Les conditions de légalité d’un bail à construction conférant au preneur un droit réel immobilier sur le domaine public de l’Etat

Catégorie

Contrats publics, Domanialité publique

Date

May 2016

Temps de lecture

8 minutes

CE 11 mai 2016 Communauté urbaine Marseille-Provence-Métropole, req. n° 390118

C’est dans le cadre de la volonté de la communauté urbaine Marseille-Provence-Métropole (CUMPM) de déléguer le service public de traitement des déchets par incinération et de construire les installations nécessaires à ce service public que la juridiction administrative a eu à connaître de plusieurs contentieux.

Avant d’examiner plus en détails la décision ici commentée, il convient de revenir sur les faits qui ont conduit le Conseil d’Etat à finalement se prononcer sur le montage contractuel mis en œuvre par la CUMPM.

    1 Le contexte de l’affaire et les différents actes

Par une délibération du 20 décembre 2003, le conseil communautaire de la CUMPM a approuvé :

    ► d’une part, le principe de recourir à la gestion déléguée pour la gestion du service public de traitement des déchets par incinération et les principales caractéristiques de la future délégation de service public ;
    ► d’autre part, l’option technique de traitement des déchets et l’emplacement des futures installations sur un terrain appartenant au Port Autonome de Marseille (PAM) et situé sur le territoire de la commune de Fos-sur-Mer.

Par une délibération du 9 juillet 2004, le conseil communautaire de la CUMPM a ensuite approuvé la signature d’une convention avec le PAM, qualifiée de « bail à construction », ayant pour objet l’édification, sur un terrain appartenant au port autonome, d’installations de traitement des déchets par incinération, avec possibilité de cession temporaire de la convention au futur délégataire de service public.

Cette convention a été signée le 21 mars 2005.

Par une délibération du 13 mai 2005, le conseil communautaire a :

    ► d’une part, approuvé le choix du délégataire du service public, le contrat de DSP et ses annexes ainsi que la cession de la convention précitée au profit de la société dédiée que le groupement d’entreprises délégataires s’engageait à créer ;
    ► d’autre part, autorisé le président de la CU à signer ledit contrat et ses annexes ;
    ► enfin, accepté la cession de la créance consentie par le délégataire à un organisme de crédit-bail.
    Par un jugement du 18 juin 2008, le tribunal administratif de Marseille a annulé la délibération 13 mai 2005, faute pour les conseillers communautaires d’avoir reçu une information suffisante avant le vote.

Par une délibération n° AGER 001 du 19 février 2009, le conseil communautaire a repris le contenu de la délibération précitée annulée pour pallier le vice de procédure.

Par une délibération du même jour n° AGER 0002, le conseil a approuvé des orientions sur l’évolution du projet.

Par un jugement du 4 juillet 2014, le tribunal administratif de Marseille a annulé les deux délibérations du 19 février 2009.

La cour administrative d’appel de Marseille a, pour sa part, annulé le jugement en ce qu’il avait annulé la délibération n° AGER 001 puis, statuant après évocation, a annulé cette décision et a rejeté le surplus des conclusions de la CUMPM dirigées contre le jugement en ce qu’il avait annulé la délibération n° AGER 002.

La communauté urbaine Marseille-Provence-Métropole a en conséquence formé devant le Conseil d’Etat un pourvoi en cassation contre cet arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille.


    2 Le contenu de la décision du Conseil d’Etat

Censurant l’arrêt d’appel pour erreur de droit, le Conseil d’Etat juge ensuite lui-même l’affaire au fond, et se prononce à cette occasion sur de multiples points, certains acquis, d’autres nouveaux.

    2.1 L’intérêt à agir de certains requérants

La délibération n° AGER 001 du 19 février 2009 était attaquée par la commune de Fos-sur-Mer, deux associations et deux personnes se prévalant de leur qualité de contribuables locaux. Seules les deux dernières sont regardées comme ayant intérêt à agir :

    ► S’agissant de la commune de Fos-sur-Mer, « qui se prévaut uniquement de ce que le terrain appartenant au port autonome de Marseille sur lequel le centre de traitement doit être édifié est situé sur son territoire », le Conseil d’Etat estime que ce n’est pas la délibération en cause qui a pour objet de choisir le terrain d’assiette 1) Précédentes délibérations qui ne font pas l’objet du présent recours., de sorte qu’il juge ses conclusions irrecevables.

    ► S’agissant de l’association de défense et de protection du littoral du golfe de Fos-sur-Mer et du collectif citoyen santé environnement de Port-Saint-Louis-du-Rhône ayant « pour but respectifs de participer à l’amélioration de la qualité de vie de leurs adhérents et d’agir contre les pollutions dues à l’incinération des déchets et aux dans le golfe de Fos-sur-Mer », il est considéré que « si le projet de centre de traitement des déchets faisant l’objet de la délégation de service public est susceptible d’avoir des répercussions importantes sur la qualité de vie et sur l’environnement dans le golfe de Fos-sur-Mer, le montage contractuel retenu, objet de la délibération attaquée, est par lui-même dépourvu de tout lien avec l’objet statutaire associations requérantes ». A ce titre, le Conseil d’Etat rejette également leur demande comme étant irrecevable. On peut penser que, dans le cas d’un recours direct contre les différents actes contractuels ainsi que cela est désormais possible 2) CE Ass. 4 avril 2014 Département de Tarn-et-Garonne, req. n° 358994 : Rec. CE p. 70, concl. Dacosta. –CE Sect. 5 février 2016 SMTC Hérault Transport c/ Société « Voyages Guirette », req. n° 383149., la solution serait la même.

