A défaut de rémunération versée par le pouvoir adjudicateur, un contrat ne pourrait pas être qualifié de marché public

Catégorie

Contrats publics

Date

December 2014

Temps de lecture

6 minutes

CE 14 novembre 2014 SMEAG c/ société Aventure Land, req. n° 373156

Le syndicat mixte d’étude, d’aménagement et de gestion de la base de plein air et de loisirs de Cergy-Neuville (SMEAG) a lancé courant 2006 la procédure de passation d’un contrat pour l’aménagement et l’exploitation de deux parcours d’aventure forestiers.

Le SMEAG a délibéré pour lancer une procédure de mise en concurrence dite adaptée en vue de la conclusion d’un marché public, sur le fondement de l’article 28 CMP, tout en faisant intervenir sa commission d’appel d’offres, laquelle a désigné l’attributaire du contrat. Néanmoins, à l’issue de cette procédure, le SMEAG a conclu non pas un marché public mais une convention d’occupation du domaine public.

Cette convention a été conclue avec la société Xtrem Aventures, en 2006 : la société Aventure Land, candidate évincée de l’attribution de ce contrat, a donc contesté devant le juge administratif les actes détachables de ce contrat, selon l’ancien mécanisme contentieux alors applicable en la matière, soit la décision de la CAO d’attribuer le contrat à sa concurrente, ainsi que la délibération par laquelle la signature du contrat a été autorisée. Les premiers juges ont annulé ces actes et enjoint au pouvoir adjudicateur de procéder à la résolution amiable du contrat conclu avec la société Xtrem Aventures.

Saisi d’un pourvoi, le Conseil d’Etat casse l’arrêt de la cour, et ce pour deux motifs.

La première erreur de droit que la haute juridiction relève a trait à la qualification du contrat retenue par la cour d’appel : en considérant que le SMEAG aurait commis un détournement de procédure en engageant la procédure de passation d’un marché public pour conclure in fine une convention d’occupation du domaine public 1) Cette approche de la cour d’appel est surprenante, puisque le Conseil d’Etat a déjà jugé qu’en cas de doute sur la qualification finale du contrat, la procédure de passation la plus rigoureuse doit être retenue (CE 10 juin 2009 Port autonome de Marseille, req. n° 317671 : mentionné aux tables du Rec. CE) : engager la procédure de passation d’un marché public pour aboutir à la conclusion d’une convention d’occupation domaniale ne pose donc pas de difficulté, d’autant plus qu’un contrat d’occupation du domaine public n’a besoin de respecter aucune procédure de publicité et de mise en concurrence en principe (CE Sect. 3 décembre 2010 Ville de Paris et Association Paris Jean Bouin c/ société Paris Tennis, req. n° 338272, publié au Recueil : BJCP 2011, p. 36, concl. Escaut)., la cour a inexactement qualifié le contrat de marché public. Le Conseil d’Etat exclut en effet tout caractère onéreux au motif que « le contrat ne prévoyait pas le paiement d’un prix par le syndicat et imposait, au contraire, au cocontractant le paiement d’une redevance dont le montant était un des critères de sélection des offres des candidats ».

La circonstance que cette société soit autorisée à percevoir des tarifs auprès des usagers pour l’accès aux parcours d’aventure forestière n’est même pas relevée par l’arrêt.

Certes, « la seule circonstance que l’occupant exerce une activité économique sur le domaine ne peut caractériser l’existence d’un abandon de recettes de la part de la personne publique » 2) CE 15 mai 2013 Ville de Paris c/ CBS Outdoor, req. n° 364593 : « […] la convention ne prévoit ni la renonciation de la personne publique à percevoir des redevances ni la perception de redevances inférieures à celles normalement attendues du concessionnaire autorisé à occuper le domaine public aux fins d’y installer des supports publicitaires ; que la seule circonstance que l’occupant exerce une activité économique sur le domaine ne peut caractériser l’existence d’un abandon de recettes de la part de la personne publique ;; que, par suite, cette convention ne peut être regardée comme comportant un prix payé par la personne publique à son cocontractant […] »., et donc correspondre à une contrepartie onéreuse telle que celle identifiée à propos des contrats de mobiliers urbains 3) CE Ass. 4 novembre 2005 Société J-C Decaux, req. n° 247298 et 247299 : Rec. CE p. 476, concl. Casas ; AJDA 2006, p. 120, comm. Ménéménis : « […] en contrepartie des prestations ainsi assurées par la SOCIETE JEAN-CLAUDE DECAUX, la commune l’a autorisée à exploiter, à titre exclusif, une partie du mobilier urbain à des fins publicitaires et l’a exonérée de redevance pour occupation du domaine public ; que la cour a pu juger, sans commettre d’erreur de droit, que l’autorisation et l’exonération ainsi accordées constituaient des avantages consentis à titre onéreux par la commune en contrepartie des prestations fournies par la société alors même que ces avantages ne se traduisent par aucune dépense effective pour la collectivité […] ». En effet, lorsque seule une occupation du domaine est identifiée, sans réponse à un besoin précisé par la personne publique, la rémunération que le cocontractant tire de l’exploitation de sa propre activité économique ne peut pas s’assimiler à la rémunération d’un service qu’il rendrait à la collectivité.

