Pas d’obligation de délivrer une autorisation d’urbanisme assortie de prescriptions

Catégorie

Urbanisme et aménagement

Date

April 2025

Temps de lecture

5 minutes

CE 11 avril 2025, avis n° 498803 : JORF du 17 avril 2025, texte n° 96

Dans le cadre d’un contentieux, et avant de rendre son jugement, le tribunal administratif de Toulon a posé au Conseil d’Etat la question suivante :

« Un pétitionnaire qui, en dehors de toutes dispositions législatives et réglementaires prévoyant la possibilité pour l’autorité compétente d’assortir son autorisation d’urbanisme de prescriptions spéciales, se voit opposer un refus de permis de construire ou une opposition à déclaration préalable, peut-il se prévaloir, devant le juge, de ce que, bien que son projet méconnaisse les dispositions législatives et réglementaires dont l’administration est chargée d’assurer le respect, cette dernière aurait pu ou dû lui délivrer cette autorisation en l’assortissant de prescriptions ? »

Dans l’avis qu’il a rendu le 11 avril 2025, le Conseil d’Etat a répondu en trois temps.

1 – Nécessité d’une conformité du projet de construction aux règles d’urbanisme

Il a d’abord rappelé les dispositions des articles L. 421-6 (énonçant notamment que « Le permis de construire […] ne peut être accordé que si les travaux projetés sont conformes aux dispositions législatives et réglementaires relatives à l’utilisation des sols, à l’implantation, la destination, la nature, l’architecture, les dimensions, l’assainissement des constructions et à l’aménagement de leurs abords »), L. 421-7 et L. 424-1 du code de l’urbanisme

Ainsi que le fait qu’il « résulte de ces dispositions qu’il revient à l’autorité administrative compétente en matière d’autorisations d’urbanisme de s’assurer de la conformité des projets qui lui sont soumis aux dispositions législatives et réglementaires mentionnées à l’article L. 421-6 et de n’autoriser, sous le contrôle du juge, que des projets conformes à ces dispositions ».

2 – Possibilité pour le pétitionnaire de faire évoluer son projet pour éviter un refus

Il a ensuite rappelé que :

« En l’absence de dispositions y faisant obstacle, il est loisible au pétitionnaire, le cas échéant après que l’autorité administrative compétente lui a fait part des absences de conformité de son projet aux dispositions mentionnées à l’article L. 421-6, d’apporter à ce projet, pendant la phase d’instruction de sa demande et avant l’intervention d’une décision expresse ou tacite, des modifications qui n’en changent pas la nature, en adressant une demande ou en complétant sa déclaration en ce sens accompagnée de pièces nouvelles qui sont intégrées au dossier afin que la décision finale porte sur le projet ainsi modifié. »

Le Conseil d’Etat avait déjà jugé qu’un pétitionnaire disposait d’une telle faculté de modification de son projet (et donc des pièces de son dossier) en cours d’instruction de sa demande de permis ou de sa déclaration préalable (CE 1er décembre 2023 Commune de Gorbio, req. n° 448905, pt 4 : Rec. CE ; BJDU 1/2024, p. 45, concl. Boutron, obs. Hoynck : précisant également l’incidence éventuelle du dépôt de nouvelles pièces sur le délai d’instruction).

Sur ce point, l’avis du 11 avril 2025 ajoute simplement que le service instructeur peut donc toujours attirer l’attention du pétitionnaire sur un motif de non-conformité de son projet et que celui-ci peut alors faire évoluer son projet afin de supprimer ce motif avant que l’autorité compétente ne vienne statuer.

3 – Absence d’obligation, pour l’autorité compétente, de rechercher s’il est possible d’autoriser le projet en l’assortissant de prescriptions spéciales

Enfin et surtout, le Conseil d’Etat décide que l’autorité compétente n’est pas tenue de corriger un projet non-conforme en assortissant sa décision de prescriptions destinées à permettre le respect, par ce projet, des règles d’urbanisme, et qu’elle peut donc directement refuser le permis sollicité ou s’opposer à la déclaration préalable déposée :

« L’autorité administrative compétente dispose également, sans jamais y être tenue, de la faculté d’accorder le permis de construire ou de ne pas s’opposer à la déclaration préalable en assortissant sa décision de prescriptions spéciales qui, entraînant des modifications sur des points précis et limités et ne nécessitant pas la présentation d’un nouveau projet, ont pour effet d’assurer la conformité des travaux projetés aux dispositions législatives et réglementaires dont l’administration est chargée d’assurer le respect.

