Référé suspension contre une autorisation d’urbanisme : précisions sur les conditions de recevabilité pour les instances en cours au 1er janvier 2019

Catégorie

Urbanisme et aménagement

Date

November 2019

Temps de lecture

5 minutes

CE 25 septembre 2019 Commune de Fosses, req. n°429680 : Mentionné au Rec. CE

Depuis le 1er janvier 2019, l’article L. 600-3 nouveau du code de l’urbanisme prévoit qu’une requête en référé suspension dirigée contre une autorisation d’urbanisme n’est recevable que jusqu’à l’expiration du délai fixé pour la cristallisation des moyens soulevés devant le juge saisi en premier ressort.

Le Conseil d’État a par une décision du 25 septembre 2019 apporté d’utiles précisions sur les conditions de recevabilité de ces référés.

1          Les faits de l’espèce étaient assez simples. Par un arrêté en date du 4 février 2016, le maire de la commune de Fosses a délivré à des particuliers un permis de construire une maison individuelle. Ce permis a fait l’objet d’un recours en annulation par des voisins immédiats du terrain d’assiette de la construction projetée devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise.

Par un jugement en date du 10 juillet 2018, leur demande a été rejetée.

Les requérants ont alors relevé appel de ce jugement devant la cour administrative d’appel de Versailles et on, en parallèle, demandé au juge des référés de cette cour, de suspendre l’exécution du permis de construire, sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative.

Par une ordonnance du 29 mars 2019, le président de la deuxième chambre de la cour administrative d’appel de Versailles a fait droit à leur demande et a ordonné la suspension du permis de construire.

C’est dans ce contexte que la commune de Fosses a formé un pourvoi tendant à l’annulation de cette ordonnance et à ce que l’affaire soit renvoyée devant la cour administrative d’appel de Versailles, ou subsidiairement, à ce que la demande des requérants soit rejetée par le Conseil d’État statuant en référé.

2          Après avoir annulé l’ordonnance du juge des référés de la cour administrative d’appel de Versailles en raison d’une irrégularité de procédure 1)L’irrégularité de procédure relevée par le Conseil d’État est tirée du défaut de tenue d’une audience publique :

« Il ne ressort ni de ses visas ni d’aucune pièce de la procédure devant le juge des référés de la cour que cette ordonnance aurait été prise après une audience publique. Par suite, la commune de Fosses est fondée à soutenir que cette ordonnance a été rendue à l’issue d’un procédure irrégulière et à en demande l’annulation pour ce motif »., le Conseil d’État choisit de juger l’affaire au fond  2)En application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative qui prévoit que : « S’il prononce l’annulation d’une décision d’une juridiction administrative statuant en dernier ressort, le Conseil d’État peut soit renvoyer l’affaire devant la même juridiction statuant, sauf impossibilité tenant à la nature de la juridiction, dans une autre formation, soit renvoyer l’affaire devant une autre juridiction de même nature, soit régler l’affaire au fond si l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie.

                Lorsque l’affaire fait l’objet d’un second pourvoi en cassation, le Conseil d’État statue définitivement sur cette affaire. » et saisit ainsi l’occasion de préciser les conditions de recevabilité d’un référé-suspension contre une autorisation d’urbanisme mentionnée à l’article L. 600-3 du code de l’urbanisme, en l’occurrence un permis de construire, dans le cadre d’une instance en cours au 1er janvier 2019.

2.1       Le premier alinéa de l’article L. 600-3 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction issue de la loi Elan 3)Loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique., prévoit désormais que :

« Un recours dirigé contre une décision de non-opposition à déclaration préalable ou contre un permis de construire, d’aménager ou de démolir ne peut être assorti d’une requête en référé suspension que jusqu’à l’expiration du délai fixé pour la cristallisation des moyens soulevés devant le juge saisi en premier ressort ».

Dans sa décision, le Conseil d’État prend soin de rappeler que ces dispositions s’inscrivent dans l’objectif poursuivi par le législateur d’accélérer les procédures contentieuses, et plus particulièrement s’agissant de la procédure de référé-suspension, d’« enserrer dans des délais particuliers la possibilité d’assortir une requête en annulation d’une autorisation d’urbanisme telle qu’un permis de construire d’une demande de suspension de l’exécution de cet acte, pour ne pas ralentir de façon excessive la réalisation du projet autorisé par ce permis ».

Dans une démarche pédagogique, la Haute Juridiction administrative indique ensuite qu’en application de ces nouvelles dispositions, une demande de suspension d’une autorisation d’urbanisme ne peut plus être présentée à tout moment de la procédure et notamment pour la première fois en appel, mais qu’elle doit désormais être introduite pendant le délai fixé pour la cristallisation des moyens devant le juge saisi en premier ressort, c’est-à-dire :

  • soit, pour les requêtes enregistrées avant le 1er octobre 2018, jusqu’à l’expiration du délai figurant dans une ordonnance spécifique prise en application de l’article R. 611-7-1 du code de justice administrative ;
  • soit, pour les requêtes enregistrées depuis le 1er octobre 2018, dans un délai de deux mois après communication du premier mémoire en défense, en application de l’article R. 600-5 du code de l’urbanisme.

