Annulation d’un sursis à statuer (ou d’un refus d’autorisation d’urbanisme) et cristallisation des règles d’urbanisme

Catégorie

Urbanisme et aménagement

Date

November 2023

Temps de lecture

7 minutes

CE 13 novembre 2023 Commune de Saint-Didier-au-Mont-d’Or, req. n° 466407 : publié au Recueil Lebon

Par cette décision le Conseil d’Etat vient préciser les conditions dans lesquelles un pétitionnaire bénéficie de la cristallisation des règles d’urbanisme dans l’hypothèse où il a confirmé sa demande avant que la décision juridictionnelle ayant annulé le sursis à statuer qui lui avait été opposé soit devenue définitive.

(i) En l’espèce, les propriétaires d’une parcelle située sur le territoire de la commune de Saint-Didier-au-Mont-d’Or ont successivement déposé deux déclarations préalables en vue de la création de lots à bâtir 1)Une première déclaration préalable d’un lot à bâtir de 740 m², puis une seconde déclaration d’un lot à bâtir de 1500 m²..

Le maire de la commune s’étant opposé à ces deux déclarations, par arrêtés du 19 janvier et du 17 mars 2015, les pétitionnaires ont logiquement cherché à en obtenir l’annulation devant le juge administratif qui a fait droit à leur demande par un arrêt du 20 décembre 2018 2)CAA Lyon 20 décembre 2018, req. n° 17LY02150 – voir aussi TA Lyon 13 avril 2017, req. n° 1502324-1504017 qui avait rejeté leur demande..

Alors que les pétitionnaires n’avaient pas encore confirmé leurs demandes à la suite de cette annulation, le maire a repris l’instruction des deux déclarations préalables et leur a opposé, par arrêtés du 24 janvier 2019, un sursis à statuer en se fondant sur l’état d’avancement du nouveau plan local d’urbanisme.

Ces sursis à statuer ont été réitérés, par deux arrêtés du 15 février 2019, après que les pétitionnaires aient confirmé leur demande en application de l’article L. 600-2 du code de l’urbanisme, en leur opposant, notamment, que l’arrêt du 20 décembre 2018 n’était pas, au 15 février 2019, encore définitif, les pétitionnaires en ont demandé l’annulation.

Alors que le tribunal administratif de Lyon avait rejeté leur demande par jugement en date du 18 juin 2020 (req. n° 1901769-1902114-1902755-1902756), la cour administrative d’appel de Lyon a, le 28 juin 2022, annulé ce jugement ainsi que les arrêtés litigieux et enjoint au maire de Saint-Didier-au-Mont-d’Or de prendre des décisions de non-opposition aux mêmes déclarations préalables dans le délai d’un mois à compter de la notification de cet arrêt (req. n° 20LY02165).

La cour administrative d’appel a, en effet, considérée que le maire « ne pouvait s’opposer à l’application des dispositions de l’article L. 600-2 du code de l’urbanisme qu’en faisant valoir soit que la demande de confirmation était tardive, ce qui n’était pas le cas, soit qu’il entendait faire un recours contre l’annulation des précédents refus, qui ne serait ainsi pas devenue définitive. »

La commune s’est alors pourvue en cassation et a tenté, en vain, d’obtenir qu’il soit sursis à l’exécution de cet arrêt 3)CE 14 avril 2023 Commune de Saint-Didier-au-Mont-d’Or, req. n° 468578 : « 3. Les déclarations préalables en cause, qui ne font pas état de la réalisation de travaux d’aménagement, ont pour seul objet de permettre la division foncière d’un terrain appartenant aux pétitionnaires. Pour justifier de ce que l’arrêt litigieux risque d’entraîner des conséquences difficilement réparables, la commune de Saint-Didier-au-Mont-d’Or se borne à soutenir que l’injonction prononcée aura pour effet, ” dans les circonstances particulières de l’espèce ” qu’elle n’explicite pas, de rendre possible l’engagement des travaux projetés par M. et Mme C…, dont la consistance n’est pas précisée et dont elle n’indique pas s’ils ont donné lieu au dépôt d’une demande d’autorisation d’urbanisme et, le cas échéant, à la délivrance d’une telle autorisation. Dans ces conditions, il n’est pas établi que l’exécution de l’arrêt de la cour administrative d’appel risque d’emporter des conséquences difficilement réparables. »..

