Le caractère (pas si) obligatoire du règlement de la consultation

Catégorie

Contrats publics

Date

July 2016

Temps de lecture

4 minutes

CAA Bordeaux 7 juillet 2016 Sociétés Artelia Ville et Transport et Artelia Eau et Environnement, req. n° 14BX02425

A l’occasion de la contestation des conditions de passation par le syndicat mixte pour le traitement des ordures ménagères de Martinique (SMITOM) d’un marché de maîtrise d’œuvre pour la conception d’une installation de stockage de déchets, la cour administrative d’appel de Bordeaux a eu l’occasion de tenter une nouvelle approche du caractère impératif des exigences du règlement de la consultation.

En l’espèce, l’acheteur, avait, via le règlement de la consultation, imposé aux candidats d’effectuer une visite du site concerné, dont ils devaient justifier à l’appui de leur offre par la production d’un récépissé de visite. La société Burgeap, attributaire du marché, n’a pas visité le site intéressé, et n’a donc pas produit ce récépissé à l’appui de son offre. Les sociétés Artelia Ville et Transport et Artelia Eau et Environnement, réunies en groupement pour répondre à l’appel d’offres, ont donc sollicité l’annulation du marché de maîtrise d’œuvre, en reprochant au pouvoir adjudicateur d’avoir retenu une offre irrégulière, c’est-à-dire une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation.

Effectivement, le principe veut que soient qualifiées d’irrégulières les offres qui ne comprennent pas l’ensemble des pièces sollicitées par l’acheteur au sein du règlement de la consultation 1) CE 21 novembre 2014 commune de Versailles c/ société JFM Conseils, req. n° 384089 : « […] 5. Considérant, en premier lieu, qu’il résulte de l’instruction que le règlement de la consultation du marché litigieux imposait aux candidats d’inclure dans leur offre un bordereau des prix unitaires et un détail quantitatif estimatif daté et signé, ainsi que l’annexe 2 de la charte graphique également datée et signée ; qu’il résulte de l’instruction que l’offre de la société JFM Conseils, ainsi qu’il a été dit ci-dessus, a été écartée au motif qu’elle ne comportait pas les originaux des pièces exigées, ni l’annexe 2 de la charte graphique signée et complétée et que le bordereau des prix unitaires était quasiment illisible […] 7. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la société JFM Conseils n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que son offre a été rejetée au motif qu’elle était incomplète et donc irrégulière ; que la lettre l’informant du rejet de son offre était, par ailleurs et en tout état de cause, suffisamment motivée […] ». Néanmoins, le juge de Bordeaux a cette fois-ci estimé que ce principe méritait une tempérance, qu’il formule comme suit :

    « 3. Le règlement de la consultation d’un marché est obligatoire dans toutes ses mentions et l’administration ne peut, dès lors, attribuer le marché à un candidat qui ne respecterait pas une des prescriptions imposées par ce règlement. Toutefois, le pouvoir adjudicateur peut s’affranchir des exigences du règlement de la consultation quand la fourniture des éléments demandés ne présente pas d’utilité pour l’appréciation de l’offre, et il appartient à la juridiction saisie d’une contestation du marché de rechercher si le défaut de production d’une pièce pouvait justifier le rejet de l’offre en prenant en compte l’utilité de cette pièce pour l’appréciation de l’offre. ».

Cette exception proposée par le juge bordelais n’est pas sans rappeler l’analyse de la conformité des offres dans le cadre de la passation d’une délégation de service public, où la jurisprudence avait autorisé que des offres incomplètes soient admises en phase de négociation à la double condition que les éléments manquants n’empêchent pas que soit appréciée la conformité de l’offre aux exigences du cahier des charges et, d’autre part, ne soient pas susceptibles d’avoir une influence sur la comparaison des offres 2) CE 15 décembre 2006 Corsica Ferries, req. n° 298618 : publié au Rec. CE . Les textes applicables aux concessions n’ont pas expressément prévu une telle exception au caractère impératif des exigences du règlement de la consultation 3) Article 25 du décret n° 2016-86 du 1er février 2016 relatif aux contrats de concession : « Les offres inappropriées ou qui ne respectent pas les conditions et caractéristiques minimales indiquées dans les documents de la consultation sont éliminées », dont on peut se demander si elle sera maintenue par le juge.