Il semble cependant en l’espèce que l’organisation et l’exploitation des parcours forestiers sur la base de loisirs de Cergy-Pontoise ait été décidée par le SMEAG, qui a sollicité expressément des candidats la proposition de cette prestation de services.

Mais plusieurs décisions récentes obligent à constater que le juge administratif s’attache à identifier un prix versé par la personne publique pour reconnaître un marché public, à l’exclusion des autres modalités ou formes de rémunération.

On se souvient par exemple qu’en 2009, à propos d’un contrat confiant un service de restauration scolaire à une entreprise qui tirait sa rémunération des prix des repas payés par les usagers du service, la Haute Juridiction avait retenu qu’« en l’absence de réel risque d’exploitation […] le contrat était en conséquence constitutif d’un marché public […] nonobstant le versement de redevances par les usagers du service » 4) CE 5 juin 2009 société Avenance Enseignement, req. n° 298641 : mentionné aux tables du Rec. CE.. Or, par un récent arrêt, inédit au Recueil Lebon, le Conseil d’Etat a considéré que la rémunération du cocontractant chargé de fournir aux patients d’un hôpital des abonnements de télévision, de téléphone et d’accès à internet, constituée par la perception du montant des abonnements auprès des patients, interdit de considérer que le contrat puisse être qualifié de marché public parce que « la personne publique ne versait aucune rémunération à son cocontractant et percevait, en contrepartie de l’occupation de son domaine, une redevance dont le montant résultait de la mise en concurrence » 5) CE 7 mars 2014 Centre hospitalier universitaire – Hôpitaux de Rouen, req. n° 372897 : pour ce seul motif, la qualification de marché public est écartée.

Néanmoins, ce contrat est qualifié ensuite de délégation de service public : l’arrêt commenté au sujet des parcours forestiers du SMEAG n’évoque même pas cette qualification.

On doit aussi noter que par une décision également récente, le Tribunal des conflits a considéré qu’un contrat confiant un service d’édition d’un guide touristique, rémunéré par le droit accordé au prestataire de commercialiser à son profit les espaces publicitaires de ce guide, ne constituerait pas un marché public « eu égard à son objet et à son équilibre financier » 6) TC 7 avril 2014 Société ” Services d’édition et de ventes publicitaires ” (SEVP) c/ Office du tourisme de Rambouillet et société Axiom-Graphic, n° C3949 : publié au Rec. CE., contrairement à ce que le Conseil d’Etat a pu juger au sujet de contrats d’édition de bulletins municipaux rémunérés par l’autorisation donnée à l’éditeur de commercialiser les emplacements publicitaires des bulletins 7) CE, sect., 6 novembre 2009 Société Prest’action, req. n° 297877 : Rec. CE p. 445 ; BJCP 2010/68, p. 28, concl. Boulouis.. Il semble cependant que le tribunal des conflits ait identifié un risque de commercialisation des emplacements publicitaires, faisant obstacle à ce que la qualification de marché public soit admise, sans que la décision ne le précise expressément.

Le critère du caractère onéreux d’un marché public et le critère du risque d’exploitation assumé ou non par l’opérateur pour le distinguer de la délégation de service public ou de la concession de services semblent ainsi subir une réorganisation silencieuse dont les tenants et aboutissants restent mal définis.

Le juge de cassation ne s’arrête pas à cette erreur de qualification du contrat, et considère que la cour a commis une deuxième erreur de droit en se fondant sur les comportements adoptés par la société attributaire du contrat pour en déduire un manquement par le SMEAG à une obligation d’égalité de traitement, sans justifier en quoi ces comportements résulteraient d’une rupture fautive d’égalité de traitement.