C’est dans ces circonstances que le Conseil d’Etat a rendu la décision commentée.

(ii) Celle-ci permet d’apporter d’utiles précisions sur la mise en œuvre du mécanisme introduit par l’article L. 600-2 du code de l’urbanisme, qui dispose :

« Lorsqu’un refus opposé à une demande d’autorisation d’occuper ou d’utiliser le sol ou l’opposition à une déclaration de travaux régies par le présent code a fait l’objet d’une annulation juridictionnelle, la demande d’autorisation ou la déclaration confirmée par l’intéressé ne peut faire l’objet d’un nouveau refus ou être assortie de prescriptions spéciales sur le fondement de dispositions d’urbanisme intervenues postérieurement à la date d’intervention de la décision annulée sous réserve que l’annulation soit devenue définitive et que la confirmation de la demande ou de la déclaration soit effectuée dans les six mois suivant la notification de l’annulation au pétitionnaire. »

Comme le Conseil d’Etat le rappelle, il résulte de cet article que « l’autorité administrative compétente ne peut [par principe] rejeter la demande de permis, opposer un sursis à statuer, s’opposer à la déclaration préalable dont elle se trouve ainsi ressaisie ou assortir sa décision de prescriptions spéciales en se fondant sur des dispositions d’urbanisme postérieures à la date du refus ou de l’opposition annulé ».

Toutefois, comme le précise cet article, cette cristallisation est, en vertu des dispositions précitées, strictement conditionnée :

  • à l’annulation définitive de la décision de refus ;
  • à la confirmation de la demande ou de la déclaration dans les six mois suivant la notification de l’annulation au pétitionnaire.

Or, la Haute Assemblée vient juger que le maire ne pouvait, en l’espèce, sans méconnaitre l’article L. 600-2, opposer le futur PLU aux déclarations préalables dès lors que les pétitionnaires avaient confirmé leurs demandes dans le délai de 6 mois, et ce, même si la décision juridictionnelle ayant annulé les sursis à statuer qui leur avait été opposé n’était pas encore définitive.

Certes, cette solution ne ressort pas aussi explicitement de la décision du Conseil d’Etat.

En effet, après avoir rappelé que « le pétitionnaire ne peut bénéficier de façon définitive du mécanisme institué par l’article L. 600-2 du code de l’urbanisme que si l’annulation juridictionnelle de la décision de refus ou d’opposition est elle-même devenue définitive, c’est-à-dire, au sens et pour l’application de ces dispositions, si la décision juridictionnelle prononçant cette annulation est devenue irrévocable », les juges du Palais Royal indiquent que :

« 4. Pour annuler les arrêtés du 15 février 2019 au motif que la commune de Saint-Didier-au-Mont-d’Or ne pouvait légalement surseoir à statuer sur les déclarations préalables en se fondant sur l’état d’avancement du nouveau plan local d’urbanisme dans son état à la date de ces arrêtés, la cour administrative d’appel de Lyon s’est fondée sur ce que M. et Mme C… ont confirmé ces déclarations préalables sur le fondement de l’article L. 600-2 du code de l’urbanisme dans le délai de six mois suivant la notification de l’arrêt du 20 décembre 2018 par lequel la cour a annulé les décisions d’opposition à ces déclarations. Il résulte de ce qui a été dit au point 3 qu’en statuant ainsi, elle n’a pas commis d’erreur de droit. Si elle a en outre relevé que le maire ne pouvait ignorer, à la date des arrêtés annulés, que la commune n’introduirait pas de pourvoi en cassation contre l’arrêt du 20 décembre 2018 et qu’aucun pourvoi en cassation n’a par la suite été introduit par la commune, ces motifs présentent un caractère surabondant et ne peuvent être utilement critiqués en cassation. »