Le pétitionnaire auquel est opposée une décision de refus de permis de construire ou d’opposition à déclaration préalable ne peut utilement se prévaloir devant le juge de l’excès de pouvoir de ce que l’autorité administrative compétente aurait dû lui délivrer l’autorisation sollicitée en l’assortissant de prescriptions spéciales. »

3.1 – Cette solution est d’autant plus notable que :

  • D’une part, elle revêt une portée générale, que le texte méconnu par le projet de construction envisage ou non la possibilité d’une délivrance de l’autorisation d’urbanisme avec prescriptions, alors que la question posée par le tribunal administratif ne portait pourtant que sur l’hypothèse où le texte méconnu était silencieux sur ce point (« en dehors de toutes dispositions législatives et réglementaires prévoyant la possibilité pour l’autorité compétente d’assortir son autorisation d’urbanisme de prescriptions spéciales ») ;
  • D’autre part, et en conséquence, elle revient sur une solution inverse dégagée quelques années plus tôt dans le cas particulier de l’application de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme en matière de sécurité publique (CE 26 juin 2019 Deville, req. n° 412429 : Rec. CE T. 1)« 2. En premier lieu, aux termes de l’article R.  11-2 du code de l’urbanisme : « Le projet peut être refusé ou n’être accepté que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales s’il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d’autres installations ». / 3. En vertu de ces dispositions, lorsqu’un projet de construction est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique, le permis de construire ne peut être refusé que si l’autorité compétente estime, sous le contrôle du juge, qu’il n’est pas légalement possible, au vu du dossier et de l’instruction de la demande de permis, d’accorder le permis en l’assortissant de prescriptions spéciales qui, sans apporter au projet de modification substantielle nécessitant la présentation d’une nouvelle demande, permettraient d’assurer la conformité de la construction aux dispositions législatives et réglementaires dont l’administration est chargée d’assurer le respect ».)

L’abandon de cette dernière jurisprudence est d’ailleurs expressément souligné par le fichage de l’avis contentieux du 11 avril 2025 aux tables du Recueil Lebon des décisions du Conseil d’Etat : « Obligation, pour l’autorité compétente, de rechercher s’il est possible d’autoriser le projet en l’assortissant de prescriptions spéciales – Absence (3). […] (3) Ab. jur., faisant obligation à l’administration de rechercher s’il est possible d’autoriser, en l’assortissant de prescriptions complémentaires, un projet de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique, CE, 26 juin 2019, , n° 412429, p. 245. »).

3.2 – L’autorité compétente peut néanmoins toujours préférer accorder l’autorisation d’urbanisme sollicitée en assortissant sa décision de prescriptions ; l’avis du 11 avril 2025 rappelant à ce sujet que, pour être légales, de telles prescriptions ne doivent entraîner que « des modifications sur des points précis et limités et ne nécessitant pas la présentation d’un nouveau projet ».

Ceci conformément à une jurisprudence constante (CE 5 mai 1972, req. n° 78627 : Rec. CE. – CE 7 novembre 1973 Giudicelli, req. n° 85237 : Rec. CE. – CE Sect. 13 mars 2015 Mme Caudio, req. n° 358677, point 2 : Rec. CE. – CE 3 juin 2020 Société Compagnie Immobilière Méditerranée, req. n° 427781, point 4 : Rec. CE T.).

Mais il ne s’agit donc bien que d’une faculté, et aucunement d’une obligation.

De fait, et ainsi que le soulignait le professeur Pierre Soler-Couteaux à l’occasion de l’arrêt Deville : « la responsabilité de déposer une demande portant sur un projet conforme à la réglementation pèse d’abord et avant tout sur le pétitionnaire » (RDI, 2019, p. 475).

 

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References   [ + ]

1. « 2. En premier lieu, aux termes de l’article R.  11-2 du code de l’urbanisme : « Le projet peut être refusé ou n’être accepté que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales s’il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d’autres installations ». / 3. En vertu de ces dispositions, lorsqu’un projet de construction est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique, le permis de construire ne peut être refusé que si l’autorité compétente estime, sous le contrôle du juge, qu’il n’est pas légalement possible, au vu du dossier et de l’instruction de la demande de permis, d’accorder le permis en l’assortissant de prescriptions spéciales qui, sans apporter au projet de modification substantielle nécessitant la présentation d’une nouvelle demande, permettraient d’assurer la conformité de la construction aux dispositions législatives et réglementaires dont l’administration est chargée d’assurer le respect ».

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