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C’est une obligation depuis le 1er juin 2023 : les collectivités territoriales et leurs groupements doivent désigner un référent déontologue dédié aux élus locaux.
A l’instar de ce qui existe déjà pour les agents publics depuis 2016 1)Introduit par la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, ce dispositif, introduit par la loi dite « 3DS » du 21 février 2022 2)Loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale – Décret n° 2022-1520 du 6 décembre 2022 relatif au référent déontologue de l’élu local et inscrit à l’article L. 1111-1-1 du code général des collectivités territoriales (ci-après « CGCT »), vise à permettre à tout élu local de consulter un référent déontologue chargé de lui apporter des conseils utiles sur l’application de la « Charte de l’élu local », c’est-à-dire sur les questions déontologiques liées à l’exercice de ses fonctions.
2 ans après son institution, il est temps de faire un point sur le dispositif : un référent déontologue, qu’est-ce-que c’est ? quelles sont les obligations des collectivités territoriales en la matière ? quelles sont les missions concrètes de ce référent ? comment le saisir ? est-ce confidentiel ?
On y répond.
1. LA DESIGNATION DU REFERENT DEONTOLOGUE DE L’ELU LOCAL : QUI DESIGNER ET COMMENT ?
1.1 Qui peut être référent déontologue ?
Le référent déontologue est choisi au regard de ses compétences et de son expérience précise l’article R. 1111-1-A du CGCT. Aucune condition de diplôme n’est requise. Il faut donc identifier une personne qui soit capable de délivrer des conseils juridiques sur l’application de la Charte de l’élu local dans un contexte très opérationnel (conduites à tenir, bonnes pratiques à adopter).
Aussi, si des connaissances juridiques semblent indispensables, les « fonctions de référent déontologue de l’élu local font appel à un ensemble de connaissances au-delà du seul domaine juridique et ne sont donc pas exclusivement réservés aux membres des professions du droit » comme l’admet la direction générale des collectivités territoriales dans le guide dédié 3)Direction générale des collectivités locales, « Guide relatif à la désignation du référent déontologue de l’élu local » 2023, page 10. D’ailleurs, il a été explicitement, et logiquement, indiqué que l’avocat d’une collectivité ne peut pas exercer les fonctions de référent déontologue pour les élus de cette collectivité, dès lors qu’il pourrait se trouver dans une situation de nature à influencer ou paraître influencer l’exercice indépendant et impartial des fonctions de référent déontologue 4)Réponse ministérielle du 31 août 2023 Publiée dans le JO Sénat du 31/08/2023 – page 5202.
Concrètement, il peut s’agir soit d’une, ou même d’un collège composé de plusieurs personnes mais dans ce cas, il faut que le collège soit régi par un règlement intérieur pour définir son organisation et son fonctionnement.
En revanche, aucune marge de manœuvre n’est laissée aux collectivités sur le respect des conditions essentielles du référent déontologue que sont l’impartialité et l’indépendance. Pour le dire autrement, toutes les personnes susceptibles d’être désignées doivent s’inscrire dans l’une de ces situations 5)R. 1111-1-A du CGCT :
- elle n’exerce aucun mandat d’élu au sein de la collectivité qui la désigne
- elle n’exerce plus de mandat d’élu depuis au moins 3 ans (le délai de 3 ans s’apprécie à la date de désignation du référent déontologue, c’est-à-dire la date de la délibération ou une date ultérieure en fonction des modalités prévues dans la délibération)
- elle n’est pas un agent (fonctionnaire ou contractuel) de la collectivité
- et bien entendu, aucune d’entre elles ne doit se trouver en situation de conflit d’intérêts
Précision utile : aucune disposition légale ou réglementaire n’interdit qu’une personne désignée en qualité de référent déontologue des agents publics 6)Décret n° 2017-519 du 10 avril 2017 relatif au référent déontologue dans la fonction publique ne puisse également être désignée en qualité de référent déontologue, à condition que les conditions précitées (compétence, indépendance et impartialité) soient réunies.
