Des pneus usagés destinés à la vente revêtent-ils la qualité de déchets ?

Catégorie

Environnement

Date

November 2021

Temps de lecture

4 minutes

CE 24 novembre 2021 société Ahouandjinou, req. n° 437105 : mentionné aux Tables du Rec. CE

Par une requête introduite devant le tribunal administratif de Grenoble, la société Ahouandjinou a demandé l’annulation de l’arrêté du 3 juin 2016 par lequel le préfet de la Côte-d’Or :

  • l’a mise en demeure de régulariser sa situation, soit en déposant une déclaration auprès de la préfecture de la Côte-d’Or au titre de la rubrique n° 2714 de la nomenclature des installations classées pour la protection de l’environnement, accompagnée d’une demande d’agrément pour la collecte des déchets de pneumatiques, soit en cessant ses activités,
  • et lui a interdit, à titre transitoire, de réceptionner et d’exporter des déchets de pneumatiques.

Par un jugement du 10 juillet 2017, le tribunal administratif de Dijon a rejeté la demande de la société Ahouandjinou tendant à l’annulation de cet arrêté. La ministre de la transition écologique et solidaire se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 22 octobre 2019 par lequel la cour administrative d’appel de Lyon a annulé ce jugement ainsi que l’arrêté préfectoral du 3 juin 2016.

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Le code de l’environnement définit un déchet comme :

« toute substance ou tout objet, ou plus généralement tout bien meuble, dont le détenteur se défait ou dont il a l’intention ou l’obligation de se défaire » 1)Article L. 541-1-1 du code de l’environnement

La jurisprudence est venue préciser les contours de cette définition.

La volonté de se défaire d’un matériau peut être caractérisée par des indices négatifs permettant de démontrer qu’aucune vie future n’est envisagée pour lui. Ces indices peuvent être l’état d’abandon de ce matériau 2)CAA Marseille 17 décembre 2009 Association U Levante, req. n° 07MA00456, l’état de dégradation du matériau laissé sans surveillance 3)CAA Nancy 7 mars 2002, req. n° 96NC03074, la longue durée d’inutilisation du matériau ou l’absence de perspective de son usage 4)CAA Nancy 4 décembre 2006 Société Manulor, req. n° 05NC00996.

A l’inverse, certains indices positifs permettent de démontrer que le détenteur du matériau n’a pas eu l’intention de s’en défaire. Il en est ainsi pour les matériaux produits pour un usage déterminé 5)CAA Nantes 14 novembre 2006 Commune de Batz-sur-Mer, req. n° 04NT01323 ou lorsque le matériau a fait l’objet d’une négociation contractuelle et a été fabriqué à des fins d’usage économique.

Sur ce dernier point, précisons qu’il a précédemment été jugé que dès lors que des matières usées n’ont pas fait l’objet d’un traitement en vue de leur régénération ou de leur recyclage, l’usage économique à lui seul (revente de ces matières usées) ne suffit pas à échapper à la qualification de déchet 6)CE 13 mai 1983 S.A. René Moline, req. n° 37030.

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En l’espèce, la société Ahouandjinou exerce une activité de vente et d’export de pneus ayant été déjà utilisés, qu’elle acquiert auprès de centres de véhicules hors d’usage et stocke dans un entrepôt.

Les services de l’inspection des installations classées pour la protection de l’environnement ont procédé, en 2016, à un contrôle de cet entrepôt. A cette occasion, ils ont considéré que les pneus collectés par l’entreprise constituaient des déchets de pneumatiques. En conséquence, cette activité entrait dans le régime des installations classées pour la protection de l’environnement qui prévoit que la collecte et le stockage nécessitent une déclaration au titre de la rubrique 2714 de la nomenclature et un agrément préfectoral au titre de la collecte de déchets  pneumatiques 7)Article R. 543-145 du code de l’environnement.

La société a demandé l’annulation de l’arrêté lui prescrivant en particulier de régulariser sa situation.

La question soumise au Conseil d’Etat portait donc sur la nature des pneumatiques usagées : ces pneumatiques stockés par la société requérante revêtent-ils la qualification de déchets ?

Pour le rapporteur public :

« L’instruction a montré que la société Ahouandjinou acquiert les pneus usagés qu’elle revend auprès de centre de véhicules usagés et de garages, qui s’en défont auprès d’elle. Cette opération suffit à leur donner la qualité de déchet comme nous l’avons dit plus haut, la valeur commerciale que peuvent conserver ces pneus ne suffit pas à leur retirer la qualité de déchet. »

Suivant les conclusions du rapporteur public et confirmant sa jurisprudence antérieure, le Conseil d’Etat juge finalement que :

« En premier lieu, il résulte de l’instruction que la société Ahouandjinou acquiert les pneus usagés qu’elle revend auprès de centres de véhicules usagés et de garages, qui s’en défont auprès d’elle. Ces pneus acquièrent ainsi, en application des dispositions de l’article L 541-1-1 du code de l’environnement citées au point 2, la qualité de déchets, la circonstance qu’ils aient une valeur commerciale et soient susceptibles de donner lieu à une réutilisation économique étant à cet égard inopérante »

Il ajoute ensuite :

« la société requérante n’est pas fondée à soutenir que les pneus usagés qu’elle stocke seraient dans un état assurant de façon certaine leur réutilisation dans l’usage initial, sans transformation ou réhabilitation préalable, et qu’ils auraient ainsi perdu la qualité de déchets. »

La volonté de se défaire demeure donc centrale dans la qualification de déchet, peu importe que le déchet soit destiné à être vendu. Et, le Conseil d’Etat indique en substance, comme il l’avait déjà fait dans sa jurisprudence antérieure, que la certitude de la réutilisation d’un objet ou d’un produit pourrait lui faire échapper à la qualification de déchet.

A l’heure où l’on parle sans arrêt de la consigne, du recyclage et du réemploi, on peut tout de même s’interroger sur le caractère tellement attractif de la notion de déchet et sur le message envoyé par cette décision.

 

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References   [ + ]

1. Article L. 541-1-1 du code de l’environnement
2. CAA Marseille 17 décembre 2009 Association U Levante, req. n° 07MA00456
3. CAA Nancy 7 mars 2002, req. n° 96NC03074
4. CAA Nancy 4 décembre 2006 Société Manulor, req. n° 05NC00996
5. CAA Nantes 14 novembre 2006 Commune de Batz-sur-Mer, req. n° 04NT01323
6. CE 13 mai 1983 S.A. René Moline, req. n° 37030
7. Article R. 543-145 du code de l’environnement

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