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CE 17 mai 2024 SMA Energie req. n° 466568 : publié au recueil Lebon
A l’occasion d’une décision rendue le 17 mai 2024, le Conseil d’Etat a apporté des précisions sur la question de l’annulation des clauses divisibles d’un contrat et sur la prescription de l’action en restitution fondée sur l’illégalité d’une clause d’un contrat.
En l’espèce, le 23 avril 2010, la société SMA Energie a conclu avec la société EDF un contrat d’achat d’électricité produite à partir du biogaz généré par l’installation de stockage de déchets non dangereux qu’elle exploite sur le site de La Vautubière à La Fare-les-Oliviers .
Le tribunal administratif de Marseille a, par un jugement du 11 juillet 2019, rejeté la demande de la société EDF tendant à annuler ce contrat. Par un arrêt du 8 juin 2022, la cour administrative d’appel de Marseille a annulé ce jugement et a fait droit à la demande de la société EDF. Enfin, par une décision du 5 avril 2023, le Conseil d’état a prononcé l’admission des conclusions du pourvoi de la société SMA dirigées contre l’arrêt du 8 juin 2022.
La question traitée par le Conseil d’Etat portait alors sur le fait de savoir si les clauses portant sur une dérogation aux tarifs d’achat d’électricité étaient licites et de connaître de ce fait, le point de départ du délai de prescription de l’action en restitution.
Saisi par la société SMA, le Conseil d’Etat va dans un premier temps examiner la licéité des clauses portant sur les tarifs d’achat de l’électricité dans le contrat.
Sur le fondement de l’article 10 de la loi du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité, les articles 5 et 8 du décret du 10 mai 2001 relatif aux conditions d’achat de l’électricité produite par les producteurs bénéficiant de l’obligation d’achat ainsi que sur l’article 1er et l’annexe de l’arrêté du 10 juillet 2006 fixant les conditions d’achat de l’électricité produite par les installations qui valorisent le biogaz, le Conseil d’Etat juge que « les parties à un contrat d’achat d’électricité ne peuvent contractuellement déroger aux tarifs d’achats fixés par ces arrêtés ». Cette solution correspond à celle de l’arrêt du 22 janvier 2020 1)CE 22 janvier 2020 Société EDF, req. n°418737 portant également sur les contrats d’achat d’électricité.
De plus, le Conseil d’Etat juge que la cour administrative d’appel de Marseille n’a pas commis d’erreur de droit en estimant que « les installations de stockage de déchets non dangereux, comme celle en litige, ne peuvent bénéficier de la prime à la méthanisation prévue par les dispositions tarifaires » de l’annexe de l’arrêté du 10 juillet 2006.
Puis, il complète ses propos en mentionnant que « les parties à un contrat administratif peuvent saisir le juge d’un recours de plein contentieux contestant la validité du contrat qui les lie. Il appartient alors au juge, lorsqu’il constate l’existence d’irrégularités, d’en apprécier l’importance et les conséquences, après avoir vérifié que les irrégularités dont se prévalent les parties sont de celles qu’elles peuvent, eu égard à l’exigence de loyauté des relations contractuelles, invoquer devant lui. Il lui revient, après avoir pris en considération la nature de l’illégalité commise et en tenant compte de l’objectif de stabilité des relations contractuelles, soit de décider que la poursuite de l’exécution du contrat est possible, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation prises par la personne publique ou convenues entre les parties, soit de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général, la résiliation du contrat ou, en raison seulement d’une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d’office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d’une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, son annulation. D’autre part, lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l’exécution du contrat qui les lie, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l’exigence de loyauté des relations contractuelles de faire application du contrat. Toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d’office par lui tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d’une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel ». Par ce considérant, il reprend alors sa jurisprudence « Béziers I » du 28 décembre 2009 sur l’office du juge en cas de contestation d’un contrat public par les parties 2)CE 28 décembre 2009 Commune de Béziers, req. n°304802.
