Des précisions sur la définition des besoins en matière de concession

Catégorie

Contrats publics

Date

December 2017

Temps de lecture

4 minutes

CE 15 novembre 2017 commune du Havre, req. n° 412644

En juillet 2016, la commune du Havre a lancé une procédure de publicité et de mise en concurrence tendant à la conclusion d’un contrat de concession portant sur l’exploitation du réseau de chaleur du quartier de « Caucriauville », a priori.

Le règlement de la consultation (RC) évoquait cependant que le périmètre de la concession pouvait comprendre « l’exploitation du réseau de chaleur dans le seul quartier de Caucriauville, avec un développement de proximité non précisément défini (offre de base et variante n° 1), mais aussi dans un ou plusieurs autres quartiers de la ville du Havre, voire dans les communes d’Harfleur et de Montivilliers (variante n° 2), ainsi éventuellement que sur un périmètre encore plus large (variante libre) ». Le plan de la concession constituant l’annexe 1 était en outre absent du dossier de consultation.

Le RC prévoyait, en outre, une durée maximale de la concession de 24 ans, « les candidats devant proposer une « durée effective » adaptée aux solutions techniques et aux investissements envisagés dans leurs offres ».

Trois candidats ont été admis à participer à la phase de négociation. A la suite des trois réunions de négociation des 6 et 27 février et du 29 mars, les candidats ont été invités à déposer leur offre finale le 24 avril 2017.

Après avoir remis une offre finale, la société Idex Territoires a saisi le juge du référé précontractuel dès le 19 juin 2017 d’une demande tendant à l’annulation de la procédure de passation. Le 26 juin 2017, la commune du Havre a décidé d’attribuer le contrat à une autre société.

Par une ordonnance du 10 juillet 2017, le juge du référé précontractuel a annulé la procédure de passation du contrat. C’est contre cette ordonnance que la commune du Havre se pourvoit en cassation.

1 Après avoir rappelé les nouvelles règles écrites applicables aux concessions concernant la définition des besoins 1)Article 27 de l’ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession (ci-après « l’Ordonnance »). et leur durée 2)Article 34 de l’Ordonnance – Article 6 du décret n° 2016-86 du 1er février 2016 relatif aux contrats de concession., la Haute Juridiction juge que « compte tenu des imprécisions sur le périmètre de la concession, la commune ne pouvait être regardée, en l’espèce, comme ayant suffisamment déterminé l’étendue de ses besoins » et que « si le fait de fixer seulement une durée maximale ne constitue pas, à lui seul, un manquement aux règles de publicité et de mise en concurrence, il traduisait en l’espèce, en raison de l’incertitude sur le montant des investissements à réaliser et à amortir qui résultait par ailleurs des imprécisions sur le périmètre de la concession, une insuffisante détermination des besoins de la commune ; qu’il a en conséquence jugé que la commune avait manqué aux obligations de publicité et de mise en concurrence qu’imposent les dispositions citées au point 2 ci-dessus ; qu’en statuant ainsi, le juge des référés n’a commis aucune erreur de droit ».

Ainsi, la commune du Havre n’a pas suffisamment déterminé d’une part le périmètre de la concession 3)Cf. CE 21 septembre 2016 communauté urbaine du Grand Dijon, req. n° 399656 : conception large du périmètre d’une délégation de service public – http://www.adden-leblog.com/?p=8351. mais aussi sa durée, en raison de la seule fixation d’une durée maximale 4)Rappelons que sous l’empire des anciens textes, la durée d’une DSP était une caractéristique essentielle du contrat que l’autorité délégante avait l’obligation de définir avant de lancer la procédure – si une hésitation sur plusieurs durées existait, l’autorité délégante devait alors préciser les critères qui la conduirait à retenir l’une des durées plutôt que l’autre (CE 4 février 2009 Communauté urbaine Arras, req. n° 312411). Ainsi, s’il est impératif de mentionner une durée maximale ou « plafond », l’autorité délégante peut autoriser la remise d’offres sur des durées plus courtes, dès lors que sont précisées les conditions d’appréciation des offres au regard des durées proposées (CE 15 décembre 2008 Communauté intercommunale Villes solidaires, req. n° 312350).. Ces éléments essentiels indéfinis, les candidats ne pouvaient pas remettre des offres comparables en termes de montants des investissements à réaliser puis à amortir.

