Contentieux des décisions exigées par l’installation des éoliennes

Catégorie

Droit administratif général, Environnement

Date

April 2020

Temps de lecture

4 minutes

CE 3 avril 2020 Société pour la protection des paysages et de l’esthétique de la France et Patrimoine et environnement, req. n° 426941 : mentionné dans les tables du recueil Lebon

Par des requêtes jointes du 9 janvier 2019 et du 28 janvier 2019, plusieurs associations ont saisi le Conseil d’Etat aux fins de faire annuler le décret n° 2018-1054 du 29 novembre 2018 relatif aux éoliennes terrestres, à l’autorisation environnementale et portant diverses dispositions de simplification et de clarification du droit de l’environnement.

Afin de satisfaire un objectif de réduction des délais de traitement des recours pouvant retarder la réalisation de projets d’éoliennes terrestres, le décret attaqué confie aux cours administratives d’appel le jugement en premier et dernier ressort de l’ensemble du contentieux des décisions qu’exige l’installation des éoliennes terrestres. Il prévoit également que, dans le cadre de la procédure contentieuse, les parties ne peuvent plus invoquer de moyens nouveaux passé un délai de deux mois à compter de la communication aux parties du premier mémoire en défense.

Les requérants faisaient grief au décret attaqué de méconnaître le principe du droit à un recours effectif en ce qu’il confie aux cours administratives d’appel le jugement en premier et dernier ressort de l’ensemble du contentieux relatif aux éoliennes terrestres (1) et soutiennent que l’impossibilité d’invoquer de nouveaux moyens passé un certain délai serait contraire au respect du principe du contradictoire (2).

Par une décision du 3 avril 2020, le Conseil d’Etat a rejeté les demandes d’annulation des associations requérantes.

1           La compétence des cours administratives d’appel en premier et dernier ressort ne méconnait pas le droit à un recours effectif

L’article 23 du décret attaqué confie aux cours administratives d’appel le jugement en premier et dernier ressort de l’ensemble du contentieux des décisions qu’exige l’installation des éoliennes terrestres.

S’agissant tout d’abord du double degré de juridiction, le Conseil d’Etat rappelle qu’« aucun principe général du droit ne consacre l’existence d’une règle de double degré de juridiction qui interdirait au pouvoir réglementaire de prévoir des cas dans lesquels les jugements sont rendus en premier et dernier ressort ».

Ce faisant, le Conseil d’Etat s’inscrit dans une jurisprudence constante. Par un précédent arrêt du 9 février 2000, il avait jugé que « les stipulations de l’article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, […] n’imposent pas l’existence d’un double degré de juridiction » (CE 9 février 2000 M. Comparois, req. n° 185667).

Cette position est conforme à celle de la Cour de justice de l’Union européenne qui décorrèle le droit à un double degré de juridiction du principe du droit à un recours juridictionnel (CJUE 26 septembre 2018 X. c. Belastingdienst/Toeslagen, aff. C‑175/17).

Ensuite, le Conseil d’Etat rappelle que l’obligation du ministère d’avocat devant les cours administratives d’appel statuant en premier et dernier ressort a notamment pour objet d’assurer aux justiciables la qualité de leur défense. En outre, eu égard à l’existence d’un dispositif d’aide juridictionnelle, l’obligation du ministère d’avocat dans le contentieux éolien ne porte pas atteinte au droit d’exercer un recours effectif devant une juridiction.

Il confirme ainsi une position constante (voir en ce sens CE 6 avril 2006 Confédération générale du travail, req. n°273311), conforme à la jurisprudence de la cour européenne des droits de l’homme (CEDH 9 octobre 1979, Airey c. Iriande, req. n° 6289/73).

2          La cristallisation des moyens n’est pas contraire au principe du contradictoire

Le nouvel article R. 611-7-2 du code de justice administrative, introduit par l’article 24 du décret attaqué prévoit que « les parties ne peuvent plus invoquer de moyens nouveaux passé un délai de deux mois à compter de la communication aux parties du premier mémoire de défense ».

La particularité de cette cristallisation des moyens spécifique au contentieux éolien est qu’elle présente un caractère automatique. L’ensemble des moyens doit ainsi être présenté par les requérants dans leur requête ainsi qu’éventuellement dans un mémoire en réplique déposé moins de deux mois après le mémoire en défense de la partie adverse.

Dans son arrêt du 3 avril 2020, le Conseil d’Etat juge tout d’abord que l’obligation faite aux parties de soulever les moyens au soutien de leurs conclusions dans le délai de deux mois à compter de la communication aux parties du premier mémoire de défense concourt à assurer la célérité et l’efficacité de la procédure juridictionnelle dans le contentieux éolien et ne méconnaît pas le droit à un recours effectif.

Le Conseil d’Etat vient ensuite préciser la portée de cette disposition en jugeant que : « La faculté pour le président de la formation de jugement, ou le magistrat qu’il désigne à cet effet, de fixer une nouvelle date de cristallisation des moyens s’exerce dans le respect des exigences du caractère contradictoire de la procédure juridictionnelle et ne saurait autoriser le président de la formation de jugement à fixer une nouvelle date de cristallisation antérieure à l’expiration du délai de deux mois qui court à compter de la communication aux parties du premier mémoire en défense. »

Le juge peut donc logiquement repousser la date de cristallisation des moyens, mais non l’avancer. De sorte que le Conseil d’Etat en conclut que les dispositions de l’article 24 du décret attaqué ne méconnaissent pas le principe du caractère contradictoire de la procédure juridictionnelle.

Rappelons par ailleurs que ce principe de cristallisation automatique ne fait pas obstacle à la faculté dont dispose le juge administratif de fixer une date de clôture d’instruction (CJA art. R. 611-7-2 et art. R. 613-1).

Enfin, le Conseil d’Etat reconnait que le principe de la cristallisation des moyens peut constituer une contrainte pour les requérants. Précisons que cette contrainte est d’autant plus forte que le contentieux éolien est tranché par les cours administratives d’appel en premier et dernier ressort.

Néanmoins, le Conseil d’Etat ajoute que cette contrainte est finalement compensée par les procédures d’information et de participation du public préalables à l’élaboration des décisions ayant une incidence sur l’environnement car celles-ci sont de nature à permettre aux justiciables d’avoir accès au dossier avant que le préfet ne délivre ou ne refuse l’autorisation sollicitée :

« Si la cristallisation des moyens peut représenter une contrainte pour les requérants dans un contentieux marqué par une certaine technicité, les dispositions attaquées ne méconnaissent pas pour autant le principe d’égalité des armes. Au demeurant, les procédures d’information et de participation du public à l’élaboration des décisions ayant une incidence sur l’environnement sont de nature à permettre aux justiciables d’avoir accès au dossier avant que ne soit prise la décision qu’ils entendent contester devant le juge administratif. »

Ce faisant, le Conseil d’Etat fait une analyse globale du droit au recours des justiciables en considérant que l’analyse par le requérant des moyens qu’il envisage de soulever se fait en pratique dès le stade de l’enquête publique, avant même que le préfet ne délivre une autorisation ou un refus de construire et d’exploiter un parc éolien terrestre.

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