Ainsi, bien que l’annulation des arrêtés litigieux par lesquels le maire de Saint-Didier-au-Mont-d’Or avait opposé un sursis à statuer aux déclarations préalables ne soit pas encore définitive (le délai de pourvoi n’étant pas expiré), la confirmation des demandeurs dans le délai de 6 mois emportait nécessairement cristallisation des règles d’urbanisme 4)A cet égard, on peut noter que le rapporteur public proposait une démonstration différente : « le maire ne peut s’opposer à la cristallisation que s’il a fait un recours ; tant qu’il n’a pas fait de recours, il y a cristallisation. Autrement dit, même si le demandeur confirme sa demande dans les deux premiers mois, il y a lieu de statuer dans les mêmes conditions que si le demandeur avait confirmé sa demande après l’expiration du délai de recours : soit il y a un recours ; soit il n’y en a pas. S’il y a eu un recours, il n’y a pas cristallisation. S’il n’y a pas de recours, il y a cristallisation ». En outre, le fait que le maire ne pouvait ignorer que la commune n’introduirait pas de pourvoi en cassation, comme l’avait retenu la CAA, est selon le Conseil d’Etat, sans incidence..

Par conséquent, le maire ne pouvait d’aucune manière échapper, dans les circonstances de l’espèce, à la cristallisation et, ainsi, de nouveau sursoir à statuer sur leurs déclarations préalables en se fondant sur l’état d’avancement du PLU.

Une telle décision se justifie, en réalité, par le fait que si l’administration délivre l’autorisation demandée, alors que l’annulation n’est pas définitive, elle pourra toujours la retirer dans l’hypothèse où cette décision d’annulation viendrait à être censurée.

En effet, le Conseil d’Etat poursuit sa démonstration, dans la continuité de son avis Préfet des Yvelines 5)CE avis 25 mai 2018 Préfet des Yvelines, req. n° 417350 : publié au Rec. CE (points 5 et 6)., en rappelant que :

« Par suite, dans le cas où l’autorité administrative a délivré le permis sollicité ou pris une décision de non-opposition sur le fondement de ces dispositions, elle peut retirer cette autorisation si le jugement ou l’arrêt prononçant l’annulation du refus ou de l’opposition fait l’objet d’un sursis à exécution ou est annulé, sous réserve que les motifs de la nouvelle décision juridictionnelle ne fassent pas par eux-mêmes obstacle à un autre refus, dans le délai de trois mois à compter de la notification à l’administration de cette nouvelle décision juridictionnelle » 6)Le Conseil d’Etat en profitant pour rappeler que « L’administration doit, avant de procéder à ce retrait, inviter le pétitionnaire à présenter ses observations. L’autorisation d’occuper ou utiliser le sol délivrée au titre de l’article L. 600-2 du code de l’urbanisme peut être contestée par les tiers sans qu’ils puissent se voir opposer les termes du jugement ou de l’arrêt ayant annulé le refus ou la décision d’opposition »..

Tout en confirmant la position qu’il avait amorcée dans le cadre de cet avis 7)« 6. En cas d’annulation, par une nouvelle décision juridictionnelle, du jugement ou de l’arrêt ayant prononcé, dans ces conditions, une injonction de délivrer l’autorisation sollicitée et sous réserve que les motifs de cette décision ne fassent pas par eux-mêmes obstacle à un nouveau refus de cette autorisation, l’autorité compétente peut la retirer dans un délai raisonnable qui ne saurait, eu égard à l’objet et aux caractéristiques des autorisations d’urbanisme, excéder trois mois à compter de la notification à l’administration de la décision juridictionnelle. Elle doit, avant de procéder à ce retrait, inviter le pétitionnaire à présenter ses observations. », il étend les garanties de l’administration puisque désormais : même en cas d’un simple sursis à exécution (et non seulement en cas d’annulation) de la décision juridictionnelle ayant annulé la décision litigieuse, l’administration peut retirer l’autorisation qu’elle a délivrée.

Autrement dit, alors même que le demandeur serait parvenu à obtenir la délivrance de l’autorisation qu’il sollicite, après avoir confirmé sa demande sur le fondement de l’article L. 600-2, la circonstance que l’annulation de la décision de refus ne soit pas encore définitive le place nécessairement dans une situation précaire. 8)A cet égard, comme l’avait souligné le rapporteur public dans ses conclusions « si, en conséquence, l’autorité délivre l’autorisation demandée ou ne s’oppose pas à la déclaration, sa décision est précaire dans l’hypothèse où un recours a été exercé ; elle devient définitive si le recours est rejetée ; mais s’il est fait droit au recours et que l’annulation est annulée, l’autorisation pourra être retirée, compte tenu de ce que sont les règles d’urbanisme nouvelles ».

