« Béziers III » : un déséquilibre dans les relations contractuelles de deux personnes publiques ne justifie pas la résiliation unilatérale

Catégorie

Contrats publics

Date

March 2015

Temps de lecture

7 minutes

CE 27 février 2015 Commune de Béziers, req. n° 357028 : Publié au Rec. CE

Béziers n’est pas seulement la ville aux onze boucliers de Brennus acquis entre 1961 et 1984, elle est aussi celle aux trois arrêts publiés au Recueil Lebon entre 2009 et 2015 dans l’affaire qui l’oppose à Villeneuve-lès-Béziers 1) On notera que cette affaire a fait l’objet d’autres décisions du Conseil d’Etat non publiées (CE 8 mars 2010 commune de Béziers, req. n° 304805 – CE 8 mars 2010 commune de Béziers, req. n° 304804)..

Le litige entre les communes de Béziers et Villeneuve-lès-Béziers vient, en effet, de donner lieu à une troisième décision du Conseil d’Etat, par laquelle il se prononce cette fois sur les motifs d’intérêt général justifiant la résiliation unilatérale d’une convention conclue entre deux personnes publiques.

Rappelons que ces deux communes avaient mené conjointement une opération d’extension d’une zone industrielle intégralement située sur le territoire de Villeneuve-lès-Béziers. Afin de répartir entre elles la part communale de la taxe professionnelle produite par l’installation d’entreprises dans cette zone, elles avaient passé le 10 octobre 1986 une convention en vertu de laquelle la commune de Villeneuve-lès-Béziers s’engageait à verser à la commune de Béziers une fraction des sommes qu’elle percevrait au titre de cette taxe 2) Conformément à l’article 11 de la loi de du 10 janvier 1980 portant aménagement de la fiscalité directe locale dans sa version alors applicable, qui prévoyait que lorsqu’un groupement de communes créait ou gérait une zone d’activités économiques et que la taxe professionnelle était perçue par une seule commune sur le territoire de laquelle les entreprises étaient implantées, les communes membres du groupement pouvaient passer une convention pour répartir entre elles tout ou partie de la part communale de cette taxe.. Par une délibération du 14 mars 1996, le conseil municipal de Villeneuve-lès-Béziers avait décidé de résilier cette convention.

La commune de Béziers a alors saisi le tribunal administratif de Montpellier de deux actions distinctes :

    ► une demande tendant à l’annulation de la délibération par laquelle le conseil municipal de Villeneuve-lès-Béziers a décidé de résilier la convention, qui a abouti à la décision du Conseil d’Etat dite « Béziers II » du 21 mars 2011 ouvrant aux cocontractants de l’administration la possibilité d’exercer un recours en contestation de validité de la résiliation unilatérale du contrat qui peut aboutir à ce que le juge ordonne la reprise des relations contractuelles 3) CE Sect. 21 mars 2011 Commune de Béziers, req. n° 304806 : Publié au Rec. CE – commenté sur ce blog. ;

    ► une demande tendant à ce que la commune de Villeneuve-lès-Béziers soit condamnée à lui verser une indemnité de 591 103,78 EUR au titre des sommes non versées depuis la résiliation ainsi qu’une somme de 45 374,70 EUR au titre de dommages et intérêts, qui a donné lieu à la décision du Conseil d’Etat « Béziers I » du 28 décembre 2009 4) CE Ass. 28 décembre 2009 Commune de Béziers, req. n° 304802 : Publié au Rec. CE., dans laquelle la Haute Juridiction a fixé les principes qui doivent guider le juge dès lors que la question de la validité du contrat, et partant son application, est en jeu..

C’est la suite de cette demande indemnitaire qui donne aujourd’hui lieu à la décision dite « Béziers III ».

En effet, après avoir annulé la décision de la cour administrative d’appel de Marseille 5) CAA Marseille 13 juin 2007 Commune de Béziers, req. n° 05MA01384, qui avait jugé que la convention devait être déclarée nulle et rejeté la demande indemnitaire de la commune., le Conseil d’Etat avait, le 28 décembre 2009, renvoyé l’affaire devant cette même cour.

Par une décision du 19 décembre 2011, la cour administrative d’appel de Marseille a une nouvelle fois rejeté la demande de la commune de Béziers 6) CAA Marseille 19 décembre 2011 Commune de Béziers, req. n° 10MA00087., qui s’est alors pourvu en cassation contre cet arrêt.