Il estime ainsi que « dans le cas où l’irrégularité constatée n’affecte que des clauses divisibles du contrat, le juge saisi d’un recours contestant la validité du contrat, peut prononcer, s’il y a lieu, la résiliation ou l’annulation de ces seules clauses. De même, le juge, saisi d’un litige relatif à l’exécution du contrat, peut, le cas échéant, régler le litige sur le terrain contractuel en écartant l’application de ces seules clauses. ». Il se réfère ici à sa décision Communauté de communes de Queyras 3)CE 4 mai 2011 Communauté de communes du Queyras, req. n°340089 qui admettait d’écarter les clauses divisibles illicites d’un contrat pour régler le litige dans un cadre contractuel. Toutefois, le Conseil d’Etat vient compléter sa jurisprudence en estimant que ces clauses peuvent être résiliées ou annulées.
De ce fait, le Conseil d’Etat a estimé que la cour administrative d’appel de Marseille n’avait pas commis d’erreur de droit ni insuffisamment motivé son arrêt en jugeant que la clause contestée était divisible des autres stipulations du contrat donnant lieu à son annulation.
Dans un deuxième temps, le Conseil d’Etat se penche sur le point de départ du délai de prescription concernant l’action en restitution
Sur le fondement de l’article 2224 du code civil, le Conseil d’Etat a estimé que l’action en restitution intentée par la société EDF n’était pas prescrite du fait qu’elle n’avait pas connaissance de sa créance avant l’annulation de la clause par le juge. Le Conseil d’Etat confirme alors l’arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Marseille en estimant qu’« en jugeant que l’action en restitution intentée par la société EDF n’était pas prescrite, au motif que celle-ci devait être regardée comme ignorant légitimement l’existence de sa créance jusqu’au jour où le juge du contrat prononce, dans l’exercice de son office rappelé aux points 6 et 7, l’annulation de la clause litigieuse, la cour n’a pas commis d’erreur de droit ».
Pour rappel, l’article 2224 du code civil dispose que « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».
Or, le Conseil d’Etat dans une décision de 2019 avait estimé que l’action en contestation du contrat était ouverte aux parties « pendant toute la durée de l’exécution du contrat et qu’aucune règle de prescription n’est opposable à l’action en contestation de validité de la convention » 4)CE Section 01 juillet 2019 Association pour le musée des îles de Saint-Pierre-et-Miquelon, req. n°412243. De ce fait la prescription quinquennale du code civil ne s’appliquait pas en droit des contrats publics.
En conséquence, par cet arrêt, le Conseil d’Etat vient placer le point de départ du délai de prescription au jour où la partie a connaissance de sa créance tirée de l’irrégularité du contrat ou de l’une de ses clauses, c’est-à-dire le jour où le juge prononce l’annulation du contrat ou de cette clause, si elle est indivisible 5)L. ERSTEIN, « Prescription de l’action en restitution d’une partie au contrat », La Semaine Juridique Administration et Collectivité territoriales n° 21, 27 mai 2024.
Toutefois cet arrêt peut sembler s’inscrire dans la continuité de sa jurisprudence initiale en matière de point de départ du délai de la prescription extinctive. En effet, dans un arrêt Commune de Toulon 6)CE 9 décembre 2016 Commune de Toulon, req. n°389910, le Conseil d’Etat avait estimé que le point de départ du délai de la prescription extinctive correspondait au jour où intervient une décision de justice. Or en l’espèce, le Conseil d’Etat se réfère ici au moment où le juge prononcera l’annulation de la clause litigieuse. Cette situation fait donc nécessairement intervenir une décision de justice.
Cet arrêt permet également de combler les incertitudes depuis la loi n°2008-561 du 17 juin 2008. En effet, cette loi est venue abroger l’article 2227 du code civil qui mentionnait que « l’Etat, les établissements publics et les communes sont aussi soumis aux mêmes prescriptions que les particuliers, et peuvent les opposer ». Par conséquent, une incertitude était apparue en matière de délais de prescription et de point de départ des délais de prescription à prendre en compte lorsqu’une action était entreprise contre les contrats entre une société et une personne publique.
Ainsi par cet arrêt, le Conseil d’Etat semble clarifier le point de départ du délai de prescription en estimant qu’il correspond au moment où le juge se prononce sur la licéité de la clause ou du contrat.
References