
Catégorie
Date
Temps de lecture
CE 29 janvier 2025 Société Batigère Habitat et autre, req. n° 489718 : Rec. CE T.
Le Conseil d’Etat juge qu’un projet de construction de tels logements peut répondre à une raison impérative d’intérêt public majeur permettant de déroger à la protection de certaines espèces animales.
1 – Le cadre juridique
L’article L. 411-1 du code de l’environnement énonce le principe selon lequel la conservation de certaines espèces animales non domestiques et de leurs habitats peut être justifiée 1)De même que la conservation de sites d’intérêt géologique, d’habitats naturels, d’espèces végétales non cultivées et de leurs habitats. et énumère les interdictions en résultant, telles que les interdictions de destruction, de perturbation intentionnelle, de capture ou de transport.
Le 4° du I de l’article L. 411-2 prévoit toutefois la possibilité de déroger à ces interdictions et énumère les conditions permettant la délivrance de dérogations dites « espèces protégées ».
Il en résulte qu’une dérogation ne peut être accordée que si trois conditions cumulatives sont remplies :
- La dérogation est justifiée par l’un des motifs limitativement énumérés, parmi lesquels figurent « l’intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou […] d’autres raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique […] » ;
- Il n’existe pas, pour atteindre l’objectif poursuivi, « d’autre solution satisfaisante» (que le projet impliquant l’atteinte aux espèces ou habitats concernés) ;
- Et, enfin, la dérogation ne nuit pas « au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle ».
Les modalités d’appréciation de ces conditions ont notamment été précisées en 2020 par l’arrêt Société La Provençale du Conseil d’Etat 2)CE 3 juin 2020 Société La Provençale, req. n° 425395, pts 8-9 : Rec. CE T..
2 – Le contexte de l’affaire
Les sociétés Batigère Habitat et Batigère Maison Familiale ont obtenu des permis de construire pour la réalisation d’un projet de construction de trois bâtiments comprenant soixante logements locatifs sociaux et dix-huit logements en accession sociale à la propriété sur la commune de Villers-lès-Nancy.
Eu égard à la présence de spécimens de salamandres tachetées, espèce protégée, le long d’un ruisseau jouxtant le site d’implantation de leur projet, elles ont également demandé puis obtenu une dérogation « espèces protégées ».
Cette dérogation a été annulé par le tribunal administratif, puis la cour administrative d’appel, au motif que la réalisation du projet ne répondait pas à une raison impérative d’intérêt public majeur. La cour a en effet estimé 3)CAA Nancy 28 septembre 2023, req. n° 20NC03693, pt 7. que :
- Ce projet privé permet certes de concourir à des objectifs d’intérêt public d’aménagement durable (objectifs du programme local de l’habitat durable de la métropole du Grand Nancy) et de politique du logement social (quota de logements sociaux de la loi SRU) ;
- Il n’est toutefois pas nécessaire pour les atteindre dès lors que la commune satisfaisait à la date de délivrance de la dérogation « espèces protégées » aux exigences de la loi SRU, et qu’il n’est pas démontré que, sans ce projet, ces objectifs ne pourraient être atteints qu’au détriment des terres agricoles environnantes, ni que la métropole connaîtrait une situation de tension particulière en matière de logement social en raison d’une hausse démographique prévisible et d’un besoin non satisfait ;
- Il n’est pas non plus démontré que le projet aurait pu être réalisé sur une emprise foncière moins attentatoire à la conservation de la nature alors que les sites permettant le développement de ce type de projets ne sont pas inexistants sur le territoire de la commune comme sur celui de la métropole.
3 – L’arrêt du Conseil d’Etat du 25 janvier 2025
Le Conseil d’Etat censure le raisonnement de la cour administrative d’appel (pour erreur de qualification juridique des faits), en relevant :
« d’une part que la construction de ces logements est destinée soit à permettre à une population modeste d’accéder à la propriété, soit à assurer le logement des populations les plus fragiles, et, d’autre part, que le taux de logements sociaux de la commune, observé sur une période significative de dix ans, était structurellement inférieur à l’objectif de 20 % fixé par le législateur et l’un des plus faibles de la métropole du Grand-Nancy, et qu’au demeurant les objectif fixés par la loi en termes de logements locatifs sociaux constituaient des seuils à atteindre et non des plafonds ».
La construction de quelques dizaines de logements sociaux et en accession sociale à la propriété peut ainsi, dans de telles circonstances, répondre à une raison impérative d’intérêt public majeur. L’arrêt de la cour est donc annulé et le jugement de l’affaire lui est renvoyé.
References