2 En outre, il est intéressant de relever que le Conseil d’Etat valide la position du juge des référés qui a considéré que le moyen tenant à la seule fixation d’une durée maximale de la concession était susceptible de léser la société Idex Territoires et ce « alors même que celle-ci n’aurait pas demandé de précisions sur la durée de la concession durant la phase de négociation ».

La Haute Juridiction rappelle ainsi sa position considérant que la circonstance qu’un candidat n’ait pas posé de questions en cours de procédure ne permet pas d’établir qu’il n’aurait pas été lésé par le manquement 5)CE 23 décembre 2009 Établissement public du musée et du domaine national de Versailles, req. n° 328827 et n° 330054. .

On remarquera que le juge communautaire ne retient pas exactement la même approche, puisqu’il considère au contraire que si le soumissionnaire a remis une offre sans poser aucune question sur les critères de choix, cette circonstance doit être prise en compte pour apprécier le caractère intelligible des critères 6)CJCE 12 mars 2015 Vigilot Ltd, aff. C-538/13 :
« 55 Il en ressort qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si le soumissionnaire concerné était effectivement incapable de comprendre les critères d’attribution en cause ou s’il aurait dû les comprendre en appliquant le standard d’un soumissionnaire raisonnablement informé et normalement diligent.
56 Dans le cadre de cet examen, doit être pris en compte le fait que le soumissionnaire concerné et les autres soumissionnaires ont été capables de soumettre des offres et que le soumissionnaire concerné, avant la soumission de son offre, n’a pas demandé d’éclaircissements au pouvoir adjudicateur.
57 S’il résulte de cet examen que les conditions de l’appel d’offres étaient effectivement incompréhensibles pour le soumissionnaire et qu’il a été empêché d’introduire un recours dans le délai prévu par le droit national, il est recevable à introduire un recours jusqu’à l’expiration du délai prévu relatif à la décision d’attribution du marché. »
.

En conséquence, le Conseil d’Etat considère que c’est à bon droit que le juge des référés a retenu une méconnaissance par la ville de ses obligations de publicité et de mise en concurrence et qu’il a annulé en conséquence la procédure contestée.

La réparation de cette irrégularité supposera probablement une reprise de la procédure au stade de l’appel à candidatures, l’étendue du périmètre délégué pouvant être un critère conduisant les opérateurs à déposer ou non un dossier.

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References   [ + ]

1. Article 27 de l’ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession (ci-après « l’Ordonnance »).
2. Article 34 de l’Ordonnance – Article 6 du décret n° 2016-86 du 1er février 2016 relatif aux contrats de concession.
3. Cf. CE 21 septembre 2016 communauté urbaine du Grand Dijon, req. n° 399656 : conception large du périmètre d’une délégation de service public – http://www.adden-leblog.com/?p=8351.
4. Rappelons que sous l’empire des anciens textes, la durée d’une DSP était une caractéristique essentielle du contrat que l’autorité délégante avait l’obligation de définir avant de lancer la procédure – si une hésitation sur plusieurs durées existait, l’autorité délégante devait alors préciser les critères qui la conduirait à retenir l’une des durées plutôt que l’autre (CE 4 février 2009 Communauté urbaine Arras, req. n° 312411). Ainsi, s’il est impératif de mentionner une durée maximale ou « plafond », l’autorité délégante peut autoriser la remise d’offres sur des durées plus courtes, dès lors que sont précisées les conditions d’appréciation des offres au regard des durées proposées (CE 15 décembre 2008 Communauté intercommunale Villes solidaires, req. n° 312350).
5. CE 23 décembre 2009 Établissement public du musée et du domaine national de Versailles, req. n° 328827 et n° 330054.
6. CJCE 12 mars 2015 Vigilot Ltd, aff. C-538/13 :
« 55 Il en ressort qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si le soumissionnaire concerné était effectivement incapable de comprendre les critères d’attribution en cause ou s’il aurait dû les comprendre en appliquant le standard d’un soumissionnaire raisonnablement informé et normalement diligent.
56 Dans le cadre de cet examen, doit être pris en compte le fait que le soumissionnaire concerné et les autres soumissionnaires ont été capables de soumettre des offres et que le soumissionnaire concerné, avant la soumission de son offre, n’a pas demandé d’éclaircissements au pouvoir adjudicateur.
57 S’il résulte de cet examen que les conditions de l’appel d’offres étaient effectivement incompréhensibles pour le soumissionnaire et qu’il a été empêché d’introduire un recours dans le délai prévu par le droit national, il est recevable à introduire un recours jusqu’à l’expiration du délai prévu relatif à la décision d’attribution du marché. »

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