En effet, il court toujours le risque que le jugement ou l’arrêt prononçant l’annulation du refus ou de l’opposition soit annulé voire fasse simplement l’objet d’un sursis à exécution.

Dans un tel cas, l’administration doit effectivement pouvoir retirer l’autorisation qu’elle a finalement délivrée.

 

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References   [ + ]

1. Une première déclaration préalable d’un lot à bâtir de 740 m², puis une seconde déclaration d’un lot à bâtir de 1500 m².
2. CAA Lyon 20 décembre 2018, req. n° 17LY02150 – voir aussi TA Lyon 13 avril 2017, req. n° 1502324-1504017 qui avait rejeté leur demande.
3. CE 14 avril 2023 Commune de Saint-Didier-au-Mont-d’Or, req. n° 468578 : « 3. Les déclarations préalables en cause, qui ne font pas état de la réalisation de travaux d’aménagement, ont pour seul objet de permettre la division foncière d’un terrain appartenant aux pétitionnaires. Pour justifier de ce que l’arrêt litigieux risque d’entraîner des conséquences difficilement réparables, la commune de Saint-Didier-au-Mont-d’Or se borne à soutenir que l’injonction prononcée aura pour effet, ” dans les circonstances particulières de l’espèce ” qu’elle n’explicite pas, de rendre possible l’engagement des travaux projetés par M. et Mme C…, dont la consistance n’est pas précisée et dont elle n’indique pas s’ils ont donné lieu au dépôt d’une demande d’autorisation d’urbanisme et, le cas échéant, à la délivrance d’une telle autorisation. Dans ces conditions, il n’est pas établi que l’exécution de l’arrêt de la cour administrative d’appel risque d’emporter des conséquences difficilement réparables. ».
4. A cet égard, on peut noter que le rapporteur public proposait une démonstration différente : « le maire ne peut s’opposer à la cristallisation que s’il a fait un recours ; tant qu’il n’a pas fait de recours, il y a cristallisation. Autrement dit, même si le demandeur confirme sa demande dans les deux premiers mois, il y a lieu de statuer dans les mêmes conditions que si le demandeur avait confirmé sa demande après l’expiration du délai de recours : soit il y a un recours ; soit il n’y en a pas. S’il y a eu un recours, il n’y a pas cristallisation. S’il n’y a pas de recours, il y a cristallisation ». En outre, le fait que le maire ne pouvait ignorer que la commune n’introduirait pas de pourvoi en cassation, comme l’avait retenu la CAA, est selon le Conseil d’Etat, sans incidence.
5. CE avis 25 mai 2018 Préfet des Yvelines, req. n° 417350 : publié au Rec. CE (points 5 et 6).
6. Le Conseil d’Etat en profitant pour rappeler que « L’administration doit, avant de procéder à ce retrait, inviter le pétitionnaire à présenter ses observations. L’autorisation d’occuper ou utiliser le sol délivrée au titre de l’article L. 600-2 du code de l’urbanisme peut être contestée par les tiers sans qu’ils puissent se voir opposer les termes du jugement ou de l’arrêt ayant annulé le refus ou la décision d’opposition ».
7. « 6. En cas d’annulation, par une nouvelle décision juridictionnelle, du jugement ou de l’arrêt ayant prononcé, dans ces conditions, une injonction de délivrer l’autorisation sollicitée et sous réserve que les motifs de cette décision ne fassent pas par eux-mêmes obstacle à un nouveau refus de cette autorisation, l’autorité compétente peut la retirer dans un délai raisonnable qui ne saurait, eu égard à l’objet et aux caractéristiques des autorisations d’urbanisme, excéder trois mois à compter de la notification à l’administration de la décision juridictionnelle. Elle doit, avant de procéder à ce retrait, inviter le pétitionnaire à présenter ses observations. »
8. A cet égard, comme l’avait souligné le rapporteur public dans ses conclusions « si, en conséquence, l’autorité délivre l’autorisation demandée ou ne s’oppose pas à la déclaration, sa décision est précaire dans l’hypothèse où un recours a été exercé ; elle devient définitive si le recours est rejetée ; mais s’il est fait droit au recours et que l’annulation est annulée, l’autorisation pourra être retirée, compte tenu de ce que sont les règles d’urbanisme nouvelles ».

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