    ► S’agissant des requérants individuels, ceux-ci justifient, en qualité de « contribuables locaux » 3) Conseil d’Etat 29 mars 1901 Casanova, req. n° 94580 : publié au recueil Lebon., d’un intérêt pour demander l’annulation de la délibération en cause, ceci « eu égard aux répercussions de cette délibération sur les finances de la communauté urbaine ».


    2.2 La domanialité publique du terrain d’assiette

Sur ce point, le Conseil d’Etat rappelle la solution de l’arrêt Association ATLALR du 8 avril 2016 4) CE 8 avril 2013 Association ATLALR, req. n° 363738., à savoir « qu’avant l’entrée en vigueur, le 1er juillet 2006, du code générale de la propriété des personnes publiques, l’appartenance d’un bien au domaine public était, sauf si ce bien était directement affecté à l’usage du public, subordonnée à la double condition que le bien ait été affecté au service public et spécialement aménagé en vue du service public auquel il était destiné [et] que le fait de prévoir de façon certaine de réaliser un tel aménagement impliquait que le bien concerné était soumis, dès ce moment, aux principes de la domanialité publique », c’est-à-dire qu’il appartenait également au domaine public.

Puis celle de l’arrêt Commune de Mercy-le-Bas du 19 décembre 2007 5) CE 19 décembre 2007 Commune de Mercy-le-Bas, req. n° 288017 : Rec. CE p. 841. selon laquelle « la condition d’affectation au service public est regardée comme remplie alors même que le service public en cause est géré par une collectivité publique différente de la collectivité publique qui est propriétaire ».

De leur combinaison, il déduit qu’en l’espèce, le terrain sur lequel ont été édifiées les installations de traitement des déchets a été affecté au service public de traitement des déchets par la délibération approuvant la convention de bail à construction intervenue entre la CUMPM et le PAM et par ladite convention et qu’il est entré dans le domaine public à la date de conclusion de cette dernière, soit le 21 mars 2005.

    2.3 L’étendue du droit réel conféré sur le domaine public

Les articles L. 251-1 et L. 251-3 du code de la construction et de l’habitation prévoient respectivement que « Constitue un bail à construction le bail par lequel le preneur s’engage, à titre principal, à édifier des constructions sur le terrain du bailleur et à les conserver en bon état d’entretien pendant toute la durée du bail » et que « Le bail à construction confère au preneur un droit réel immobilier ».

Par ailleurs, l’article L. 34-1 du code du domaine de l’Etat, repris aujourd’hui à l’article L. 2122-6 du code général de la propriété des personnes publiques, confère au titulaire d’une autorisation d’occupation temporaire du domaine public de l’Etat « un droit réel sur les ouvrages, constructions et installations de caractère immobilier qu’il réalise pour l’exercice d’une activité autorisée par ce titre ». Et l’article L. 34-5 du code du domaine de l’Etat, repris à l’article L. 2122-11 du code général de la propriété des personnes publiques, ajoute que ces dispositions s’appliquent « aux conventions de toute nature ayant pour effet d’autoriser l’occupation du domaine public ».

Pour annuler la délibération n° AGER 001 approuvant le contrat de délégation de service public et ses annexes ainsi que la cession du bail à construction, la cour administrative d’appel s’était fondée, eu égard à la domanialité du terrain d’assiette des installations depuis la conclusion de ce dernier le 21 mars 2005, sur ce que les dispositions du code du domaine de l’Etat, reprises dans le code général de la propriété des personnes publiques, n’autorisent pas la conclusion d’une telle convention sur le domaine public.

Autrement dit, la cour considérait que le bail à construction confère un droit réel sur le terrain donné à bail et que le code du domaine de l’Etat n’autorise, sur le domaine public, la constitution d’un droit réel que sur les ouvrages édifiés sur le terrain mais non sur le terrain lui-même.

Pour sa part, le Conseil d’Etat, consacrant au passage une interprétation retenue par deux de ses membres 6) Christine Maugüé et Gilles Bachelier, Genèse et présentation du code général de la propriété des personnes publiques, AJDA 2006, p. 1073., juge que : « contrairement à ce que relève l’arrêt attaqué, le droit réel dont bénéficie, en vertu de l’article L. 34-1 du code du domaine de l’Etat, repris à l’article L. 2122-6 du code général de la propriété des personnes publiques, le titulaire d’une autorisation d’occupation temporaire du domaine de l’Etat, ne porte pas uniquement sur les ouvrages, constructions et installations que réalise le preneur mais inclut le terrain d’assiette de ces constructions ». Il en déduit que la cour a commis une erreur de droit (raison pour laquelle il censure son arrêt et juge ensuite l’affaire au fond).


