Appréciation de l’intérêt à agir : le juge administratif ne peut se fonder sur des éléments postérieurs à l’affichage en mairie de la demande de permis de construire

Catégorie

Urbanisme et aménagement

Date

October 2022

Temps de lecture

4 minutes

CE 21 septembre 2022 Société Maison Camp David, req. n° 461113

Par un arrêt rendu en date du 21 septembre 2022, mentionné aux tables du recueil Lebon, le Conseil d’Etat rappelle les modalités selon lesquelles le juge administratif apprécie l’intérêt à agir d’un requérant à l’encontre d’un permis de construire, s’agissant en particulier de la date à laquelle cette appréciation doit être effectuée.

La société Maison Camp David, exploitante de résidences locatives de standing situées au bord de la plage de la baie de Saint-Jean à Saint-Barthélemy, a sollicité devant le tribunal administratif de Saint-Barthélemy, l’annulation de la délibération du 29 juin 2021 par laquelle le conseil exécutif de la collectivité de Saint-Barthélemy a accordé à la société Ocap Saint Jean un permis de construire un restaurant de plage, envisagé à quelques parcelles des résidences exploitées par la requérante. Elle a demandé parallèlement la suspension de son exécution devant le juge des référés sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative.

Le juge des référés a rejeté cette demande de suspension, par une ordonnance en date du 20 janvier 2022, en considérant que la société Maison Camp David n’avait pas intérêt à agir contre le permis de construire, au sens de l’article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme, lequel est applicable à Saint Barthélémy. En particulier, il juge que la distance séparant les résidences exploitées par la requérante et le projet, la densification du bâti, la configuration et la nature du projet, sa desserte et le caractère particulièrement animé de cette partie de l’île, font obstacle à ce que le projet objet du permis de construire attaqué soit regardé comme de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance des résidences que la société requérante exploite. Sa demande est jugée irrecevable.

La société requérante se pourvoit alors en cassation contre l’ordonnance du juge des référés.

Le Conseil d’Etat annule l’ordonnance du 20 janvier 2022 en retenant à son encontre plusieurs erreurs de droit.

Il retient, en particulier, une erreur de droit sur le fondement de l’article L. 600-1-3 du code de l’urbanisme, lequel dispose que :

« sauf circonstances particulières, l’intérêt pour agir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager s’apprécie à la date d’affichage en mairie de la demande du pétitionnaire ».

Ledit article avait été consacré dans l’objectif de s’assurer que l’intérêt à agir du tiers préexiste bien au projet du pétitionnaire et exclure qu’il puisse se « créer » un tel intérêt après la délivrance de l’autorisation. A titre d’exemple, un voisin devenant propriétaire du terrain voisin du projet postérieurement à la date d’affichage de la demande du permis dont il conteste la légalité n’a pas d’intérêt à agir à l’encontre de ce permis 1)CE, 13 décembre 2021, Sté Ocean’s Dream Resort, req. n°450241 [voir notre article].

Au cas d’espèce, le juge des référés du tribunal de Saint Barthélémy, pour écarter l’intérêt à agir de la société Maison Camp David, s’est fondé sur « la densification du bâti », en faisant expressément référence dans son ordonnance à une résidence de tourisme de cinq logements sur l’une des parcelles voisines, laquelle demeurait un simple projet de construction.

La question était donc celle de savoir si, pour apprécier l’intérêt à agir d’un requérant, il convient de prendre en considération, au moment d’évaluer ses intérêts lésés par le projet attaqué, les projets de construction.

Le juge des référés du tribunal administratif a répondu positivement à cette question : il a ainsi jugé que, parce qu’allait être construite sur la parcelle contiguë à celle de la requérante une résidence de tourisme, la construction du restaurant de plage de moindre importance, sur la parcelle d’après, ne pouvait être de nature à affecter les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance par la requérante de son bien.

Le Conseil d’Etat, dans l’arrêt commenté, censure cette solution, et rappelle que le juge doit apprécier l’intérêt à agir de l’auteur d’un recours contre une autorisation d’urbanisme en se plaçant à la date d’affichage de la demande de permis, sans pouvoir tenir de compte des circonstances postérieures. En particulier, il refuse la prise en compte d’évènements postérieurs qui auraient pour effet de faire évoluer ou, comme dans notre cas d’espèce, de faire disparaitre l’intérêt à agir du requérant.

Le rapporteur public expliquait ainsi dans ses conclusions 2)Conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public, sous CE 22 septembre 2022, Société Maison Camp David, req. n° 461113 qu’il : « faut demeurer très réaliste dans l’appréciation de l’intérêt à agir » et qu’il « convient de prendre en considération non pas des projets, mais des constructions en l’état où elles se trouvent ». Il explique qu’une construction non réalisée n’est pas susceptible d’influencer de manière certaine l’intérêt à agir d’un requérant du fait des possibles évènements faisant obstacle à la délivrance d’un permis de construire ou à sa mise en œuvre (refus, annulation ou retrait de permis de construire, interruption ou abandon de chantier…).

En l’espèce, il fallait donc se placer, pour apprécier l’intérêt à agir de la société Maison Camp David, à la date de l’affichage de la demande de permis de construire attaqué, soit à la date du 23 mars 2021, date à laquelle le permis de construire portant sur le projet de résidence de tourisme était encore en cours d’instruction. Le juge ne pouvait donc pas tenir compte de cette résidence de tourisme, dont la construction n’avait pas encore débuté, pour refuser à la société Maison Camp David tout intérêt à agir à l’encontre du permis de construire autorisant la construction du restaurant de plage.

Il reste que l’arrêt commenté, s’il apporte des précisions intéressantes sur l’appréciation de l’intérêt à agir et la date à laquelle se placer pour une telle appréciation, est en revanche silencieux sur les « circonstances particulières » visées à l’article L. 600-1-3 du code de l’urbanisme précité, dont le requérant peut se prévaloir pour déroger à cette date d’affichage en mairie de la demande de permis comme date d’appréciation de l’intérêt à agir. Il semble que le juge administrative entende circonscrire ces circonstances particulières à des hypothèses très restrictives 3)CAA Marseille 12 juillet 2016 commune d’Eygalières, req. n°14MA04410.

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References   [ + ]

1. CE, 13 décembre 2021, Sté Ocean’s Dream Resort, req. n°450241 [voir notre article]
2. Conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public, sous CE 22 septembre 2022, Société Maison Camp David, req. n° 461113
3. CAA Marseille 12 juillet 2016 commune d’Eygalières, req. n°14MA04410

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