Deux précisions en une décision : le PLU peut préciser la notion d’emprise mais il ne peut lui conférer une toute autre acception et en cas de régularisation en cours d’instance d’un permis de construire entaché de vices de fond, le juge se prononce sur leur caractère régularisable au regard des dispositions en vigueur à la date à laquelle il statue

Catégorie

Droit administratif général, Urbanisme et aménagement

Date

June 2020

Temps de lecture

7 minutes

CE 3 juin 2020 Société Alexandra, req. n° 420736 : mentionné dans les tables du recueil Lebon

1           Contexte

Par trois arrêtés du 5 avril 2012, du 12 septembre 2012 et du 12 juillet 2013, le maire de la commune de Saint-Bon-Tarentaise a délivré à la société Alexandra un permis de construire, puis deux permis de construire modificatifs pour la construction d’un chalet à usage d’habitation.

Mme F… D…, Mme E… D… et M. A… D… puis, la société Cocimes et enfin le syndicat des copropriétaires de la résidence “Altitude 1870” ont demandé au tribunal administratif de Grenoble d’annuler pour excès de pouvoir ces arrêtés. Par trois jugements 1) Req. n° n° 1202976, 1206067, 1304496, n° 1203028, 1205955, 1304884 et n° 1204595, 1206066, 1305012. du 9 juin 2015, le tribunal a rejeté leur demande.

La société Alexandra a alors interjeté appel de ce jugement. Par un arrêt du 13 mars 2018 2)Req. n° 5LY02376, 15LY02379, 15LY02383 15LY02745, 15LY02746, 15LY02747., la cour administrative d’appel de Lyon a :

  • annulé le jugement ainsi que les arrêtés du maire au motif qu’ils méconnaissaient les prescriptions de l’article UC 9 du règlement du plan local d’urbanisme sur l’emprise au sol, de l’article UC 11 sur les accidents de toiture et de l’article UC 10 sur les règles de hauteur ;
  • et a estimé qu’il n’y avait pas lieu de surseoir à statuer afin de permettre une régularisation en application de l’article L.600-5-1 du code de l’urbanisme.

La société Alexandra a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt.

C’est dans ce contexte que le Conseil d’Etat a été amené à préciser les modalités de régularisation d’un permis de construire entaché de vices de fond en application des dispositions de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme. Le Conseil d’Etat profite également de cette décision pour préciser l’articulation entre la définition légale de l’emprise au sol et celle donnée dans le documents d’urbanisme.

2          La décision du Conseil d’Etat

2.1        Précisions sur la notion d’emprise au sol et confirmation de la méconnaissance du PLU

En premier lieu, le Conseil d’Etat examine le moyen tiré de la méconnaissance de l’article UC 9 du règlement du PLU sur l’emprise au sol.

Il rappelle à cet égard qu’aux termes de l’article R. 420-1 du code de l’urbanisme, dans sa version applicable en l’espèce : « L’emprise au sol (…) est la projection verticale du volume de la construction, tous débords et surplombs inclus » et précise qu’en l’espèce le règlement du PLU impose un coefficient d’emprise de 0,25 et définit la notion d’emprise au sol comme « correspond[ant] à la surface de la construction édifiée au sol calculée au nu extérieur de la construction ».

S’agissant de l’articulation entre la définition légale de l’emprise au sol et celle des règlements d’urbanisme, le Conseil d’Etat juge que si le règlement du PLU peut préciser la notion d’emprise, il ne peut lui conférer une toute autre acception.

Le Conseil d’Etat considère donc que c’est à bon droit que la cour a jugé qu’il convenait de prendre en compte, pour le calcul de l’emprise au sol, la projection verticale de la construction en incluant les balcons s’incorporant au gros-œuvre de la construction ainsi que la surface du niveau 0 accessible de plain-pied, bien qu’elle soit en partie enterrée compte tenu de la pente du terrain naturel.

En deuxième lieu, le Conseil d’Etat considère qu’à la lecture de l’article UC 11 du règlement du PLU relatif à l’aspect extérieur des constructions, la cour n’a pas non plus commis d’erreur de droit en jugeant que les baies ouvrant sur un balcon ainsi que l’ouvrage vitré donnant sur la cage d’escalier qui forment des accidents de toitures en façades ne pouvaient être regardés comme des lucarnes et que ces éléments étaient donc proscrits par le règlement local d’urbanisme.

