De l’intérêt limité de la préemption d’un bien grevé d’un bail à construction avec option d’achat

Catégorie

Urbanisme et aménagement

Date

May 2022

Temps de lecture

4 minutes

CE 19 avril 2022 Commune de Mandelieu la Napoule : req. n°442150

Par une décision rendue le 19 avril 2022, le Conseil d’Etat est venu clarifier les conditions dans lesquelles le droit de préemption urbain s’exerce sur des terrains faisant l’objet d’un bail à construction lorsque l’aliénation du terrain résulte de la décision du preneur de lever une option d’achat prévue par une clause du bail.

Pour rappel, le droit de préemption 1)Article L.210-1 du code de l’urbanisme offre la possibilité aux collectivités, dans un périmètre prédéfini, de se substituer, pour la réalisation d’une opération d’aménagement, à l’acquéreur éventuel d’un bien immobilier mis en vente. Le propriétaire est dans ce cas tenu de vendre le bien à la personne publique et dans les conditions fixées par cette dernière.

Le bail de construction est défini, lui, par les dispositions de l’article L. 251-1 du code de la construction et de l’habitation comme étant « le bail par lequel le preneur s’engage, à titre principal, à édifier des constructions sur le terrain du bailleur et à les conserver en bon état d’entretien pendant toute la durée du bail ».

Dans l’affaire sur laquelle les juges du Palais-Royal étaient amenés à se prononcer, deux baux à construction avaient été conclus le 15 mars 1988, pour la réalisation d’un port de plaisance en confiant la construction, l’entretien mais également la jouissance des infrastructures aux sociétés titulaires du bail. Une clause prévoyait la possibilité pour les titulaires du bail d’acquérir le bien avant l’échéance du bail, soit avant le 14 mars 2020.

Un an avant l’échéance du bail, les titulaires ont manifesté au bailleur leur intention d’acquérir les parcelles. Ce dernier a donc émis une déclaration d’intention d’aliéner suite à laquelle le maire de la commune de Mandelieu la Napoule a exercé son droit de préemption pour la constitution d’une réserve foncière en vue de la réalisation d’une opération d’aménagement.

Les sociétés preneuses du bail et acquéreurs évincés ont introduit un référé près le tribunal administratif de Nice tendant à la suspension de l’exécution de la décision du Maire de faire usage de son droit de préemption.

Par une ordonnance du 9 juillet 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Nice a suspendu l’arrêté litigieux en ce qu’il permet le transfert de propriété du bien préempté au profit de la collectivité titulaire du droit de préemption.

S’estimant lésée, la commune s’est pourvue, devant le conseil d’Etat, en cassation contre cette ordonnance qui a confirmé l’existence d’un doute sur la légalité de cette préemption.

1.    L’exercice du droit de préemption sur un bien soumis à un bail de construction avec option d’achat : une opération qui a pour conséquence le transfert de la qualité de bailleur à l’autorité préemptrice

Pour rappel, l’article L. 213-1 du code de l’urbanisme soumet au droit de préemption urbain toute aliénation à titre onéreux d’un immeuble, y compris donc a priori la cession de terrains en exécution d’une promesse de vente comprise dans un bail à construction qui entre dans cette définition.

Jusqu’à maintenant, le juge administratif n’avait jamais eu l’occasion de trancher la question complexe de l’application du droit de préemption urbain en présence d’un bail à construction.

Seule une réponse n°7455 du ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales datée du 25 octobre 2018 2)JO Sénat 10 janvier 2019 n°7455 avait évoqué cette situation en attirant l’attention notamment des notaires sur le fait que si le contrat de bail prévoyait que la propriété du bien loué devait être transférée au preneur en fin de contrat, le droit de préemption urbain avait vocation à s’appliquer.

La réponse apportée par le Conseil d’Etat est nuancée.

Il rappelle que par principe, la présence d’un bail à construction grevant le bien ne fait pas obstacle à l’exercice du droit de préemption ; cette hypothèse n’étant pas exclue du champ d’application du droit de préemption visé à l’article L. 213-1 du code de l’urbanisme.

Toutefois, il estime que lorsque ce droit de préemption est exercé lors de la levée d’option d’achat par le preneur, l’exercice du droit de préemption ne porte que sur les droits du bailleur et conduit donc à transférer le bail à construction vers l’autorité préemptrice qui de fait devient bailleur et demeure alors tenue au respect des obligations contractuelles dont celle d’exécuter la promesse de vente :

« Toutefois, lorsque la préemption est exercée à l’occasion de la levée, par le preneur, de l’option stipulée au contrat d’un bail à construction lui permettant d’accepter la promesse de vente consentie par le bailleur sur les parcelles données à bail, elle a pour effet de transmettre à l’autorité qui préempte ces parcelles la qualité de bailleur et, ce faisant, les obligations attachées à cette qualité, parmi lesquelles celle d’exécuter cette promesse de vente. »

À l’image donc du droit de préemption exercé sur des biens loués, le bail à construction continue de courir : l’acquéreur évincé ne perd donc pas sa qualité de preneur.

Ce dernier conserve donc le droit d’acquérir les terrains en vertu de l’option stipulée au contrat de bail. À défaut d’utilisation de cette option la commune deviendra, à l’expiration du bail, propriétaire des constructions édifiées par le preneur.

2.    L’exercice du droit de préemption sur un bien soumis à un bail de construction avec option d’achat : une opération sans objet, incompatible avec l’exercice même du droit de préemption

Si la préemption d’un bien soumis à un bail de construction avec option d’achat est donc admis dans son principe, il se révèle pourtant sans objet.

En effet, comme indiqué, l’autorité préemptrice demeure, dans cette situation, tenue par l’obligation contractuelle de céder le terrain au preneur.

Cette obligation de céder le bien au preneur empêche, par nature, l’exercice du droit de préemption en vue de la réalisation, dans l’intérêt général, d’actions ou d’opérations d’aménagement ou de la constitution de réserves foncières au sens de l’article L. 210-1 du code de l’urbanisme :

« Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que la décision de préemption de la commune, prise à l’occasion de l’aliénation réalisée en exécution de cette stipulation des contrats de baux à construction, dès lors qu’elle emportait nécessairement, pour celle-ci, l’obligation de céder aux sociétés SEETA et Port Inland les parcelles visées par la déclaration d’intention d’aliéner, ne pouvait permettre de satisfaire à la nécessité, résultant de l’article L. 210-1 du code de l’urbanisme, d’être exercée en vue de la réalisation d’une action ou opération d’aménagement ou, comme elle le mentionnait en l’espèce dans ses motifs, de la constitution d’une réserve foncière pour la réalisation d’une telle action ou opération ». 

Si le législateur n’a pas entendu exclure le bail à construction des opérations de préemption, l’exercice de ce droit de préemption lors de la levée d’option d’achat se révèle au final une opération inefficiente.

 

 

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References   [ + ]

1. Article L.210-1 du code de l’urbanisme
2. JO Sénat 10 janvier 2019 n°7455

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