Dans la décision commentée, le Conseil d’Etat confirme qu’une convention entre personnes publiques peut être résiliée unilatéralement pour un motif d’intérêt général 7) Il l’avait déjà admis implicitement dans sa décision du 4 juin 2012 Commune d’Aubigny-les-Pothées (req. n° 368895 : Mentionné dans les Tables du Rec. CE) en acceptant de contrôler l’existence d’un motif d’intérêt général suffisant pour justifier la résiliation ou d’un bouleversement de l’équilibre du contrat. et précise que ce motif peut être tiré, notamment 8) Le Conseil d’Etat signifie ainsi que d’autres motifs peuvent fonder une telle résiliation. , du bouleversement de l’équilibre de la convention ou de la disparition de sa cause 9) Cf. notamment sur la notion de cause appréhendée par le juge administratif : CE 26 septembre 2007 OPDHLM du Gard, req. n° 259809 et 263586.. Il considère en revanche que l’apparition au cours de l’exécution du contrat d’un déséquilibre dans les relations entre les parties ne constitue pas un motif de résiliation suffisant :

    « […] qu’une convention conclue entre deux personnes publiques relative à l’organisation du service public ou aux modalités de réalisation en commun d’un projet d’intérêt général ne peut faire l’objet d’une résiliation unilatérale que si un motif d’intérêt général le justifie, notamment en cas de bouleversement de l’équilibre de la convention ou de disparition de sa cause ; qu’en revanche, la seule apparition, au cours de l’exécution de la convention, d’un déséquilibre dans les relations entre les parties n’est pas de nature à justifier une telle résiliation […] ».

Il relève qu’en l’espèce, le versement auquel s’était engagé la commune de Villeneuve-lès-Béziers avait pour contrepartie la renonciation de la commune de Béziers à percevoir la taxe professionnelle et que cette renonciation était demeurée inchangée à la date de la résiliation de la convention. En conséquence, le Conseil d’Etat considère que « la contrepartie que la commune de Villeneuve-lès-Béziers tirait de la convention n’ayant pas été affectée, il ne ressort pas des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la convention avait perdu sa cause ».

En ce qui concerne un éventuel bouleversement de l’équilibre de la convention, il juge que « ni la circonstance, dont la survenance était connue à la date de la signature de la convention pour une durée indéterminée, que les équipements primaires avaient été amortis, ni celle que les “prestations assurées sur la zone par la commune de Béziers“, sur lesquelles la convention ne comportait aucune précision, avaient cessé n’étaient de nature à caractériser un bouleversement de l’équilibre de la convention, alors surtout que, ainsi qu’il a été dit, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la renonciation, par la commune de Béziers, à percevoir des recettes de taxe professionnelle continuait de produire ses effets ».

Le Conseil d’Etat estime en conséquence que la cour administrative d’appel a entaché sa décision d’une erreur de qualification juridique en jugeant que la commune de Villeneuve-lès-Béziers n’avait pas commis de faute en prononçant la résiliation unilatérale de la convention en raison de la « rupture de de l’équilibre économique » de celle-ci.

Jugeant l’affaire au fond, il rejette tout d’abord la fin de non-recevoir tirée de l’absence de liaison du contentieux.

Reprenant les termes de sa décision du 28 décembre 2009 « Béziers I », la Haute Juridiction considère ensuite qu’aucun vice ne justifie que la convention soit écartée 10) « […] Considérant, d’une part, que les circonstances que la retranscription dans le registre des délibérations de la délibération autorisant le conseil municipal de Villeneuve-lès-Béziers à signer la convention litigieuse soit incomplète, que le registre n’ait pas été signé par l’intégralité des conseillers municipaux présents sans qu’il soit fait mention de la cause ayant empêché les autres conseillers de la signer, que ce registre porte la signature d’un conseiller municipal absent et que le tampon relatif à l’affichage de l’extrait de registre ne porte pas la signature du maire ne sauraient caractériser un vice d’une particulière gravité relatif aux conditions dans lesquelles cette commune a donné son consentement ; que le moyen tiré de l’absence de compte-rendu de la séance manque en fait. […] Considérant, enfin, que l’absence de transmission de la délibération autorisant le maire à signer un contrat avant la date à laquelle le maire procède à sa signature, d’où il résulte que cette délibération n’est pas encore exécutoire, constitue un vice affectant les conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement ; que, toutefois, eu égard à l’exigence de loyauté des relations contractuelles, ce seul vice ne saurait être regardé comme d’une gravité telle que le juge doive écarter le contrat et que le litige qui oppose les parties ne doive pas être tranché sur le terrain contractuel ».. Elle ajoute qu’aucun principe régissant le fonctionnement du service public n’imposait que la convention litigieuse comportât un terme déterminé 11) Ainsi qu’il l’avait déjà jugé dans sa décision du 24 novembre 2008 Syndicat mixte des eaux et de l’assainissement de la région du Pic Saint-Loup (req. n° 290540 : Mentionné dans les Tables du Rec. CE).. En conséquence, le litige doit être réglé sur le terrain contractuel 12) Les conclusions tendant à l’engagement de la responsabilité quasi-délictuelle et quasi-contractuelle de la commune de Villeneuve-lès-Béziers sont donc logiquement rejetées. .

En ce qui concerne la responsabilité de la commune de Villeneuse-lès-Béziers, le Conseil d’Etat rappelle qu’ainsi qu’il l’a constaté, la cause de la convention litigieuse n’avait pas disparu et que son équilibre n’avait pas été bouleversé et juge donc « qu’en prononçant la résiliation unilatérale de la convention litigieuse au seul motif qu’elle s’estimait désormais lésée par ses stipulations, la commune de Villeneuve-lès-Béziers a commis une faute de nature à engager sa responsabilité ».