Si les exigences liées à la passation de contrats complexes peuvent justifier une telle souplesse, cette approche est cependant susceptible de placer les acheteurs comme les soumissionnaires dans des situations ambigües. Comme le relève le juge communautaire, « le fait d’admettre la recevabilité d’une offre non conforme à des conditions impératives en vue de la négociation priverait de toute utilité la fixation de conditions impératives dans l’appel d’offres et ne permettrait pas au pouvoir adjudicateur de négocier avec les soumissionnaires sur une base commune à ces derniers, constituée desdites conditions, et, partant, de traiter ceux-ci sur un pied d’égalité. » 4) CJUE 5 décembre 2013 Nordecon AS, Ramboll Eesti AS contre Rahandusministeerium, aff. C-561/12.

Ainsi, si l’on s’en tient à la logique de l’arrêt ici commenté, l’acheteur exprimerait des exigences inutiles au stade de la mise en concurrence, qu’il pourrait alors abandonner en cours de consultation. Mais comment les soumissionnaires peuvent-ils, de manière sécurisée, anticiper d’éventuels changements d’avis du pouvoir adjudicateur ? Et comment ce dernier peut-il justifier que ce qu’il a exigé au moment de la mise en concurrence ne soit effectivement plus utile au moment de l’appréciation des offres ? S’il a souhaité imposer aux candidats une visite du site, c’est bien pour s’assurer que chacun prendrait connaissance de ses caractéristiques avant de remettre une offre, ce qui présente donc un intérêt pour leur appréciation.

Précisément, en l’espèce, l’attributaire du marché justifiait en réalité déjà d’une bonne connaissance du site, pour être intervenu dans le cadre de l’exécution d’un précédent marché d’assistance à maîtrise d’ouvrage lancé par le SMITOM pour la constitution du dossier de demande de renouvellement de l’autorisation d’exploiter ledit site.

Si la rédaction du considérant de cet arrêt laisse penser à l’instauration d’une exception générale au caractère impératif du règlement de la consultation, elle nous apparait toutefois strictement dimensionnée pour les faits de l’espèce. L’avis du Conseil d’Etat sur ce point permettrait d’éviter un flou juridique néfaste à la sécurité des procédures de publicité et de mise en concurrence des contrats relevant de la commande publique.

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1. CE 21 novembre 2014 commune de Versailles c/ société JFM Conseils, req. n° 384089 : « […] 5. Considérant, en premier lieu, qu’il résulte de l’instruction que le règlement de la consultation du marché litigieux imposait aux candidats d’inclure dans leur offre un bordereau des prix unitaires et un détail quantitatif estimatif daté et signé, ainsi que l’annexe 2 de la charte graphique également datée et signée ; qu’il résulte de l’instruction que l’offre de la société JFM Conseils, ainsi qu’il a été dit ci-dessus, a été écartée au motif qu’elle ne comportait pas les originaux des pièces exigées, ni l’annexe 2 de la charte graphique signée et complétée et que le bordereau des prix unitaires était quasiment illisible […] 7. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la société JFM Conseils n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que son offre a été rejetée au motif qu’elle était incomplète et donc irrégulière ; que la lettre l’informant du rejet de son offre était, par ailleurs et en tout état de cause, suffisamment motivée […] »
2. CE 15 décembre 2006 Corsica Ferries, req. n° 298618 : publié au Rec. CE
3. Article 25 du décret n° 2016-86 du 1er février 2016 relatif aux contrats de concession : « Les offres inappropriées ou qui ne respectent pas les conditions et caractéristiques minimales indiquées dans les documents de la consultation sont éliminées »
4. CJUE 5 décembre 2013 Nordecon AS, Ramboll Eesti AS contre Rahandusministeerium, aff. C-561/12

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