Parking souterrain & domaine public routier : le Conseil d’Etat s’auto-limite

Catégorie

Droit administratif général

Date

October 2025

Temps de lecture

4 minutes

CE 17 septembre 2025 société Parking Convention, req. n° 494428 : au Rec. CE

Par une décision n° 494428 du 17 septembre 2025 publiée au Recueil, le Conseil d’Etat est venu préciser la qualification d’un parking souterrain de la Ville de Paris, et ainsi désigner le juge compétent pour connaître de la demande d’expulsion visant son occupant et de la réparation des préjudices causés par l’occupation.

Les faits sont les suivants :

La Ville de Paris a acquis dans les années 60 un ensemble immobilier et elle a conclu un bail emphytéotique avec une société de gestion immobilière pour une durée de 70 ans. Ce contrat avait pour objet de concéder la jouissance des lieux, comprenant des bâtiments et un parking souterrain, appelés à devenir gratuitement la propriété de la Ville à l’expiration du bail.

La société de gestion immobilière a ensuite sous-loué à une autre entreprise privée le sous-sol du terrain en vue de l’aménagement du parking, en précisant notamment que, sur les 400 places au total, 98 seraient réservées aux locataires des habitations à construire (soit une par appartement) et 200 seraient affectés à l’usage du public. Ce contrat, qualifié par les cocontractantes de « sous-location à titre emphytéotique » conférait à la sous-locataire le droit d’occuper le sous-sol, d’exécuter les travaux de construction puis d’exploiter le parking pendant une durée de 50 ans à compter de la réception des travaux, moyennant le versement d’un loyer annuel.

La Ville de Paris a finalement résilié le contrat principal de manière anticipée en 2006 et elle est venue aux droits de son ex-cocontractante dans le contrat de sous-location. En 2021, elle a notifié à l’entreprise sous-locataire que ce contrat arrivait à son terme, en lui rappelant les clauses relatives au retour des constructions et aménagements sans indemnité pour le preneur. Or, la sous-locataire s’est estimée liée par un bail commercial tacite avec la Ville ; à ce titre elle a présenté une demande de reconduction et a refusé de libérer les lieux. Elle a également introduit une action devant le tribunal judiciaire de Paris tendant au paiement d’une indemnité d’éviction d’un montant d’environ 2 millions d’euros. Le juge de la mise en état a sursis à statuer compte tenu de l’instance pendante devant la juridiction administrative, introduite par la Ville visant à obtenir son expulsion.

Le tribunal administratif puis la cour administrative d’appel de Paris ont successivement enjoint à la sous-locataire de quitter les lieux, en appliquant la théorie de la domanialité publique globale.

Le raisonnement de la cour s’appuyait sur le fait que le parking appartient à la Ville (critère n° 1) ; que 200 des 498 places de stationnement sont affectées à l’usage du public et ont fait l’objet d’un aménagement spécial et, en tout état de cause indispensable 1)La cour balaie ainsi à la fois le critère de l’aménagement « spécial » en vigueur avant 2006 (CE Section 19 octobre 1956 Sté Le Béton, req. n° 20180 : au Rec. CE) et celui de l’aménagement « indispensable » issu du CG3P à l’exécution du service public du stationnement payant (critère n° 2) ; et enfin que les places étaient toutes desservies par les mêmes voies d’accès, caractérisant ainsi un ensemble unique (critère n° 3).

(a) 

Le Conseil d’Etat, saisi du pourvoi formé par la sous-locataire, revient d’abord sur le statut domanial du parking : en vertu de l’article L. 2111-14 du CG3P, le domaine public routier comprend l’ensemble des biens appartenant à une personne publique et affectés aux besoins de la circulation terrestre, à l’exception des voies ferrées.

Le Conseil d’Etat applique ainsi la jurisprudence déjà établie selon laquelle les parcs de stationnement public aménagés en surface 2)TC 17 octobre 1988 Sainte-Geneviève-des-Bois, req. n° C2544 : au Rec. CE et en sous-sol 3)TC 17 juin 2024 Ville de Paris, req. n° C4312 : au Rec. CE sont des composantes du domaine public routier.

La nature hybride du parking en l’espèce est jugée sans incidence, le rapporteur public ayant examiné dans ses conclusions la proportion de places affectées à l’usage du public :

« (…) 200 des 498 emplacements de stationnement peuvent être utilisés par tout automobiliste, sous réserve bien sûr de la disponibilité des emplacements et qu’il acquitte le forfait de stationnement. 200 places, ce n’est pas rien en valeur absolue (c’est déjà un grand parking) et cela représente une part importante (un peu plus de 40%) du nombre total de places, aucun autre usage ne représentant une proportion supérieure » 4)Conclusions publiées de de R. Victor

En somme, le rapporteur public souligne seulement une part « importante », pas nécessairement majoritaire et se satisfait en l’espèce de 40 % de la superficie concernée pour faire application de théorie de la domanialité publique globale, dès lors qu’aucun autre usage privé n’est caractérisé dans une proportion supérieure.

Le Conseil d’Etat, suivant les conclusions de son rapporteur public, juge que le parking dans son ensemble doit être regardé comme appartenant au domaine public routier de la Ville de Paris.

(b)

Il vise ensuite l’article L. 116-1 du code de la voirie routière, selon lequel la répression des infractions afférentes au domaine public routier relève de la compétence du juge judiciaire.

Il en déduit, sans renvoyer au Tribunal des conflits comme le proposait son rapporteur public en cas de doute, que le juge judiciaire est seul compétent pour statuer sur les conclusions tendant à la demande d’expulsion de l’occupant sans titre du domaine public routier et sur la demande indemnitaire de la Ville de Paris, en réparation du préjudice causé par cette occupation et compensant les revenus qu’elle aurait pu percevoir d’un occupant régulier depuis l’expiration du contrat.

Cette solution évite ainsi tout risque de contrariété entre les deux ordres de juridictions.

Par conséquent, l’arrêt est annulé pour erreur de droit, la cour administrative d’appel de Paris ayant omis de relever d’office l’incompétence de la juridiction administrative.

 

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References   [ + ]

1. La cour balaie ainsi à la fois le critère de l’aménagement « spécial » en vigueur avant 2006 (CE Section 19 octobre 1956 Sté Le Béton, req. n° 20180 : au Rec. CE) et celui de l’aménagement « indispensable » issu du CG3P
2. TC 17 octobre 1988 Sainte-Geneviève-des-Bois, req. n° C2544 : au Rec. CE
3. TC 17 juin 2024 Ville de Paris, req. n° C4312 : au Rec. CE
4. Conclusions publiées de de R. Victor

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