La commune de Béziers est ainsi en droit d’obtenir réparation du préjudice direct et certain résultant de la résiliation fautive de la convention. Selon le Conseil d’Etat :

    ► tel est le cas de la fraction des sommes perçues par la commune de Villeneuve-lès-Béziers au titre de la taxe professionnelle qui devait lui être reversée en vertu des stipulations de la convention résiliée, évaluée par la commune de Béziers à 591 103,78 euros 13) Le Conseil d’Etat précise en ce qui concerne cette somme que « […] si la commune de Villeneuve-lès-Béziers conteste le calcul de ce montant, elle n’apporte aucun élément relatif à la détermination des sommes qu’elle aurait dû reverser en application de la convention ; qu’il ne résulte pas de l’instruction que le montant demandé par la commune de Béziers procèderait d’une évaluation exagérée de son préjudice […] ». ;

    ► en revanche, tel n’est pas le cas du préjudice subi du fait des conditions de la résiliation du contrat, pour lequel la commune de Béziers réclamait une somme de 45 374,70 euros.

La commune de Villeneuve-lès-Béziers est donc finalement condamnée à verser à la commune de Béziers la somme de 591 103,78 euros.

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1. On notera que cette affaire a fait l’objet d’autres décisions du Conseil d’Etat non publiées (CE 8 mars 2010 commune de Béziers, req. n° 304805 – CE 8 mars 2010 commune de Béziers, req. n° 304804).
2. Conformément à l’article 11 de la loi de du 10 janvier 1980 portant aménagement de la fiscalité directe locale dans sa version alors applicable, qui prévoyait que lorsqu’un groupement de communes créait ou gérait une zone d’activités économiques et que la taxe professionnelle était perçue par une seule commune sur le territoire de laquelle les entreprises étaient implantées, les communes membres du groupement pouvaient passer une convention pour répartir entre elles tout ou partie de la part communale de cette taxe.
3. CE Sect. 21 mars 2011 Commune de Béziers, req. n° 304806 : Publié au Rec. CE – commenté sur ce blog.
4. CE Ass. 28 décembre 2009 Commune de Béziers, req. n° 304802 : Publié au Rec. CE.
5. CAA Marseille 13 juin 2007 Commune de Béziers, req. n° 05MA01384, qui avait jugé que la convention devait être déclarée nulle et rejeté la demande indemnitaire de la commune.
6. CAA Marseille 19 décembre 2011 Commune de Béziers, req. n° 10MA00087.
7. Il l’avait déjà admis implicitement dans sa décision du 4 juin 2012 Commune d’Aubigny-les-Pothées (req. n° 368895 : Mentionné dans les Tables du Rec. CE) en acceptant de contrôler l’existence d’un motif d’intérêt général suffisant pour justifier la résiliation ou d’un bouleversement de l’équilibre du contrat.
8. Le Conseil d’Etat signifie ainsi que d’autres motifs peuvent fonder une telle résiliation.
9. Cf. notamment sur la notion de cause appréhendée par le juge administratif : CE 26 septembre 2007 OPDHLM du Gard, req. n° 259809 et 263586.
10. « […] Considérant, d’une part, que les circonstances que la retranscription dans le registre des délibérations de la délibération autorisant le conseil municipal de Villeneuve-lès-Béziers à signer la convention litigieuse soit incomplète, que le registre n’ait pas été signé par l’intégralité des conseillers municipaux présents sans qu’il soit fait mention de la cause ayant empêché les autres conseillers de la signer, que ce registre porte la signature d’un conseiller municipal absent et que le tampon relatif à l’affichage de l’extrait de registre ne porte pas la signature du maire ne sauraient caractériser un vice d’une particulière gravité relatif aux conditions dans lesquelles cette commune a donné son consentement ; que le moyen tiré de l’absence de compte-rendu de la séance manque en fait. […] Considérant, enfin, que l’absence de transmission de la délibération autorisant le maire à signer un contrat avant la date à laquelle le maire procède à sa signature, d’où il résulte que cette délibération n’est pas encore exécutoire, constitue un vice affectant les conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement ; que, toutefois, eu égard à l’exigence de loyauté des relations contractuelles, ce seul vice ne saurait être regardé comme d’une gravité telle que le juge doive écarter le contrat et que le litige qui oppose les parties ne doive pas être tranché sur le terrain contractuel ».
11. Ainsi qu’il l’avait déjà jugé dans sa décision du 24 novembre 2008 Syndicat mixte des eaux et de l’assainissement de la région du Pic Saint-Loup (req. n° 290540 : Mentionné dans les Tables du Rec. CE).
12. Les conclusions tendant à l’engagement de la responsabilité quasi-délictuelle et quasi-contractuelle de la commune de Villeneuve-lès-Béziers sont donc logiquement rejetées.
13. Le Conseil d’Etat précise en ce qui concerne cette somme que « […] si la commune de Villeneuve-lès-Béziers conteste le calcul de ce montant, elle n’apporte aucun élément relatif à la détermination des sommes qu’elle aurait dû reverser en application de la convention ; qu’il ne résulte pas de l’instruction que le montant demandé par la commune de Béziers procèderait d’une évaluation exagérée de son préjudice […] ».

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