D’utiles précisions sur l’intérêt à agir des sous-traitants dans le cadre du recours en contestation de la validité du contrat

Catégorie

Contrats publics

Date

November 2015

Temps de lecture

4 minutes

CE 14 octobre 2015 Région Réunion, req. n° 391183

En ouvrant le recours en contestation de la validité du contrat à tous les tiers 1) CE Ass. 4 avril 2014, Département de Tarn-et-Garonne, req. n° 358994 : Rec. CE p. 70 ; BJCP 2014/94, p. 204, concl. Dacosta, obs. Terneyre ; AJDA p. 1035, chron. Bretonneau et Lessi., le Conseil d’Etat a toutefois limité sa portée en précisant que seuls les tiers pouvant justifier d’un intérêt lésé « de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses » étaient recevables à ce titre. Cette action est également ouverte à certains tiers spécifiques que sont les membres de l’organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné ainsi que le représentant de l’Etat dans le département dans l’exercice du contrôle de légalité.

Ajoutant un second filtre, il a également précisé que les tiers (autres que les tiers spécifiques) « ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l’intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d’une gravité telle que le juge devrait les relever d’office ».

Ainsi, les premières décisions du Conseil d’Etat se prononçant sur les contours de cet intérêt lésé particulier (conditionnant donc tant la recevabilité du recours que, s’il est admis, celle des moyens soulevés) sont-elles très attendues.

Par une décision en date du 14 octobre 2015, le Conseil d’Etat a été amené à se prononcer sur l’intérêt lésé invocable par une société sous-traitante.

1 Le contexte de l’arrêt

La région Réunion avait conclu un marché public intitulé « Wi-fi régional grand public » avec la société Nextiraone pour la fourniture, la maintenance et les travaux d’aménagements accessoires pour la mise en œuvre d’une solution de bornes d’accès public gratuit au réseau internet sans fil sur différents sites de l’Ile de la Réunion.

La société Pyxise, sous-traitante d’un groupement dont l’offre avait été rejetée, avait saisi le tribunal administratif de Saint-Denis, sur le fondement d’un référé suspension 2) Article L. 521-1 du code de justice administrative., en demandant, d’une part, la suspension de la décision de rejet de l’offre du groupement et, d’autre part, la suspension de l’exécution du marché.

Par une ordonnance en date du 3 juin 2015, le juge des référés du tribunal administratif de Saint-Denis a fait droit à ces demandes.

La région Réunion a alors saisi le Conseil d’Etat d’un pourvoi en cassation. Annulant l’ordonnance de référé en ce qui concerne la condition liée à l’urgence, celui-ci juge ensuite l’affaire au fond.

2 L’intérêt lésé ouvrant droit à contester le contrat et à en demander la suspension

S’agissant de la qualité de sous-traitant, le Conseil d’Etat précise la notion d’intérêt lésé en jugeant que :

    « si la société requérante n’est pas un concurrent dont la candidature ou l’offre a été rejetée ou qui aurait été empêché de présenter sa candidature, et si en sa seule qualité de société susceptible d’intervenir en qualité de sous-traitante, elle ne justifie pas d’un intérêt lésé pouvant la rendre recevable à contester la validité du contrat en cause ».

Autrement dit, le Conseil d’Etat juge que la seule qualité de sous-traitant ne confère pas automatiquement la qualité de tiers justifiant d’un intérêt lésé suffisamment direct et certain.

Pour autant, en l’espèce, la Haute Juridiction va considérer que la société Pyxise justifie d’un intérêt lésé « direct et certain » puisque « l’offre d’un des groupements reposait sur la technologie que fournit cette société ».

De par cette particularité, qui la rend quasiment aussi indissociable de l’offre présentée que les autres membres du groupement, elle est donc regardée comme disposant d’un intérêt lésé, à l’inverse du sous-traitant lambda.

Cette solution fait d’ailleurs écho à une décision de la Cour de justice de l’Union européenne, qui avait considéré il y a quelques années qu’un changement de sous-traitant, même lorsque la possibilité en est prévue dans le contrat, peut, dans des cas exceptionnels, constituer une modification substantielle de l’un des éléments essentiels du contrat « lorsque le recours à un sous-traitant plutôt qu’à un autre a été, compte tenu des caractéristiques propres de la prestation en cause, un élément déterminant de la conclusion du contrat » 3) CJUE 13 avril 2010 Wall AG, aff. C-91/08, point 39..

3 Les moyens invocables

Si la société Pyxise dispose donc d’un intérêt lésé lui ouvrant droit à contester le contrat (et en l’occurrence à en demander la suspension), encore faut-il que les moyens qu’elle invoque soient en rapport direct avec cet intérêt dont elle se prévaut ou bien, à défaut, soient suffisamment graves pour que le juge soit le cas échéant conduit à les soulever d’office.

Le Conseil d’Etat juge qu’en l’état les vices invoqués par la société (à savoir : absence de publication au Journal officiel de l’Union européenne et de délai minimum de réponse de cinquante-trois jours ; violation de l’article L. 1425-1 du code général des collectivités territoriales ; violation de l’article 10 du code des marchés publics) ne sont pas de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité du marché en cause ; et rejette donc sa demande.

On peut à cet égard se demander si l’absence de doute sérieux quant à la légalité du marché au regard de ces moyens tient à leur caractère non fondé – ce que semble juger le Conseil d’Etat – ou bien au fait qu’ils ne seraient pas en rapport avec l’intérêt dont se prévaut la société Pyxise et donc invocables par cette dernière.

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1. CE Ass. 4 avril 2014, Département de Tarn-et-Garonne, req. n° 358994 : Rec. CE p. 70 ; BJCP 2014/94, p. 204, concl. Dacosta, obs. Terneyre ; AJDA p. 1035, chron. Bretonneau et Lessi.
2. Article L. 521-1 du code de justice administrative.
3. CJUE 13 avril 2010 Wall AG, aff. C-91/08, point 39.

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