Réglant l’affaire au fond, et sans qualifier expressément le contrat, le Conseil d’Etat considère que le moyen tiré d’une rupture d’égalité de traitement est à tout le moins opérant – sans doute parce que la personne publique s’était obligée à respecter une procédure de publicité et de mise en concurrence imposant un traitement égal des candidats : il examine ainsi un à un les griefs formulés par la requérante, qui reprochait au SMEAG d’avoir diffusé des informations privilégiées à la société désignée attributaire.

La requérante tenait pour preuve d’une telle divulgation trois éléments : la société attributaire avait modifié son objet social pour y intégrer la création de parcs de loisirs ; elle avait fait mention des parcours forestiers objets du contrat dans une plaquette commerciale diffusée avant l’attribution du contrat, et indiquant les périodes d’ouverture de cette activité ; et enfin, elle avait lancé une offre d’emploi pour l’exploitation de ces parcours avant même l’attribution du contrat.

Pour le Conseil d’Etat, la modification des statuts relève de la gestion normale d’une entreprise qui envisage de se porter candidate à l’attribution d’un contrat portant sur une nouvelle activité, tout comme la publication d’une offre d’emploi, qui révèle seulement une anticipation de l’entreprise, qui devait être rapidement opérationnelle en cas d’attribution du contrat. Enfin, la société aurait seulement mentionné les périodes d’ouverture des autres activités déjà exploitées sur la base de loisirs de Cergy au sein de son dépliant. En conséquence, la requérante n’apporte pas la preuve que ces comportements résulteraient d’informations privilégiées transmises par le SMEAG.

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1. Cette approche de la cour d’appel est surprenante, puisque le Conseil d’Etat a déjà jugé qu’en cas de doute sur la qualification finale du contrat, la procédure de passation la plus rigoureuse doit être retenue (CE 10 juin 2009 Port autonome de Marseille, req. n° 317671 : mentionné aux tables du Rec. CE) : engager la procédure de passation d’un marché public pour aboutir à la conclusion d’une convention d’occupation domaniale ne pose donc pas de difficulté, d’autant plus qu’un contrat d’occupation du domaine public n’a besoin de respecter aucune procédure de publicité et de mise en concurrence en principe (CE Sect. 3 décembre 2010 Ville de Paris et Association Paris Jean Bouin c/ société Paris Tennis, req. n° 338272, publié au Recueil : BJCP 2011, p. 36, concl. Escaut).
2. CE 15 mai 2013 Ville de Paris c/ CBS Outdoor, req. n° 364593 : « […] la convention ne prévoit ni la renonciation de la personne publique à percevoir des redevances ni la perception de redevances inférieures à celles normalement attendues du concessionnaire autorisé à occuper le domaine public aux fins d’y installer des supports publicitaires ; que la seule circonstance que l’occupant exerce une activité économique sur le domaine ne peut caractériser l’existence d’un abandon de recettes de la part de la personne publique ;; que, par suite, cette convention ne peut être regardée comme comportant un prix payé par la personne publique à son cocontractant […] ».
3. CE Ass. 4 novembre 2005 Société J-C Decaux, req. n° 247298 et 247299 : Rec. CE p. 476, concl. Casas ; AJDA 2006, p. 120, comm. Ménéménis : « […] en contrepartie des prestations ainsi assurées par la SOCIETE JEAN-CLAUDE DECAUX, la commune l’a autorisée à exploiter, à titre exclusif, une partie du mobilier urbain à des fins publicitaires et l’a exonérée de redevance pour occupation du domaine public ; que la cour a pu juger, sans commettre d’erreur de droit, que l’autorisation et l’exonération ainsi accordées constituaient des avantages consentis à titre onéreux par la commune en contrepartie des prestations fournies par la société alors même que ces avantages ne se traduisent par aucune dépense effective pour la collectivité […] »
4. CE 5 juin 2009 société Avenance Enseignement, req. n° 298641 : mentionné aux tables du Rec. CE.
5. CE 7 mars 2014 Centre hospitalier universitaire – Hôpitaux de Rouen, req. n° 372897
6. TC 7 avril 2014 Société ” Services d’édition et de ventes publicitaires ” (SEVP) c/ Office du tourisme de Rambouillet et société Axiom-Graphic, n° C3949 : publié au Rec. CE.
7. CE, sect., 6 novembre 2009 Société Prest’action, req. n° 297877 : Rec. CE p. 445 ; BJCP 2010/68, p. 28, concl. Boulouis.

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