En troisième et dernier lieu, le Conseil d’Etat juge que c’est également sans erreur de droit que la cour a estimé que la construction projetée dépasse la hauteur maximale autorisée par l’article UC 10 du règlement du PLU.

Cet article prévoit que la hauteur maximale des constructions ne doit pas dépasser 10,50 m à compter du terrain naturel qui est le niveau du terrain existant avant la demande d’autorisation d’urbanisme.

A cet égard, la cour avait relevé une contradiction entre le règlement du PLU et le rapport de présentation du PLU qui précise quant à lui qu’en cas de reconstruction il convient de se référer au niveau du terrain naturel constaté avant la réalisation du bâtiment à détruire et non avant la date de dépôt de la demande.

Toutefois, le Conseil d’Etat indique que ces dispositions du rapport de présentation n’ayant pas été reprises dans le règlement du PLU, elles n’ont alors pas de valeur réglementaire. C’est donc à bon droit que la cour a calculé la hauteur de 10,50 m en se référant au niveau du rez-de-chaussée de la construction préexistante intégrant la surélévation de ce bâtiment, qui s’établit à la cote 1864, 34, comme terrain naturel existant avant la demande d’autorisation d’urbanisme.

2.2       Précisions sur les modalités de régularisation des vices entachant le bien-fondé du permis de construire sur le fondement de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme

Pour mémoire, aux termes de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme dans sa version applicable à la date de l’arrêt attaqué :

« Le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu’un vice entraînant l’illégalité de cet acte est susceptible d’être régularisé par un permis modificatif peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour cette régularisation. Si un tel permis modificatif est notifié dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations ».

Le Conseil d’Etat rappelle tout d’abord que cet article L. 600-5-1 permet au juge, lorsqu’il constate qu’un vice entachant la légalité du permis de construire peut être régularisé par un permis modificatif, de rendre un jugement avant dire droit par lequel il fixe un délai pour cette régularisation et sursoit à statuer sur le recours dont il est saisi. Le juge peut préciser, par son jugement avant dire droit, les modalités de cette régularisation.

Ensuite, le Conseil d’Etat distingue selon qu’il s’agit d’un vice de procédure ou d’un vice de fond.

Sur les vices de forme, le Conseil d’Etat rappelle que :

« Un vice de procédure, dont l’existence et la consistance sont appréciées au regard des règles applicables à la date de la décision litigieuse, doit en principe être réparé selon les modalités prévues à cette même date » 3)Dans le même sens, sur le fondement de l’article L. 600-9 du code de l’urbanisme qui a pour objet de permettre, sous le contrôle du juge, la régularisation d’un vice ayant entaché l’élaboration ou la révision d’un schéma de cohérence territoriale, d’un plan local d’urbanisme ou d’une carte communale, sous les réserves mentionnées au 2° de l’article  s’agissant d’un vice de forme ou de procédure ou au 1° s’agissant d’un autre vice, dès lors qu’aucun autre moyen n’est susceptible d’entraîner l’annulation de l’acte attaqué, le Conseil avait également indiqué qu’il appartient à l’autorité compétente de régulariser le vice de forme ou de procédure affectant la décision attaquée en faisant application des dispositions en vigueur à la date à laquelle cette décision a été prise (CE, Section, 22 décembre 2017, Commune de Sempy, req. n° 395963)..

A cet égard, dans un arrêt pédagogique, le Conseil d’Etat avait, en effet, donné un mode d’emploi pour régulariser un vice de procédure :

« Un vice de procédure, dont l’existence et la consistance sont appréciées au regard des règles applicables à la date de la décision attaquée, doit en principe être réparé selon les modalités prévues à cette même date. Si ces modalités ne sont pas légalement applicables, notamment du fait de l’illégalité des dispositions qui les définissent, il appartient au juge de rechercher si la régularisation peut être effectuée selon d’autres modalités, qu’il lui revient de définir en prenant en compte les finalités poursuivies par les règles qui les ont instituées et en se référant, le cas échéant, aux dispositions en vigueur à la date à laquelle il statue » 4)CE 27 mai 2019, Association « Eoliennes s’en naît trop » , req., n° 420554 : Rec. CE. (voir sur ce point notre article).

