En début d’été, le Conseil d’Etat rappelle que l’écran de la loi n’est pas total : « le coup de soleil de l’article 3 de la Charte de l’environnement sur un texte réglementaire ».

Catégorie

Droit administratif général, Environnement

Date

August 2013

Temps de lecture

4 minutes

CE Ass. 12 juillet 2013 Fédération nationale de la pêche en France, req. n° 344522 : Publié au Rec. CE.

Le 12 juillet 2013, le Conseil d’Etat s’est une nouvelle fois prononcé sur les conditions d’application de la théorie de « la loi écran » et du contrôle de constitutionnalité d’un texte réglementaire.

La Fédération nationale de la pêche en France a saisi le Conseil d’Etat d’un recours tendant notamment à l’annulation du décret n° 2010-1110 du 22 septembre 2010 relatif à la gestion et à la pêche de l’anguille. Elle soutenait qu’en autorisant aux professionnels, sous certaines conditions, la pêche de l’anguille de moins de 12 centimètres et de l’anguille argentée, le décret méconnaissait le principe de prévention posé à l’article 3 de la Charte de l’environnement 1)Article 3 de la Charte de l’environnement : « Toute personne doit, dans les conditions définies par la loi, prévenir les atteintes qu’elle est susceptible de porter à l’environnement ou, à défaut, en limiter les conséquences »..

Rappelons que la Charte de l’environnement a valeur constitutionnelle. Dès lors, se posait une nouvelle fois la question du contrôle du juge d’un texte réglementaire à une norme constitutionnelle alors que ce dernier était pris en application d’une loi 2)En l’espèce, en application de l’article L. 921-1 et suivants du code rural et de la pêche maritime. .

Le Conseil d’Etat avait déjà eu l’occasion de se prononcer sur l’étendue du contrôle du juge sur la conformité d’un acte administratif réglementaire à la Charte de l’environnement.

Dans sa décision du 19 juin 2006 Association Eau et rivières de Bretagne 3)CE 19 juin 2006 Association Eau et rivières de Bretagne, req. n° 282456, le juge administratif avait estimé que si des dispositions législatives avaient été prises concernant l’application des principes de la Charte de l’environnement, il convenait d’apprécier la conformité des textes réglementaires par rapport aux seules dispositions législatives. La loi faisait donc écran au contrôle direct par le juge du texte aux dispositions de la Charte.

En revanche, par l’arrêt du 3 octobre 2008 dit « Commune d’Annecy » 4)CE Ass. 3 octobre 2008 Commune d’Annecy, req. n° 297931, le Conseil d’Etat avait considéré que la loi du 23 février 2005 mettant en œuvre l’article 7 de la Charte ne faisait pas écran, dès lors que, certaines dispositions réglementaires contestées, n’avaient pas été prévues dans la loi. Sur ce point, le commissaire du gouvernement Yann Aguila rappelait dans ses conclusions que lorsque le vice invoqué était propre au texte réglementaire et ne résultait donc pas de l’application de la loi, l’écran de la loi était alors totalement transparent ce qui permettait au juge de passer outre et de contrôler la constitutionnalité du texte.

La décision commentée vient apporter des précisions sur ce contrôle en affirmant :

« la conformité au principe énoncé par l’article 3 de la Charte de l’environnement de dispositions législatives définissant le cadre de la prévention ou de la limitation des conséquences d’une atteinte à l’environnement, ou de l’absence de telles dispositions, ne peut être contestée devant le juge administratif en dehors de la procédure prévue à l’article 61-1 de la Constitution ; qu’en revanche, il appartient à celui-ci, au vu de l’argumentation dont il est saisi, de vérifier si les mesures prises pour l’application de la loi, dans la mesure où elles ne se bornent pas à en tirer les conséquences nécessaires, n’ont pas elles-mêmes méconnu ce principe »

Dès lors, de deux choses l’une :

►        Soit le texte réglementaire se contente de tirer les « conséquences nécessaires » de la loi, cette dernière fait alors « écran », et le seul moyen d’en contrôler la constitutionnalité est la voie de la question prioritaire de constitutionnalité en invoquant par voie d’exception l’inconstitutionnalité de la loi.

►        Soit le texte réglementaire va au-delà de la simple application de la loi et prévoit des mesures réglementaires propres, le juge administratif peut alors, dans ce seul cas, directement contrôler la conformité du texte aux dispositions constitutionnelles.

En l’espèce, le texte réglementaire venait préciser les modalités de mise en œuvre de la loi de l’article L. 921-1 du code rural et de la pêche maritime 5)L. 921-1 du code rural et de la pêche maritime : « Dans le respect des objectifs mentionnés à l’article L. 911-2, la récolte des végétaux marins, l’exercice de la pêche maritime embarquée à titre professionnel ou de loisir, de la pêche maritime non embarquée à titre professionnel ou de loisir, de la pêche sous-marine à titre professionnel ou de loisir et de la pêche à pied à titre professionnel ou non peuvent être soumis à la délivrance d’autorisations. Ces autorisations ont pour objet de permettre à une personne physique ou morale pour un navire déterminé, d’exercer ces activités pendant des périodes, dans des zones, pour des espèces ou groupe d’espèces et, le cas échéant, avec des engins et pour des volumes déterminés. Elles couvrent une période maximale de douze mois. Elles ne sont pas cessibles.” concernant spécifiquement l’autorisation de la pêche de l’anguille.

S’agissant de la contestation de mesures réglementaires autonomes, non prévues par la loi, cette dernière n’a pas fait écran au contrôle du juge…Le juge a alors accepté de contrôler directement leur conformité aux dispositions constitutionnelles. Toutefois, le décret a été maintenu, le juge ayant considéré qu’il ne méconnaissait pas les dispositions de l’article 3 de la Charte de l’environnement.

Le « coup de soleil » des dispositions constitutionnelles sur le texte réglementaire a donc, dans cette espèce, été mineur…Mais dans d’autres cas similaires, il pourrait avoir des conséquences plus importantes et conduire à une annulation.

 

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References   [ + ]

1. Article 3 de la Charte de l’environnement : « Toute personne doit, dans les conditions définies par la loi, prévenir les atteintes qu’elle est susceptible de porter à l’environnement ou, à défaut, en limiter les conséquences ».
2. En l’espèce, en application de l’article L. 921-1 et suivants du code rural et de la pêche maritime. 
3. CE 19 juin 2006 Association Eau et rivières de Bretagne, req. n° 282456
4. CE Ass. 3 octobre 2008 Commune d’Annecy, req. n° 297931
5. L. 921-1 du code rural et de la pêche maritime : « Dans le respect des objectifs mentionnés à l’article L. 911-2, la récolte des végétaux marins, l’exercice de la pêche maritime embarquée à titre professionnel ou de loisir, de la pêche maritime non embarquée à titre professionnel ou de loisir, de la pêche sous-marine à titre professionnel ou de loisir et de la pêche à pied à titre professionnel ou non peuvent être soumis à la délivrance d’autorisations. Ces autorisations ont pour objet de permettre à une personne physique ou morale pour un navire déterminé, d’exercer ces activités pendant des périodes, dans des zones, pour des espèces ou groupe d’espèces et, le cas échéant, avec des engins et pour des volumes déterminés. Elles couvrent une période maximale de douze mois. Elles ne sont pas cessibles.”

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