1.2 Comment désigner un référent déontologue ?
D’un point de vue formel, la désignation du référent déontologue est prise dans le cadre d’une délibération de l’organe délibérant de la collectivité 7)R. 1111-1-A du CGCT. Cette délibération doit nécessairement faire apparaître les mentions suivantes 8)R. 1111-1-B du CGCT :
- la durée de l’exercice des fonctions du référent déontologue
- les modalités de saisine et de l’examen de celle-ci
- les conditions dans lesquelles le référent rend ses avis
- les moyens matériels mis à sa disposition et les éventuelles modalités de rémunération
Le renouvellement des fonctions du référent déontologue (ou de certains membres du collège) s’effectue selon les mêmes modalités. La délibération est ensuite transmise au représentant de l’Etat selon les règles classiques du contrôle de légalité et en parallèle, elle est portée à la connaissance des élus locaux par tout moyen afin qu’ils connaissent leur interlocuteur dédié 9)R. 1111-1-B du CGCT.
Précision utile : il est possible que plusieurs collectivités territoriales, groupements ou syndicats mixtes désignent le même référent déontologue. Dans cette hypothèse, les délibérations des assemblées délibérantes doivent être concordantes 10)R. 1111-1-A du CGCT.
1.3 Est-il rémunéré ?
L’activité de référent déontologue peut alternativement être exercée à titre bénévole ou donner lieu au versement d’une indemnité de vacation, dont le montant est plafonné par l’arrêté du 6 décembre 2022 qui correspond à 11)Arrêté du 6 décembre 2022 pris en application du décret n° 2022-1520 du 6 décembre 2022 relatif au référent déontologue de l’élu local :
- 80 EUR par dossier lorsque les fonctions sont exercées par une ou plusieurs personnes physiques
- 200 EUR pour la participation à une séance ou 300 EUR pour la présidence d’une séance (une demi-journée) lorsque les fonctions sont exercées par un collège ; les référents peuvent cumuler cette vacation avec une indemnité de 80 EUR maximum par dossier rapporté mais ils ne peuvent pas cumuler la vacation pour la participation à une séance (200 EUR) avec celle pour sa présidence (300 EUR)
Les frais de transport et d’hébergement peuvent également faire l’objet d’un remboursement dans les mêmes conditions que celles pour les personnels de la fonction publique territoriale.
Toutes ces mentions doivent figurer dans la délibération de désignation du référent déontologue.
2. LES MISSIONS DU REFERENT DEONTOLOGUE DE L’ELU LOCAL
2.1 Quelles sont les missions ?
Le référent déontologue a pour mission de répondre aux questions des élus sur l’application des principes déontologiques de la Charte de l’élu local.
Que prévoit cette Charte ?
« 1. L’élu local exerce ses fonctions avec impartialité, diligence, dignité, probité et intégrité.
2. Dans l’exercice de son mandat, l’élu local poursuit le seul intérêt général, à l’exclusion de tout intérêt qui lui soit personnel, directement ou indirectement, ou de tout autre intérêt particulier.
3. L’élu local veille à prévenir ou à faire cesser immédiatement tout conflit d’intérêts. Lorsque ses intérêts personnels sont en cause dans les affaires soumises à l’organe délibérant dont il est membre, l’élu local s’engage à les faire connaître avant le débat et le vote.
4. L’élu local s’engage à ne pas utiliser les ressources et les moyens mis à sa disposition pour l’exercice de son mandat ou de ses fonctions à d’autres fins.
5. Dans l’exercice de ses fonctions, l’élu local s’abstient de prendre des mesures lui accordant un avantage personnel ou professionnel futur après la cessation de son mandat et de ses fonctions.
6. L’élu local participe avec assiduité aux réunions de l’organe délibérant et des instances au sein desquelles il a été désigné.
7. Issu du suffrage universel, l’élu local est et reste responsable de ses actes pour la durée de son mandat devant l’ensemble des citoyens de la collectivité territoriale, à qui il rend compte des actes et décisions pris dans le cadre de ses fonctions. »
Cette Charte constitue donc « le socle premier des conseils déontologiques » que peut solliciter chaque élu local dans l’exercice de ses fonctions 12)Lexis, P. Villeneuve, « Mettre en œuvre le référent déontologue pour les élus locaux », La Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales, 2023 et c’est au regard de ces principes que le référent rend son avis sur la situation personnelle de l’élu.