Le Conseil d’État rappelle également qu’en application du V de l’article 80 de la loi Elan, ces dispositions sont entrées en vigueur le premier jour du deuxième mois suivant la promulgation de la loi, c’est à dire le 1er janvier 2019.

2.2       Dans l’affaire portée devant le Conseil d’État, la demande de suspension du permis de construire litigieux a été présentée par les requérants pour la première fois en appel, le 13 février 2019. La commune soulevait en défense l’irrecevabilité du référé, sur le fondement de l’article L. 600-3 nouveau du code de l’urbanisme, à défaut d’avoir été présenté en première instance avant l’expiration du délai de cristallisation des moyens.

Après avoir indiqué que les dispositions de l’article L. 600-3 du code de l’urbanisme « se sont appliquées quelle que soit la date d’enregistrement de la requête au fond, sans toutefois que le délai ainsi prévu ne puisse courir avant le 1er janvier 2019 », le Conseil d’État précise que ces dispositions sont bien applicables aux instances en cours.

Il distingue ensuite les modalités d’application de cet article selon que les affaires concernées soient pendantes en première instance ou en appel.

S’agissant des affaires pendantes devant les tribunaux administratifs au 1er janvier 2019, ces dispositions s’appliquent dans tous les cas où le délai commandant la cristallisation des moyens a commencé à courir postérieurement à cette date, soit par l’intervention d’une ordonnance prise sur le fondement de l’article R. 611-7-1 du code de justice administrative, soit, pour les requêtes enregistrées à compter du 1er octobre 2018 auxquelles s’applique l’article R. 600-5 du code de l’urbanisme, par la communication aux parties du premier mémoire en défense.

En première instance, un requérant peut donc valablement introduire une demande de suspension de l’exécution de l’autorisation d’urbanisme en litige après le 1er janvier 2019 :

  • soit jusqu’à la date fixée par l’ordonnance prise en application de l’article R. 611-7-1 du code de justice administrative, si le recours au fond a été introduit avant le 1er octobre 2018 et que l’ordonnance de cristallisation des moyens a été émise postérieurement au 1er janvier 2019 ;
  • soit dans un délai de deux mois suivant la date de communication du premier mémoire en défense, si le recours au fond a été introduit après le 1er octobre 2018 et que le mémoire en défense est communiqué aux parties après le 1erjanvier 2019.

S’agissant des instances d’appel, le Conseil d’État précise que :

«  S’agissant de la possibilité de former une demande de suspension en appel, il y a lieu, en cas d’appel formé contre un jugement rendu avant le 1er janvier 2019, de faire bénéficier les requérants du délai de deux mois, prévu à l’article R. 600-5 du code de l’urbanisme, à compter soi du 1er janvier, soit, si elle est plus tardive, à compter de la date d’enregistrement de l’appel ».

Il en résulte que :

  • si l’appel est pendant au 1er janvier 2019, le requérant peut introduire un référé suspension contre l’autorisation d’urbanisme litigeuse jusqu’au 1er mars 2019 ;
  • si l’appel est introduit postérieurement au 1er janvier 2019 contre une décision rendue avant cette date, le requérant peut présenter un référé suspension dans un délai de deux mois à compter de la date d’enregistrement de l’appel.

Au cas présent, le Conseil d’État admet la recevabilité de la demande de suspension de l’exécution du permis de construire en litige dans la mesure où les requérants ont relevé appel du jugement rendu en première instance le 6 septembre 2018 et que leur demande de suspension a été présentée le 13 février 2019, soit dans le délai de deux mois suivant l’entrée en vigueur de l’article L. 600-3 nouveau du code de l’urbanisme.

Le Conseil d’État refuse toutefois de faire droit à la demande de suspension au motif que les moyens soulevés ne sont pas de nature, en l’état de l’instruction, à créer un doute sérieux quant à la légalité dudit permis de construire.

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1. L’irrégularité de procédure relevée par le Conseil d’État est tirée du défaut de tenue d’une audience publique :

« Il ne ressort ni de ses visas ni d’aucune pièce de la procédure devant le juge des référés de la cour que cette ordonnance aurait été prise après une audience publique. Par suite, la commune de Fosses est fondée à soutenir que cette ordonnance a été rendue à l’issue d’un procédure irrégulière et à en demande l’annulation pour ce motif ».

2. En application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative qui prévoit que : « S’il prononce l’annulation d’une décision d’une juridiction administrative statuant en dernier ressort, le Conseil d’État peut soit renvoyer l’affaire devant la même juridiction statuant, sauf impossibilité tenant à la nature de la juridiction, dans une autre formation, soit renvoyer l’affaire devant une autre juridiction de même nature, soit régler l’affaire au fond si l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie.

                Lorsque l’affaire fait l’objet d’un second pourvoi en cassation, le Conseil d’État statue définitivement sur cette affaire. »

3. Loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique.

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