Le Conseil d’Etat poursuit ensuite à propos des vices de fond :

« S’agissant de vices entachant le bien-fondé du permis de construire, le juge doit se prononcer sur leur caractère régularisable au regard des dispositions en vigueur à la date à laquelle il statue et constater, le cas échéant, qu’au regard de ces dispositions, le permis ne présente plus les vices dont il était entaché à la date de son édiction ».

Le Conseil d’Etat précise donc ici que pour les règles de fond, l’appréciation de la régularisation du permis doit être effectuée en fonction des règles applicables à la date à laquelle le juge statue.

Le Conseil d’Etat avait déjà eu l’occasion de souligner que lorsqu’un permis de construire a été délivré en méconnaissance des dispositions législatives ou réglementaires relatives à l’utilisation du sol, l’illégalité qui en résulte peut être régularisée par un permis modificatif si la règle relative à l’utilisation du sol qui était méconnue par le permis initial a été entretemps modifiée. Les irrégularités ainsi régularisées ne peuvent plus être utilement invoquées à l’appui d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre le permis initial 5)CE 7 mars 2018, Bloch, nos 404079 et 404080. (Cf. notre article) sans que cela caractérise un détournement de pouvoir dès lors que la modification du document d’urbanisme est réalisé dans un but d’intérêt général 6)CE 6 avril 2018 Association Nature, aménagement réfléchi, territoire, environnement, culture sauvegardés (NARTECS), req. n°402714 : mentionné dans les tables du recueil Lebon. (voir  notre analyse sur cette décision).

Ainsi, après l’invitation du juge à régulariser, l’illégalité disparait du fait de la modification du document d’urbanisme et le permis de construire modificatif peut seulement acter que le vice affectant le permis initial avait disparu 7)CE 26 juillet 2018, req. n° 411461..

En l’espèce, la société pétitionnaire faisait valoir qu’un nouveau PLU approuvé en cours d’instance avait supprimé toute référence au coefficient d’emprise au sol et qui a modifié la définition des accidents de toiture litigieux.

Pour autant, la cour a décidé de ne pas faire application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme au motif que les vices affectant la légalité des permis en litige ne pouvaient, eu égard à leur ampleur, à leur nature et à la configuration du terrain, donner lieu à des modifications ne remettant pas en cause la conception générale du projet.

Le Conseil d’Etat juge qu’en refusant de tenir compte de la circonstance que certains de ces vices avaient, en l’état du nouveau plan local d’urbanisme, disparu à la date à laquelle elle statuait, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit.

Toutefois, selon la Haute juridiction, c’est au terme d’une appréciation souveraine exempte de dénaturation qu’elle a pu juger que les vices subsistant au regard des règles d’urbanisme en vigueur à la date à laquelle elle statuait n’étaient en tout état de cause pas susceptibles de régularisation en application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme dans sa rédaction alors en vigueur. Ce motif est à lui seul de nature à justifier le refus de la cour de faire application de ces dispositions.

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References   [ + ]

1. Req. n° n° 1202976, 1206067, 1304496, n° 1203028, 1205955, 1304884 et n° 1204595, 1206066, 1305012.
2. Req. n° 5LY02376, 15LY02379, 15LY02383 15LY02745, 15LY02746, 15LY02747.
3. Dans le même sens, sur le fondement de l’article L. 600-9 du code de l’urbanisme qui a pour objet de permettre, sous le contrôle du juge, la régularisation d’un vice ayant entaché l’élaboration ou la révision d’un schéma de cohérence territoriale, d’un plan local d’urbanisme ou d’une carte communale, sous les réserves mentionnées au 2° de l’article  s’agissant d’un vice de forme ou de procédure ou au 1° s’agissant d’un autre vice, dès lors qu’aucun autre moyen n’est susceptible d’entraîner l’annulation de l’acte attaqué, le Conseil avait également indiqué qu’il appartient à l’autorité compétente de régulariser le vice de forme ou de procédure affectant la décision attaquée en faisant application des dispositions en vigueur à la date à laquelle cette décision a été prise (CE, Section, 22 décembre 2017, Commune de Sempy, req. n° 395963).
4. CE 27 mai 2019, Association « Eoliennes s’en naît trop » , req., n° 420554 : Rec. CE.
5. CE 7 mars 2018, Bloch, nos 404079 et 404080.
6. CE 6 avril 2018 Association Nature, aménagement réfléchi, territoire, environnement, culture sauvegardés (NARTECS), req. n°402714 : mentionné dans les tables du recueil Lebon.
7. CE 26 juillet 2018, req. n° 411461.

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