Une délégation de service public (DSP) peut régulièrement fixer une durée inférieure à la durée d’amortissement des biens du service et, en conséquence, prévoir à ce titre l’indemnisation du délégataire

Catégorie

Contrats publics

Date

July 2012

Temps de lecture

4 minutes

Par un arrêt du 4 juillet 2012, le Conseil d’Etat vient apporter d’utiles précisions pour les praticiens concernant notamment, d’une part, la durée des DSP et le droit à indemnisation du délégataire et, d’autre part, les possibilités de régularisation en matière contractuelle[1].

En l’espèce, la communauté d’agglomération de Chartres métropole (CACM) et la société Véolia eau – Compagnie générale des eaux (CGE) ont conclu une convention de délégation de service public portant sur le financement, la conception, la construction et l’exploitation d’une station d’épuration dont la durée a été fixée à 20 ans.

Cette durée ne permettant pas d’amortir les biens du service, cette convention prévoyait l’indemnisation du délégataire à hauteur de la valeur des biens non amortis en fin de contrat.

Le préfet et des communes membres de la CACM ont soumis à la censure du tribunal administratif d’Orléans respectivement le contrat et la délibération du conseil communautaire autorisant l’exécutif à signer la DSP au motif, notamment qu’une DSP ne pouvait, en application des dispositions de l’article L. 1411-2 du CGCT[2], avoir une durée inférieure à celle nécessaire à l’amortissement des investissements réalisés par le délégataire.

Le Conseil d’Etat ne fera pas droit à cette argumentation :

« que si ces dispositions limitent la durée de la convention et imposent qu’elle tienne compte, pour la déterminer, de la nature et du montant de l’investissement à réaliser, elles n’interdisent pas, par principe, que cette durée puisse être inférieure à celle de l’amortissement des investissements réalisés ».

Le Conseil d’Etat estime donc que, s’agissant de la durée d’une DSP, si le législateur avait fixé un « plafond » (afin de permettre une mise en concurrence relativement régulière), il n’avait pas en revanche fixé de « plancher ».

Tout naturellement, la Haute juridiction estime en conséquence que « la convention pouvait légalement prévoir le montant de l’indemnisation due au titre des investissements non encore amortis au terme du contrat ».

Ceci s’avère logique dès lors que l’on voit mal un opérateur économique se lancer dans une opération ne lui permettant pas d’amortir les biens réalisés. De surcroît, on peut faire le parallèle, par exemple, avec le droit à indemnisation dont dispose le délégataire lorsque la personne publique résilie avant terme, pour motifs d’intérêt général, la DSP conclue[3].

Cela étant, le Conseil d’Etat relève une irrégularité susceptible d’entacher la DSP de nullité : l’insuffisance de l’information des conseillers communautaires, classiquement considéré comme un vice d’une particulière gravité.

Là encore, la position adoptée par la Haute Juridiction ne saurait réellement surprendre.

En effet, le Conseil d’Etat constate, tout d’abord, que les négociations avec les deux candidats en lice ont été menées sur la base d’une durée de la convention de trente ans et que le rapport présentait au conseil communautaire une synthèse des offres formulées pour cette seule durée.

Or, relève ensuite la Haute juridiction, ce rapport proposait aux conseillers communautaires d’autoriser la signature de la convention pour une durée de vingt ans seulement, « en précisant que la conséquence de cette orientation, qui se traduirait par une indemnisation à hauteur de la valeur des biens non amortis à l’issue du contrat, serait un moindre renchérissement du coût au m3 de l’investissement (environ 0,02 euros / m3) (…) ” », mais sans indiquer le montant de cette indemnisation qui se chiffrait pourtant « à près de dix-sept millions d’euros ».

Ce manque d’information, « affectant nécessairement le consentement » de la personne publique, entachait donc d’illégalité la délibération prise par le conseil communautaire, illégalité qui rejaillissait sur la DSP.

Toutefois, poursuivant sa « quête » de la sécurisation quasi-absolue de la sphère contractuelle[4], le Conseil d’Etat va permettre à la personne publique de régulariser ce vice en lui octroyant un délai pour ce faire.

A cet égard, on notera que le Conseil d’Etat censure, pour erreur de droit, la cour administrative d’appel pour ne pas avoir «  recherché si, compte tenu de la nature de l’irrégularité constatée, la poursuite de l’exécution du contrat était possible ou si des mesures autres que l’annulation devaient être prononcées ». On sait, en effet, que depuis l’arrêt Ministre de l’intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration, le déféré préfectoral relève, non plus de l’excès de pouvoir, mais du plein contentieux[5].

Pour la Haute Juridiction, le défaut d’information des conseillers est bien au nombre des irrégularités pouvant faire l’objet d’une régularisation de sorte qu’elle invite l’assemblée délibérante, dans un délai qu’elle fixe, à prendre une nouvelle délibération :

« il y a lieu d’annuler la convention passée entre la communauté d’agglomération et la société VEOLIA EAU – COMPAGNIE GENERALE DES EAUX si le conseil communautaire ne procède pas, au plus tard le 31 octobre 2012, à la régularisation de cette convention en adoptant une nouvelle délibération autorisant régulièrement sa signature »[6].


[1] Nous nous pencherons plus particulièrement sur ces points.

[2] « Les conventions de délégation de service public doivent être limitées dans leur durée. Celle-ci est déterminée par la collectivité en fonction des prestations demandées au délégataire. Lorsque les installations sont à la charge du délégataire, la convention de délégation tient compte, pour la détermination de sa durée, de la nature et du montant de l’investissement à réaliser et ne peut dans ce cas dépasser la durée normale d’amortissement des installations mises en œuvre (…) ».

[3] Voir notamment : CE 31 juillet 1996 soc. des téléphériques du Massif du Mont-Blanc, req. n° 126594  : publié au Rec. CE avis 19 avril 2005, n° 371234 – Et le Conseil d’Etat a, s’agissant d’un contrat de concession, rappelé dans son arrêt CCI de Nîmes que « l’étendue et les modalités de [l’] indemnisation [du concessionnaire] peuvent être déterminées par les stipulations du contrat, sous réserve qu’il n’en résulte pas, au détriment d’une personne publique, une disproportion manifeste entre l’indemnité ainsi fixée et le montant du préjudice résultant, pour le concessionnaire, des dépenses qu’il a exposées et du gain dont il a été privé » (CE 4 mai 2011 CCI de Nîmes, req. n° 334280, publié au Rec. CE).

[4] Et on pourrait ajouter, de la sphère précontractuel (CE 3 octobre 2008 SMIRGEOMES, req. n° 305420 : Publié au Rec. CE).

[5] CE 23 décembre 2011 Ministre de l’intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration, req. n° 348647 : publié au Rec. CE, revenant sur CE 26 juillet 1991 commune de Sainte-Marie de la Réunion, req. n° 117717.

[6] Voir notamment concernant les possibilités de régularisation : CE 16 juillet 2007 soc. Tropic Travaux Signalisation, req. n° 291545 – CE 8 juin 2011 Divonne-les-Bains, req. n° 327515 : publié au Rec CE – CE 23 décembre 2011 Ministre de l’intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration, req. n° 348647.

 

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