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CE 3 octobre 2024 Société Salis, req. n° 491297 : mentionné aux tables du recueil Lebon
Par une décision du 3 octobre 2024, le Conseil d’Etat est venu rappeler, conformément à sa jurisprudence antérieure, que le preneur à bail d’un bien immobilier justifie d’un intérêt à agir lui donnant qualité pour contester, devant le juge de l’excès de pouvoir, la légalité d’un arrêté déclarant cessible une parcelle dont il est locataire. Cependant, il précise que s’il dispose bien d’un intérêt à agir contre une telle décision, il ne fait pas partie pour autant des personnes auxquelles cet arrêté doit être notifié. Il en résulte que, pour le locataire d’un bien frappé par un arrêté le déclarant cessible le délai de recours contentieux commencera à courir dès la date de publication régulière dudit arrêté.
En l’espèce, la société Salis est locataire commerciale d’une parcelle située sur la commune de Vitry-sur-Seine. Par un arrêté en date du 16 octobre 2020 et publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du Val-de-Marne le 23 octobre 2020, le préfet du département a déclaré cessibles, au profit d’Île-de-France Mobilités, des parcelles et droits réels nécessaires à la réalisation prochaine d’une ligne de bus dont la parcelle sur laquelle la société Salis est titulaire d’un bail commercial.
Le 5 mars 2021, la société a formé un recours gracieux auprès du préfet du Val-de-Marne à l’encontre de l’arrêté du 16 octobre 2020. En l’absence de réponse du préfet, ce recours donne lieu à une décision implicite de rejet.
Le 2 juillet 2021, la société Salis saisit le tribunal administratif de Melun d’une demande tendant à l’annulation pour excès de pouvoir de l’arrêté ensemble la décision implicite de rejet du recours gracieux. Le 21 juin 2022, le tribunal administratif rejette sa demande au motif de son caractère tardif ; la requête ayant été introduite plus de deux mois suivant la date de publication de l’arrêté de cessibilité (TA Melun 21 juin 2022, req. n° 2106311).
La société saisit alors en appel la cour administrative d’appel de Paris au motif que l’arrêté de cessibilité aurait dû lui être notifié en sa qualité de locataire doté de droits personnels sur le bien. Le 28 novembre 2023, la cour rejette sa requête tendant à l’annulation du jugement rendu par le tribunal administratif de Melun et à l’annulation de l’arrêté de cessibilité (CAA Paris 23 novembre 2023, req. n° 22PA03749).
La société Salis se pourvoit en cassation le 29 janvier 2024 et demande au Conseil d’Etat d’annuler l’arrêt de la cour administrative d’appel et, par un mémoire distinct, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique en ce qu’elles ne prévoient pas la notification de l’arrêté de cessibilité aux titulaires de droits réels d’un bien frappé par un tel acte.
Le Conseil d’Etat se prononce sur la question de savoir s’il existe ou non une obligation de notifier le preneur à bail de l’arrêté de cessibilité frappant le bien dont il est locataire.
La Haute juridiction rappelle d’abord, dans la droite ligne de sa jurisprudence antérieure 1)CE 30 novembre 1966 Luizet, req. n° 62485 : publié au Rec. ; CE 6 octobre 1999 Association tendance nationale union islamique de France, req. n° 185577 : mentionné aux tables du Rec. ; que l’éventuel locataire du bien préempté dispose d’un intérêt à agir contre la décision de préemption. La jurisprudence s’est dotée, au fil de ses arrêts, d’une interprétation très libérale d’un tel intérêt à agir contre ce type de décision. Ici, le Conseil d’Etat considère que :
« Si le preneur à bail d’un bien immobilier, titulaire de droits personnels à ce titre, justifie d’un intérêt lui donnant qualité pour contester devant le juge de l’excès de pouvoir la légalité d’un arrêté déclarant cessible une parcelle dont il est locataire (…) »
Il précise cependant que, bien que le locataire dispose d’un tel intérêt à agir, il ne fait pas partie des personnes devant être notifiées d’un tel acte.
« (…) il n’est pas, à la différence du propriétaire de la parcelle, au nombre des personnes destinataires de cet arrêté auxquelles il doit être notifié. »
Dès lors, la cour administrative d’appel de Paris n’a pas commis d’erreur de droit en retenant que l’arrêté de cessibilité n’avait pas à être notifié à la société Salis. Le Conseil d’Etat poursuit en tirant les conclusions qui s’imposent d’une telle absence de notification :
« Par suite, la publication régulière d’un tel arrêté a pour effet de faire courir le délai de recours contentieux à son encontre (du locataire). »
En introduisant un recours gracieux le 5 mars 2021, la société Salis a donc bel et bien agi trop tardivement pour contester la légalité de l’arrêté de cessibilité : son délai de recours contentieux commençait à partir de la date de la publication régulière de l’arrêté, soit le 23 octobre 2020.
Le Conseil d’Etat écarte également la question prioritaire de constitutionnalité soulevée puisque la fixation des modalités de publicité d’un acte administratif (tel qu’un arrêté de cessibilité) et des règles relatives au délai de recours d’un tel acte revêt un caractère réglementaire et non pas législatif.
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