Appréciation du lien de causalité entre la faute et le préjudice pour l’indemnisation du titulaire d’un contrat résilié

Catégorie

Contrats publics

Date

February 2024

Temps de lecture

3 minutes

CE 2 février 2024 Société gestion cuisines centrales Réunion (SOGECCIR), req. n° 471318

Par une décision du 2 février 2024, le Conseil d’Etat précise les conditions d’indemnisation de l’attributaire d’un contrat dont le juge a prononcé la résiliation.

En l’espèce, la commune de Saint-Benoît a lancé une procédure de passation d’une convention de délégation de service public pour la gestion de son service de restauration municipale, au terme de laquelle le contrat a attribué à la société gestion cuisines centrales Réunion (SOGECCIR).

Saisi par la société Régal des Iles, candidate évincée, le tribunal administratif de La Réunion a, par un jugement définitif du 31 mars 2016, requalifié le contrat en marché public de services et jugé qu’il était affecté de plusieurs vices présentant un caractère de particulière gravité justifiant sa résiliation (à compter du sixième mois suivant la notification du jugement).

La SOGECCIR, attributaire du contrat résilié, a ensuite sollicité auprès du tribunal administratif de La Réunion la condamnation de la commune à l’indemniser des préjudices causés par cette résiliation anticipée.

Cette demande n’ayant été que partiellement accueillie, la SOGECCIR a interjeté appel devant la cour administrative de Bordeaux en tant que les premiers juges ont rejeté sa demande d’indemnisation du préjudice lié au manque à gagner. La cour ayant statué dans le même sens, l’attributaire du contrat résilié se pourvoit en cassation.

Le Conseil d’Etat commence par rappeler que, au titre de son droit à indemnisation, qui s’apprécie « au regard des motifs de la décision juridictionnelle et, le cas échéant, des stipulations contractuelles applicables », le cocontractant d’un contrat résilié peut prétendre, conformément aux principes issus de la jurisprudence Société Cegelec Perpignan 1)CE 6 octobre 2017 Société Cegelec Perpignan, req. n° 395268 : Rec .CE :

  • au remboursement de ses dépenses utiles à la collectivité (sur le terrain quasi-contractuel),
  • et, si l’irrégularité du contrat résulte d’une faute de l’administration et sous la réserve d’un partage de responsabilités, à la réparation du préjudice imputable à cette faute (sur le terrain quasi-délictuel).

Encore faut-il, dans cette seconde hypothèse, que le préjudice allégué présente un caractère certain et qu’il existe un lien de causalité direct entre la faute de l’administration et le préjudice.

Pour apprécier ce lien, le Conseil d’Etat recherche la cause déterminante du dommage. Dès lors, il juge que, lorsque l’irrégularité du contrat consiste en des manquements aux règles de passation commis par le pouvoir adjudicateur et que ces manquements ont eu une incidence déterminante sur l’attribution du contrat, le lien de causalité entre cette irrégularité et le préjudice invoqué par l’attributaire résultant de la résiliation du contrat ne peut être regardé comme direct.

Comme l’explique le rapporteur public Marc Pichon de Vendeuil dans ses conclusions, cette logique tend à « prévenir les effets d’aubaine ». Ainsi, en cas de résiliation du contrat, « ce n’est que si le titulaire détenait un droit à la poursuite de ce contrat indépendamment des irrégularités commises par l’administration ou des motifs ayant justifié la résiliation que cette résiliation affecterait ce droit et le priverait donc d’un manque à gagner ».

Tel n’est pas le cas en l’espèce.

A cet égard, après avoir censuré le raisonnement de la cour, qui s’était fondée sur la seule circonstance que la société Régal des Îles, candidate évincée, avait été regardée comme n’étant pas dépourvue de toute chance de remporter le contrat, le Conseil d’Etat considère que les manquements retenus par le jugement du tribunal administratif de La Réunion du 31 mars 2016, eu égard à leur nature et à leur portée, ont eu une incidence déterminante sur l’attribution du contrat à la SOGECCIR.

Par suite, le lien entre la faute de la commune et le manque à gagner dont cette société entend obtenir réparation ne peut être regardé comme direct.

L’arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux est donc annulé et la requête de la SOGECCIR rejetée.

 

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1. CE 6 octobre 2017 Société Cegelec Perpignan, req. n° 395268 : Rec .CE

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