    2.4 Les conditions permettant la conclusion d’un bail à construction sur le domaine public de l’Etat

Si le bail à construction n’est donc pas exclu par principe, encore doit-il, lorsqu’il a pour effet d’autoriser l’occupation du domaine public, respecter certaines conditions. Le Conseil d’Etat juge en effet ensuite :

    « que si la constitution de droits réels sur le domaine public de l’Etat suppose en principe la délivrance d’une autorisation temporaire d’occupation du domaine public, aucune disposition ni aucun principe n’interdit que l’Etat et ses établissements publics puissent autoriser l’occupation d’une dépendance du domaine public en vertu d’une convention par laquelle l’une des parties s’engage, à titre principal, à édifier des constructions sur le terrain de l’autre partie et à les conserver en bon état d’entretien pendant toute la durée de la convention et qui, comme les autorisations d’occupation constitutives de droits réels, confère un droit réel immobilier, à condition toutefois que les clauses de la convention ainsi conclue respectent, ainsi que le prévoit l’article L. 34-5 du code du domaine de l’Etat, repris à l’article L. 2122-11 du code général de la propriété des personnes publiques cité au point 4, les dispositions applicables aux autorisations d’occupation temporaires du domaine public de l’Etat constitutives de droits réels, qui s’imposent aux conventions de toute nature ayant pour effet d’autoriser l’occupation du domaine public ».

En l’espèce, le Conseil d’Etat examine chaque caractéristique du bail à construction (qu’elles résultent de son régime légal ou des clauses du bail qui avait été conclu en 2005) pour déterminer si elles sont conformes ou non aux dispositions applicables aux autorisations d’occupation temporaires du domaine public de l’Etat constitutives de droits réels et aux conventions de toute nature ayant pour effet d’autoriser l’occupation du domaine public.

Seule la durée du bail à construction de 70 ans ne posait pas de difficultés dès lors qu’elle s’inscrivait dans la limite légale.

En revanche, concernant les éléments suivants, le Conseil d’Etat estime qu’ils sont contraires aux règles du code du domaine de l’Etat reprises aujourd’hui au CGPPP :

    ► Servitudes passives en vertu du régime légal du bail à construction alors qu’avant 2006, aucune servitude sur le domaine public ne pouvait être valablement instituée ;
    ► Notification de la cession des droits réels à l’autorité compétente, alors que l’article L. 34-2 du code des domaines de l’Etat 7) Repris à l’article L. 2122-7 CGPP. prévoyait l’agrément préalable de cette autorité ;
    ► Possibilité de grever son droit de privilèges et d’hypothèques, sans prévoir que ces hypothèques pouvaient « seulement servir à garantir les emprunts contractés en vue de financer la réalisation, la modification ou l’extension des ouvrages, constructions et installations de caractère immobilier situés sur la dépendance domaniale occupée » conformément à l’article L. 34-2 ;
    ► Possibilité de financer les ouvrages par le mécanisme du crédit-bail, alors que l’article L. 34-7 du code du domaine de l’Etat applicable à cette date interdisait la conclusion de ce type de contrat « pour la réalisation des ouvrages, constructions et installations affectés à un service public et aménagés à cet effet ou affectés directement à l’usage du public ainsi que des travaux exécutés pour une personne publique dans un but d’intérêt général ».

En considérant qu’une telle illégalité peut être invoquée à tout moment de la procédure et que les trois contrats – contrat de DSP, acte de cession de la convention du 21 mars 2005 et promesse de rétrocession – forment un tout indivisible avec les autres stipulations approuvées par la délibération attaquée, le Conseil d’Etat annule ladite délibération.

    2.5 Les possibilités de régularisation

Au passage, le Conseil d’Etat évoque toutefois la possibilité :

    ► pour la Métropole de régulariser la convention entachant la délibération d’illégalité, « en mettant en conformité les stipulations de la convention conclue le 21 mars 2005 avec les dispositions du CGPPP aujourd’hui applicables », ou
    ► pour le juge de l’exécution, s’il se trouve saisi, de « décider de la poursuite de l’exécution du contrat (…) sous réserve d’une telle régularisation ».

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References   [ + ]

1. Précédentes délibérations qui ne font pas l’objet du présent recours.
2. CE Ass. 4 avril 2014 Département de Tarn-et-Garonne, req. n° 358994 : Rec. CE p. 70, concl. Dacosta. –CE Sect. 5 février 2016 SMTC Hérault Transport c/ Société « Voyages Guirette », req. n° 383149.
3. Conseil d’Etat 29 mars 1901 Casanova, req. n° 94580 : publié au recueil Lebon.
4. CE 8 avril 2013 Association ATLALR, req. n° 363738.
5. CE 19 décembre 2007 Commune de Mercy-le-Bas, req. n° 288017 : Rec. CE p. 841.
6. Christine Maugüé et Gilles Bachelier, Genèse et présentation du code général de la propriété des personnes publiques, AJDA 2006, p. 1073.
7. Repris à l’article L. 2122-7 CGPP.

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