Selon la doctrine administrative, les attributions du référent déontologue peuvent être regroupées en trois missions principales, qui ne sont néanmoins pas exhaustives 13)Lexis, P. Villeneuve, « Mettre en œuvre le référent déontologue pour les élus locaux », La Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales, 2023:
- une mission de sensibilisation et de prévention des conflits d’intérêt
- une mission de respect des principes déontologiques devant gouverner l’exercice des fonctions de l’élu
- une mission de veille quant à l’utilisation des moyens mis à disposition par la collectivité ou sur les exigences que requiert l’exercice de son mandat (assiduité notamment)
Quelques exemples concrets :
- le référent déontologue peut examiner :
- les déclarations d’intérêts et de situation patrimoniale à déposer auprès de la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique
- les déclarations de voyages accomplis durant et en lien avec l’exercice de mandat de l’élu ou à l’invitation d’une personne morale
- les déclarations annuelles des invitations et des cadeaux reçus au cours et en lien avec le mandat de l’élu
- il peut également émettre toute recommandation à destination de l’élu placé dans une situation présentant ou susceptible de faire naître un conflit d’intérêts, au regard de l’examen des déclarations
- il peut aussi expliquer et informer les élus sur les règles juridiques mais aussi proposer des évolutions et des harmonisations des documents internes à la collectivité
2.2 Est-ce confidentiel ?
Oui ; le référent déontologue est soumis au respect du secret professionnel dans les conditions définies par le code pénal 14)Articles 226-13 et 226-14 du code pénal et à l’exigence de discrétion professionnelle pour tous les faits, informations ou documents dont il a connaissance dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions 15)R. 1111-1-D du CGCT.
3. LE BILAN 2 ANS APRES
Après ces quelques mois d’institution, plusieurs axes de réflexion sur l’efficacité juridique de la fonction du référent déontologue des élus locaux, et plus largement de la Charte de l’élu local, sont soulevés :
- d’abord, la valeur et l’opposabilité de la Charte sont discutées : en effet, le texte se contente de reprendre, de façon incomplète, des règles préexistantes, mais sans viser les textes précis ou la définition des concepts majeurs (conflit d’intérêt, prise illégale d’intérêt, détournement de fonds publics, etc.). En outre, la Charte ne revêt aucune valeur juridique contraignante, car aucune sanction n’est prévue et le juge se réfère classiquement, en cas de contentieux, aux dispositions législatives pertinentes, notamment pénales
- la valeur du « conseil » apporté par le référent déontologue à l’élu est également en débat : si les dispositions législatives et réglementaires ne précisent pas les conditions formelles de l’intervention du référent déontologue ni de sa saisine, laissant une marge de manœuvre importante aux collectivités(ce qui est une bonne chose), il est probable que, comme pour les référents déontologues des agents publics, les avis soient considérés comme purement consultatifs et sans valeur contraignante. Bien qu’il s’agisse d’actes « de droit souple » 16)Dalloz, N. Demontrond, « La montée en puissance des référents déontologues », AJFP, 2020 (au sujet des référents déontologues des agents publics), il est probable que la saisine du référent déontologue pourrait constituer un argument démontrant la bonne foi de l’élu en cas de contentieux. Clairement, l’institution d’un référent déontologue répond à un objectif de guider l’élu local dans l’exercice de ses fonctions et de non de contrôler son exercice
- enfin, l’articulation de la fonction de référent déontologue des élus avec les autres référents pourrait être clarifié (référent déontologue des agents publics, référent laïcité…) : il existe là un enjeu de cohérence des conseils délivrés entre les différentes instances qui portent dans l’ensemble sur des questions similaires. Ce d’autant plus que si toutes les collectivités territoriales et leurs groupements sont concernés (c’est-à-dire sans aucun seuil), il est capital que l’institution d’un référent déontologue présente un véritable intérêt pour les élus, puisque à l’inverse cela peut représenter des contraintes pour les collectivités de quelques centaines d’habitants à l’heure de la crise des vocations des élus dans les petites communes.
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