que des montants élevés soient immobilisés durablement, en particulier dans les copropriétés ne nécessitant pas de travaux dans un futur proche. Une évaluation approfondie du dispositif afin de pouvoir en mesurer l’efficacité et la proportionnalité est donc recommandée par le Conseil d’Etat qui dénonce la multiplication des contraintes imposées aux propriétaires et copropriétaires sans qu’une réflexion globale ne soit menée sur l’effet de cumul de ces différentes contraintes, ni sur la nécessité d’encadrer ou de réguler les marchés des prestations ainsi créés.

Concernant la réduction de l’artificialisation des sols, le Conseil d’Etat relève que la volonté de fixer au niveau régional un objectif chiffré et de le décliner dans les différents documents d’urbanisme, entraînera notamment la modification d’un grand nombre de SRADDET alors que ces documents, de création récente, viennent à peine d’être adoptés ou sont seulement sur le point de l’être.

De plus, l’atteinte portée à la liberté d’entreprendre par le dispositif restrictif introduit par le projet de loi et complétant l’article L. 752-6 du code de commerce afin d’interdire la délivrance d’une autorisation d’exploitation commerciale pour une implantation ou une extension engendrant une artificialisation des sols, sauf dérogation, peut être admise dès lors que le but poursuivi par le législateur est de favoriser un meilleur aménagement du territoire et, en particulier, de lutter contre le déclin des centres-villes, ce qui constitue un objectif d’intérêt général. Mais dans une zone où les documents d’urbanisme autorisent ce type d’activité, le refus systématique de délivrance de l’autorisation d’exploitation au seul motif d’une artificialisation des sols, au demeurant inhérente à l’acte de construire, pourrait porter une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre et à l’égalité entre les opérateurs économiques dès lors qu’il ne concerne que les entreprises commerciales. Le Conseil d’Etat considère ainsi que l’énoncé d’une telle interdiction générale doit être accompagné de la possibilité de dérogations accordées au cas par cas.

Enfin, les objectifs assignés au gouvernement et l’autorisant à prendre par voie d’ordonnance des mesures relevant du domaine de la loi dans le but de favoriser la lutte contre l’artificialisation des sols, sont considérés par le Conseil d’Etat comme extrêmement généraux au point de recouvrir plusieurs objets du projet de loi, et ne sont pas définis avec une précision suffisante pour répondre aux exigences fixées par le Conseil constitutionnel en ce qui concerne l’application de l’article 38 de la Constitution. Il écarte, en conséquence, cette habilitation.

V.    En ce qui concerne le titre intitulé « Se nourrir »

Sans attendre les résultats de l’expérimentation prévue par la loi du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine durable et accessible à tous (dite loi « EGalim »), consistant dans les cantines scolaires à proposer un menu végétarien une fois par semaine, le projet de loi prévoit une nouvelle expérimentation, selon des paramètres différents. Elle porterait ainsi sur le choix quotidien, et non plus hebdomadaire, d’un menu végétarien, serait volontaire et non obligatoire, et ouverte aux collectivités territoriales dans tous les services de restauration collective dont elles ont la charge, au lieu des seuls gestionnaires publics ou privés des services de restauration collective scolaire. Le Conseil d’Etat remarque sur ce point l’importance des développements de l’étude d’impact tendant à faire regarder la mesure comme inopportune, non seulement sur la forme, à cause de l’interférence avec la mesure de la loi « EGalim » en cours d’expérimentation, mais aussi sur le fond, pour des considérations notamment de faisabilité pratique et invite ainsi le gouvernement à étayer les raisons pour lesquelles il estime cette mesure souhaitable. Le Conseil d’Etat note en outre qu’une telle expérimentation, dont le projet de loi n’encadre rien de plus que les modalités d’évaluation, resterait purement volontaire pour les collectivités territoriales, et serait alors dépourvue de portée normative. Elle n’aurait donc pas sa place dans la loi.

D’autres dispositions du projet visent à étendre à tous les services de restauration collective privés non encore concernés, c’est-à-dire aux restaurants d’entreprise, les obligations de la loi « EGalim » tenant à la qualité des repas servis dans certains restaurants collectifs, à la mise en place d’un plan pluriannuel de diversification des sources de protéines et à une information annuelle des usagers de ces restaurants quant à la part des produits bio et de qualité servis. Le Conseil d’Etat relève à cet égard, que le projet de loi inclut cette mesure avant même que n’ait été remis le rapport du Gouvernement au Parlement sur la faisabilité et l’ opportunité d’une telle extension, ce qui devait, aux termes de l’article 30 de la loi « EGalim », intervenir au plus tard le 31 décembre 2020. Même si l’étude d’impact contient suffisamment d’éléments permettant de regarder cette mesure d’extension comme opérant une conciliation qui n’est pas manifestement déséquilibrée entre la poursuite de l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement et l’atteinte à la liberté d’entreprendre, le Conseil d’Etat invite le Gouvernement à remettre ce rapport sans délai.

VI.    En ce qui concerne le titre intitulé « Renforcer la protection judiciaire de l’environnement »

Le Conseil d’Etat rappelle que les nouvelles infractions ou les causes d’aggravation de peines créées par le projet de loi doivent respecter le principe de légalité des délits et des peines, le principe de la nécessité et de la proportionnalité des peines et le principe d’égalité devant la loi pénale. Le Conseil d’Etat s’assure, en particulier, que le quantum de la peine prévue n’est manifestement pas disproportionné au regard de l’ensemble des éléments constitutifs de l’infraction qu’elle sanctionne.

Dans la mesure où le projet de loi procède par l’ajout d’infractions nouvelles ou de nouvelles causes d’aggravation de peines, le Conseil d’Etat vérifie que des faits qualifiés par la loi de façon identique ne font pas courir à leurs auteurs, selon le texte d’incrimination sur lequel se fondent les autorités de poursuite, des peines de nature différente.

Enfin le Conseil d’Etat, au regard de l’objectif recherché d’un renforcement de la protection judiciaire de l’environnement, veille à l’absence d’incohérence manifeste dans la définition, par le projet de loi, du champ d’application des infractions ou des causes aggravantes de peines qu’il crée.

Il considère par exemple que l’aggravation sous le terme d’écocide, des infractions prévues au II de l’article L. 173-3 du code de l’environnement lorsqu’elles sont commises en connaissance des risques encourus d’atteintes graves et durables sur la santé, la flore, la faune ou la qualité de l’air, de l’eau ou des sols, est inutile car ce sont des infractions intentionnelles réprimant le non-respect volontaire de prescriptions légales ou réglementaires destinées à garantir la protection de l’environnement. Par suite, le Conseil d’Etat rappelle qu’il n’est pas possible de prévoir l’aggravation d’une infraction à raison d’une circonstance aggravante qui est déjà l’un de ses éléments constitutifs.

En outre, le Conseil d’Etat estime que punir l’écocide de la peine de dix ans d’emprisonnement et de 4,5 millions d’euros d’amende, alors que le délit intentionnel de pollution des sols, prévu à l’article L. 230-2 nouveau du code de l’environnement, et le délit intentionnel prévu au II nouveau de l’article L. 173-3, qui tous deux sanctionnent des atteintes graves et durables à l’environnement, ne sont punis que de la peine de cinq ans d’emprisonnement et d’un million d’euros d’amende, conduirait à réprimer de manière « sensiblement différente et incohérente » des comportements intentionnels causant des atteintes graves et durables à l’environnement.

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