Appréciation de la covisibilité entre un projet et un monument historique et précisions sur l’office du juge de cassation dans le cadre de la procédure de référé

Catégorie

Droit administratif général, Urbanisme et aménagement

Date

June 2020

Temps de lecture

5 minutes

CE 5 juin 2020 Sociétés M2B et Villa Bali, req. n° 431994 : mentionné aux tables du recueil Lebon

Par arrêtés du 24 février 2017 et du 25 juillet 2017, le maire de la commune d’Anglet a délivré à la société M2B un permis de construire et un permis de construire modificatif pour la construction d’un immeuble collectif de sept logement, ainsi qu’un second permis de construire modificatif le 4 juillet 2018 à la société Villa Bali, en vue de la réalisation du même projet.

Après avoir saisi le tribunal administratif de Pau d’un recours en excès de pouvoir, plusieurs requérants ont introduit un recours en référé suspension sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative.

Par une ordonnance du 11 juin 2019, le juge des référés a suspendu l’exécution des trois arrêtés, au motif que les moyens tirés de l’absence d’accord de l’architecte des Bâtiments de France et de l’absence de servitude de passage au profit du terrain d’assiette du projet étaient de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité du permis de construire initial et de ses modificatifs.

Par un arrêté du 3 septembre 2019, le maire de la commune d’Anglet a délivré à la société Villa Bali un nouveau permis de construire modificatif.

Saisi ultérieurement par la société Villa Bali, sur le fondement de l’article L. 521-4 du code de justice administrative, d’une demande à ce qu’il soit mis fin à cette suspension, le juge des référés a refusé d’y faire droit par une ordonnance du 14 novembre 2019 au motif que le moyen tiré de l’absence d’accord de l’architecte de Bâtiments de France était toujours de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité des permis délivrés, en jugeant toutefois que le moyen tiré de l’absence de servitude de passage n’était plus de nature à créer un doute sérieux sur la légalité des décisions contestées.

C’est dans ce contexte que les sociétés M2B et Villa Bali ont formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat contre l’ordonnance du 11 juin 2019.

1           La précision sur l’appréciation de la covisibilité entre un immeuble et un monument historique

En premier lieu, le Conseil d’Etat rappelle le régime de protections des abords des monuments historiques fixé par le code du patrimoine :

  • D’une part, en vertu de l’article 621-30, « I. – Les immeubles ou ensembles d’immeubles qui forment avec un monument historique un ensemble cohérent ou qui sont susceptibles de contribuer à sa conservation ou à sa mise en valeur sont protégés au titre des abords (…). / II. – La protection au titre des abords s’applique à tout immeuble, bâti ou non bâti, situé dans un périmètre délimité par l’autorité administrative dans les conditions fixées à l’article L. 621-31 (…). / En l’absence de périmètre délimité, la protection au titre des abords s’applique à tout immeuble, bâti ou non bâti, visible du monument historique ou visible en même temps que lui et situé à moins de cinq cents mètres de celui-ci (…) » ;
  • D’autre part, aux termes de l’article 621-32 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : « Les travaux susceptibles de modifier l’aspect extérieur d’un immeuble, bâti ou non bâti, protégé au titre des abords sont soumis à une autorisation préalable. / L’autorisation peut être refusée ou assortie de prescriptions lorsque les travaux sont susceptibles de porter atteinte à la conservation ou à la mise en valeur d’un monument historique ou des abords. / Lorsqu’elle porte sur des travaux soumis à formalité au titre du code de l’urbanisme ou au titre du code de l’environnement, l’autorisation prévue au présent article est délivrée dans les conditions et selon les modalités de recours prévues à l’article L. 632-2 du présent code» ;
  • Enfin, l’article 632-2 de ce code, dans sa rédaction applicable au litige, dispose que « Le permis de construire (…) tient lieu de l’autorisation prévue à l’article L. 632-1 du présent code si l’architecte des Bâtiments de France a donné son accord, le cas échéant assorti de prescriptions motivées (…) ». L’article R. 425-1 du code de l’urbanisme prévoit, de même, que lorsque le projet est situé dans les abords des monuments historiques, le permis de construire tient lieu de l’autorisation prévue à l’article L. 621-32 du code du patrimoine si l’architecte des Bâtiments de France a donné son accord, le cas échéant assorti de prescriptions motivées.

