Appréciation de l’intérêt à agir d’un tiers à un contrat administratif : le Conseil national des barreaux ne justifie pas d’un intérêt suffisant pour contester l’attribution d’un marché d’assistance à maîtrise d’ouvrage par une collectivité territoriale

Catégorie

Contrats publics

Date

August 2021

Temps de lecture

4 minutes

CE 20 juillet 2021 Société Espélia, req. n° 443346 : mentionné dans les tables du rec. CE

Par leur décision Espélia, les 7ème et 2ème chambres réunies du Conseil d’Etat ont apporté des précisions utiles sur l’appréciation de l’intérêt à agir des tiers à un contrat administratif dans le cadre d’un recours « Tarn-et-Garonne ».

Résumons brièvement les faits. En mai 2015, la communauté d’agglomération de La Rochelle (Charente-Maritime) a conclu avec la société Espélia, société d’expertise et de conseil pour la gestion des services publics, un marché d’assistance à maîtrise d’ouvrage pour l’élaboration et la passation d’un marché de collecte de déchets ménagers. Contestant la validité de ce contrat, le Conseil national des barreaux (CNB) a décidé de saisir le tribunal administratif de Poitiers d’une demande tendant à son annulation.

Le Conseil national des barreaux soutenait que le marché avait été passé en méconnaissance des dispositions de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 régissant la profession d’avocat dès lors que l’objet du contrat relevait d’une activité de consultation juridique et que la société Espélia ne disposait pas de la qualification nécessaire pour assurer cette activité. Le Conseil national des barreaux estimait pouvoir justifier d’un intérêt à agir en ce que la passation du marché litigieux portait préjudice à l’intérêt collectif de la profession d’avocat, dont il lui appartient d’assurer la défense.

Par un jugement du 4 juillet 2018 1)TA Poitiers 4 juillet 2018 Conseil national des barreaux, req. n° 1501814, le tribunal administratif de Poitiers a donné raison au CNB et a annulé le marché attribué par la communauté d’agglomération de La Rochelle.

La société Espélia a toutefois décidé de faire appel de ce jugement mais la cour administrative d’appel de Bordeaux a confirmé celui-ci, par un arrêt du 9 juillet 2020 2)CAA Bordeaux 9 juillet 2020 Société Espélia, req. n° 18BX03424. La société Espélia a alors formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat contre cet arrêt.

Le pourvoi de la société Espélia invitait le Conseil d’Etat à se prononcer spécifiquement sur l’intérêt à agir du Conseil national des barreaux pour contester la validité du contrat litigieux, en sa qualité de tiers audit contrat.

Les 7ème et 2ème chambres réunies ont tout d’abord rappelé le considérant de principe de la décision Département du Tarn-et-Garonne :

«  indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l’excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d’un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Cette action devant le juge du contrat est également ouverte aux membres de l’organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné ainsi qu’au représentant de l’Etat dans le département dans l’exercice du contrôle de légalité. Les requérants peuvent éventuellement assortir leur recours d’une demande tendant, sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, à la suspension de l’exécution du contrat » 3)CE 4 avril 2014 Département de Tarn-et-Garonne, req. n° 358994 : Publié au Rec. CE

Eu égard à ce considérant de principe, les 7ème et 2ème chambres réunies ont considéré que si le Conseil national des barreaux avait bien qualité pour agir en justice en vue d’assurer le respect de l’obligation de recourir à un professionnel du droit, la seule attribution par une collectivité territoriale d’un marché à un opérateur économique déterminé n’était pas susceptible de léser « de façon suffisamment directe et certaine » les intérêts collectifs dont le Conseil national des barreaux a la charge.

La formation de jugement a ainsi suivi les conclusions de la rapporteure publique Mireille Le Corre. Cette dernière a notamment rappelé dans ses conclusions que, dans le cadre d’un recours « Tarn-et-Garonne », l’intérêt à agir d’un tiers au contrat était apprécié de manière restrictive, comme l’a illustrée la décision Département de la Loire-Atlantique du 3 juin 2020 4)CE 3 juin 2020 Département de la Loire-Atlantique, req. n° 426932 : Mentionné aux Tables du Rec. CE s’agissant d’un recours formé par un ordre professionnel.

Estimant fondé ce resserrement de l’intérêt à agir des tiers à un contrat administratif, la rapporteure publique a estimé qu’il n’y avait pas lieu de traiter différemment la profession d’avocat :

«  la spécificité des métiers du droit, à laquelle nous ne pouvons pourtant qu’être sensibles, ne saurait justifier un traitement différent s’agissant de l’appréciation de l’intérêt à agir » 5)Conclusions de la rapporteure publique Mireille Le Corre

La rapporteure publique a également rappelé à l’appui de ses conclusions qu’il appartenait toujours à un organisme professionnel ou une association défendant un intérêt collectif d’intervenir volontairement au soutien d’un recours formé par une personne lésée 6)CE 10 février 2014 Société Cabinet Henri Abecassis, req. n° 367262 : Mentionné aux Tables du Rec. CE.

Les 7ème et 2ème chambres ont donc suivi les conclusions de la rapporteure publique en considérant que le Conseil national des barreaux ne justifiait pas d’un intérêt à agir et n’était donc pas recevable à contester la validité du marché conclu entre la communauté d’agglomération de La Rochelle et la société Espélia.

Réglant l’affaire au fond en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d’Etat a annulé l’arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux ainsi que le jugement du tribunal administratif de Poitiers.

 

 

 

 

 

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