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CE 19 septembre 2025 Société Montfort force unie, req. n° 470356 : mentionné aux Tables du Rec. CE
Le Conseil d’État vient de confirmer le refus opposé par la CNAC à un projet d’extension d’un hypermarché par regroupement de magasins voisins pour une surface de vente de 4 371 m², sans construction nouvelle ni modification extérieure du bâtiment.
A cette occasion, il a rappelé deux principes applicables en matière d’aménagement commercial et en a consacré un nouveau.
En premier lieu, le Conseil d’Etat a rappelé que, lorsqu’elle est saisie en application de l’article L. 752-21 du code de commerce dans le cadre de ce qu’on appelle « la revoyure » – c’est-à-dire après un premier rejet au fond à condition pour le pétitionnaire de prendre en compte les motifs de refus qui lui ont été opposés – elle a la possibilité de refuser à nouveau le projet mais en opposant cette fois de nouveaux motifs de refus qui n’avaient pas été évoqués lors de la première demande.
Il ne s’agit pas d’une nouveauté, le Conseil d’Etat ayant posé ce principe dans l’arrêt Société Entrepôt Nîmes en 2022 1)CE 7 octobre 2022, req. n° 450615 : Rec. T. CE..
Cette possible économie de moyen de la CNAC ne facilite évidemment pas le travail des porteurs de projet qui n’ont pas la possibilité, lors d’un premier refus, de connaître l’ensemble des griefs faits à leur projet pour l’adapter au mieux dans le cadre d’une nouvelle demande.
Et, cela ne devrait pas changer dans la mesure où, si l’obligation faite à la CNAC d’indiquer l’intégralité des motifs justifiant une décision de refus ou un avis défavorable avait été intégrée dans le projet de loi de simplification de la vie économique 2)Ajout du Sénat issu d’un amendement de la commission spéciale (n° 614)., cela a été supprimé dans la dernière version du texte adoptée par l’Assemblée Nationale le 17 juin 2025 3)https://www.senat.fr/leg/pjl24-758.html..
En deuxième lieu, le Conseil d’Etat a rappelé que le document d’orientation et d’objectifs et le document d’aménagement artisanal et commercial du SCoT s’imposent dans un rapport de comptabilité et non de conformité quand bien même ces documents peuvent contenir des normes quantitatives.
Là encore, il s’agit d’un principe appliqué de longue date depuis l’arrêt Davalex 4)CE 12 décembre 2012, req. n° 353496 : mentionné aux Tables du Rec. CE. notamment. Dans cette affaire, il avait été jugé qu’alors que le document de planification applicable interdisait toute nouvelle implantation de supermarché de plus de 1 000 m², un projet de création d’un supermarché de 2 000 m² n’était finalement pas « incompatible » avec cette prescription.
Dans l’affaire commentée, le SCoT fixait un seuil de 2 500 m² au-delà duquel étaient interdits les hypermarchés à dominante alimentaire. Le Conseil d’Etat a jugé qu’en refusant le projet de regroupement de surfaces de vente pour créer un hypermarché de 4 371 m², la CNAC qui n’avait pas conclu en se croyant tenue par ce seuil d’interdiction mais qui avait régulièrement procédé à un contrôle de compatibilité du projet, avait pu, sans commettre d’erreur de droit, refuser ce projet comme étant incompatible avec le SCoT.
On voit là l’application du rapport de compatibilité au SCOT et son contrôle par le juge. C’est un rapport qui implique qu’une autorisation ne soit pas par elle-même contraire aux orientations émises dans le document supérieur. Ainsi, une autorisation qui est prise sans être strictement conforme au seuil fixé dans le SCOT peut être considérée comme n’étant pas directement contraire à cette orientation à elle seule. De la même façon, le refus fondé sur le dépassement du seuil fixé dans le SCOT ne peut d’une aucune manière être considéré comme contraire aux règles fixées par le SCOT. Cela illustre le fait que le rapport de compatibilité laisse une latitude à l’autorité administrative.
Reste à savoir quelle sera son interprétation dans le cadre d’un SCoT post loi ELAN 5)L’article 169 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique ayant renforcé le pouvoir prescriptif du document d’aménagement artisanal et commercial. dans la mesure où la loi prévoit désormais expressément que le document d’aménagement artisanal et commercial puisse fixer la surface de vente maximale des équipements commerciaux 6)L. 141-17 CU après la loi ELAN et article L. 141-6 CU depuis la loi Climat du 22 août 2021..
En dernier lieu, et c’est cette fois une nouveauté, le Conseil d’Etat précise l’application des dispositions de l’article L. 752-6 2° du code de commerce qui impose aux commissions d’aménagement commercial de tenir compte des critères de qualité environnementale et d’insertion paysagère et architecturale dans le cadre de projets d’extension de commerces existants et plus précisément de magasins de commerce de détail ayant déjà atteint le seuil de 1 000 m² ou devant le dépasser par la réalisation du projet 7)L. 752-1 2° C.Com..
Le Conseil d’État adopte une approche large du « magasin existant » puisqu’il affirme que cela inclut non seulement les immeubles bâtis du magasin mais également les installations et équipements nécessaires à son exploitation, y compris les espaces de stationnement et les voies de circulation. Et il précise que le respect de ces critères s’applique même lorsque l’extension de la surface de vente ne requiert aucune modification extérieure des bâtiments, ou lorsque le projet vise, même sans créer des surfaces supplémentaires, à regrouper des surfaces de vente en dépassant les seuils mentionnés au I de l’article L. 752-2 du code de commerce.
Au cas d’espèce, le Conseil d’Etat a validé le refus opposé par la CNAC au motif que l’installation d’ombrières photovoltaïques et la plantation d’une vingtaine arbres n’apportaient pas une amélioration suffisante à l’insertion paysagère et architecturale et que les efforts de perméabilisation des sols consentis par la société pétitionnaire ne portaient que sur moins de 15% des places de stationnement.
Sauf à considérer que, désormais, les pétitionnaires ne pourront plus déposer de projet de recommercialisation n’impliquant aucuns travaux extérieurs mais devront en prévoir pour démontrer une amélioration de la qualité environnementale du site, ce qui semble disproportionné, il faut sans doute considérer que l’appréciation stricte du juge s’explique encore une fois parce qu’il était question de juger ici un refus.
En toute hypothèse, la CNAC ne pourra pas être aussi exigeante lorsque la demande sera déposée par un exploitant n’ayant pas la maîtrise de tels travaux.
La tendance jurisprudentielle est claire : le Conseil d’Etat ne censure pas la CNAC qui a durci la politique de maîtrise de l’urbanisme commercial.
References
| 1. | ↑ | CE 7 octobre 2022, req. n° 450615 : Rec. T. CE. |
| 2. | ↑ | Ajout du Sénat issu d’un amendement de la commission spéciale (n° 614). |
| 3. | ↑ | https://www.senat.fr/leg/pjl24-758.html. |
| 4. | ↑ | CE 12 décembre 2012, req. n° 353496 : mentionné aux Tables du Rec. CE. |
| 5. | ↑ | L’article 169 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique ayant renforcé le pouvoir prescriptif du document d’aménagement artisanal et commercial. |
| 6. | ↑ | L. 141-17 CU après la loi ELAN et article L. 141-6 CU depuis la loi Climat du 22 août 2021. |
| 7. | ↑ | L. 752-1 2° C.Com. |