Le Conseil d’Etat précise ensuite – et c’est le premier apport de la décision – qu’il résulte de la combinaison des dispositions susvisées que :

« Ne peuvent être délivrés qu’avec l’accord de l’architecte des Bâtiments de France les permis de construire portant sur des immeubles situés, en l’absence de périmètre délimité, à moins de cinq cents mètres d’un édifice classé ou inscrit au titre des monuments historiques, s’ils sont visibles à l’oeil nu de cet édifice ou en même temps que lui depuis un lieu normalement accessible au public, y compris lorsque ce lieu est situé en dehors du périmètre de cinq cents mètres entourant l’édifice en cause » (Considérant 4).

Le Conseil d’Etat avait déjà retenu le critère de l’accessibilité pour définir les points du monument inscrit ou classé à partir duquel on devait rechercher une éventuelle visibilité du projet de construction, celle-ci devant être appréciée depuis un endroit « normalement accessible conformément à sa destination ou à son usage » 1)CE 20 janvier 2016 Commune de Strasbourg, Société civile immobilière des docteurs Pagot-Schraub et associés, req. n° 365987-365996 : aux Tables. (voir l’article sur notre blog)..

C’est toutefois la première fois que le Conseil d’Etat précise expressément que les dispositions de l’article L. 621-30 du code du patrimoine ne s’opposent pas à ce que l’existence d’une covisibilité soit constatée depuis un point situé à plus de cinq cents mètres du monument concerné, en indiquant utilement que cette covisibilité doit pouvoir être révélée à l’œil nu uniquement, et non pas par l’utilisation d’un appareil photographique muni d’un objectif à fort grossissement, comme en l’espèce.

Le Conseil d’Etat considère donc que le juge des référés a dénaturé les faits de l’espèce en retenant l’existence d’une covisibilité entre le projet et le monument historique en cause, pour en déduire que le moyen tiré du défaut d’accord de l’architecte des Bâtiments de France faisait naître un doute sérieux sur la légalité du permis de construire initial.

2          L’apport de la décision du Conseil d’Etat sur l’office du juge de cassation en matière de référé

S’agissant de la procédure de référé, le Conseil d’Etat rappelle au premier considérant de sa décision les textes suivants :

  • premièrement qu’en vertu des dispositions de l’article 521-1 du code de justice administrative, quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ;
  • deuxièmement qu’en vertu de l’article 521-4 du même code, saisi par toute personne intéressée, le juge des référés peut, à tout moment, au vu d’un élément nouveau, modifier les mesures qu’il avait ordonnées ou y mettre fin.

Il indique ensuite – et c’est le second apport de la décision – que lorsqu’un juge des référés, après avoir par une première ordonnance regardé deux moyens comme propres à créer un doute sérieux quant à la légalité d’un permis de construire, juge, par une seconde ordonnance rendue sur le fondement de l’article L. 521-4 du code de justice administrative, que l’un de ces moyens n’était plus de nature à justifier la suspension du permis litigieux, la censure de l’autre motif retenu par le juge des référés dans sa première ordonnance suffit à entraîner l’annulation de cette ordonnance, sans qu’il y ait lieu, pour le juge de cassation, de se prononcer sur le bien-fondé des moyens du pourvoi dirigés contre le motif ultérieurement abandonné par le juge des référés.

Dans ces conditions, le Conseil d’Etat juge que les sociétés requérantes sont fondées à demander l’annulation de l’ordonnance du 11 juin 2019.

Le Conseil d’Etat juge ensuite l’affaire au fond en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative et considère qu’aucun des autres moyens invoqués par les requérants à l’appui de leurs demandes de suspension des permis de construire litigieux n’est de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité des arrêtés contestés.

Par conséquent, le Conseil d’Etat rejette les demandes de suspension des requérants.

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