Application du principe d’impartialité à la modification d’un document d’urbanisme et droits acquis résultant d’une autorisation d’exploiter une ICPE

Catégorie

Environnement, Urbanisme et aménagement

Date

March 2016

Temps de lecture

4 minutes

CE 22 février 2016 société Entreprise routière du grand sud (ERGS) et autres, req. n° 367901, mentionné dans les tables du recueil Lebon.

Une entreprise du bâtiment avait obtenu un permis de construire pour la réalisation d’une centrale d’enrobage à chaud et une installation de recyclage de déblais de terrassement dans une zone d’activité d’une petite commune de Haute-Garonne.

Les autorisations d’urbanisme et d’exploitation avaient été délivrées presque concomitamment au cours du deuxième semestre 2007 et l’installation avait été construite et commencée à être exploitée dès le mois de mai 2008, un recours étant toutefois déposé à l’encontre de l’arrêté préfectoral autorisant l’exploitation.

Cependant, en mars 2009, une nouvelle majorité était élue au conseil municipal incluant des membres d’un collectif qui s’était opposé à l’implantation de la centrale.

Dès le 25 mars 2009, une délibération approuvait une modification du plan local d’urbanisme interdisant dans la zone d’activité les constructions ayant pour objet la fabrication ou la transformation de matériaux.

L’entreprise titulaire de l’autorisation d’exploitation saisissait le tribunal de Toulouse aux fins d‘obtenir l’annulation de cette délibération.

Par des jugements du 28 juillet 2009, le tribunal administratif de Toulouse se prononçait tout à la fois sur ce recours et sur la demande formulée quatre ans auparavant à l’encontre de l’autorisation préfectorale. Il rejetait la demande d’abrogation de la délibération modifiant le PLU et annulait dans le même temps l’autorisation préfectorale du 3 août 2007 en tant qu’elle contrevenait aux nouvelles dispositions règlementaires introduites en 2009.

La cour administrative d’appel de Bordeaux confirmait ces jugements par des arrêts du 19 février 2013.

Le Conseil d’Etat était donc saisi de deux problèmes de nature assez différente :

► Le premier concernait la question de la régularité de la participation au vote de la délibération modifiant le PLU de conseillers municipaux ayant milité dans un collectif s’étant opposé à l’implantation de la centrale désormais prohibée (1) ;

► Le second portait sur l’application des dispositions révisées d’un PLU à une autorisation d’installation classée pour la protection de l’environnement délivrée antérieurement (2).

1 – Les précisions sur l’application de la notion de conseilles intéressés au droit de l’urbanisme

Sur ce point, le terrain est bien balisé en jurisprudence, le juge administratif ayant fréquemment à se prononcer sur le moyen tiré d’un manquement au principe d’impartialité du fait de la participation d’élus au vote de dispositions faisant évoluer les règles d’urbanisme sur des parcelles sur lesquelles ils possèdent un intérêt personnel.

Ainsi, est intéressé au sens des dispositions de l’article L. 2131-11 du code général des collectivités territoriales, le conseiller municipal ayant un intérêt personnel distinct des intérêts de la commune ou de « la généralité des habitants de la commune » (CE 16 décembre 1994 commune d’Oullins c. association « Léo Lagrange », req. n°145370, publié au recueil Lebon).

Mais la circonstance que des élus exercent une activité professionnelle ayant un lien avec l’objet de la délibération au vote de laquelle ils ont pris part ne saurait suffire à caractériser un intérêt personnel distinct entachant d’irrégularité la décision attaquée (CE 26 octobre 2012 Département du Haut-Rhin, req. n°351801, mentionné aux tables).

En l’espèce, le Conseil d’Etat formule un rappel de principe en jugeant « que les dispositions de l’article L. 2131-11 du code général des collectivités territoriales n’interdisaient pas, par principe, à des conseillers municipaux membres d’une association d’opinion opposée à l’implantation de certaines activités sur le territoire de la commune de délibérer sur une modification du plan local d’urbanisme ayant pour objet de restreindre ces activités ; qu’en retenant qu’il ne ressortait pas des pièces du dossier que ces personnes auraient influencé le conseil municipal pour des motifs d’intérêt personnel, pour en déduire que les dispositions de l’article L. 2131-11 n’avaient pas, en l’espèce, été méconnues, la cour n’a entaché son arrêt d’aucune dénaturation ou erreur de qualification juridique ».

2 – Les effets de la modification d’un document d’urbanisme

La seconde difficulté dont était saisie le Conseil d’Etat tenait à l’application des dispositions nouvelles du PLU à une ICPE autorisée antérieurement mais qu’elles prohibaient désormais.

L’entreprise exploitant l’installation se plaignait de l’atteinte à ses droits acquis, le permis de construire la centrale ayant acquis un caractère définitif. En revanche, l’autorisation d’exploitation n’était, elle, pas définitive, puisque le recours était encore pendant lorsque le PLU a été modifié.

Si de jurisprudence constante, le juge des installations classées statue au vu des règles de fond en vigueur à la date à laquelle il se prononce (CE 22 septembre 2014 syndicat mixte pour l’enlèvement et le traitement des ordures ménagères (SIETOM) de la région de Tournan-en-Brie, req. n° 367889, mentionné aux tables), le Conseil d’Etat juge cependant en l’espèce que le principe ne saurait conduire à remettre en cause une autorisation d’exploitation délivrée au seul vu de modifications d’un document d’urbanisme :

    « qu’il résulte toutefois des dispositions précitées de l’article L. 123-5 du code de l’urbanisme que le plan local d’urbanisme est opposable aux seules autorisations d’ouverture d’installations classées accordées postérieurement à l’adoption du plan ; qu’il résulte de l’intention du législateur que lorsque, postérieurement à la délivrance d’une autorisation d’ouverture, les prescriptions du plan évoluent dans un sens défavorable au projet, elles ne sont pas opposables à l’arrêté autorisant l’exploitation de l’installation classée ; qu’il en résulte qu’en faisant application de la délibération du 25 mars 2009, qui était postérieure à l’autorisation accordée à la société ERGS et avait pour effet d’interdire l’installation en cause, la cour a entaché son arrêt d’une erreur de droit ; que, par suite et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi relatifs à cette partie de l’arrêt attaqué, les sociétés requérantes sont fondées à demander l’annulation de cet arrêt en tant qu’il a statué sur la légalité de l’arrêté du 3 août 2007 autorisant l’exploitation de l’installation litigieuse ».

La haute juridiction censure en conséquence l’arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux en tant qu’il a confirmé la décision des premiers juges d’annuler l’arrêté autorisant l’exploitation de l’installation classée.

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