Exécution d’office par l’administration des travaux enjoints par le juge pénal tendant à la remise en état d’un terrain : la liquidation de l’astreinte n’en constitue ni un préalable ni une alternative

Catégorie

Urbanisme et aménagement

Date

April 2022

Temps de lecture

3 minutes

CE 5 avril 2022 Ministre de la transition écologique, req. n° 447631 : mentionné aux Tab. Rec. CE

Près de 100 ans séparent la décision rendue le 5 avril 2022 par le Conseil d’Etat ici commentée et sa fameuse décision Sieur Couitéas du 30 novembre 1923 (CE 30 novembre 1923, req. n° 38284 : publié au Rec. Leb.), et pourtant, il ne semble y avoir qu’un pas.

Dans sa décision de 1923, le Conseil d’Etat posait les jalons de sa jurisprudence sur la responsabilité sans faute de l’administration pour rupture d’égalité devant les charges publiques, caractérisée dans cette affaire par l’abstention de l’Etat à prêter le concours de la force publique pour assurer l’exécution d’une décision de justice. Bis repetita en 2022.

En effet, dans cette décision du 5 avril 2022, le Conseil d’Etat était saisi d’une affaire soulevant la question des conditions permettant d’engager la responsabilité de l’Etat du fait de son refus d’exécuter d’office – en lieu et place des contrevenants – une décision judiciaire portant condamnation à remettre en état des parcelles à la suite de travaux d’exhaussement et d’affouillement de sols et de coupes et d’abattages d’arbres non autorisés.

Les dispositions des articles L. 480-5, L. 480-7 du code de l’urbanisme permettent en effet au juge pénal d’assortir sa condamnation d’une injonction à l’égard du contrevenant de démolir, remettre en conformité ou réaffecter les sols en vue du rétablissement des lieux dans leur état antérieur dans un délai donné et, le cas échéant, sous astreinte.

Les articles L. 480-8 et L. 480-9 de ce même code prévoient ensuite que cette astreinte, si elle est prononcée, doit être liquidée au moins une fois par an par l’administration et que faute d’exécution de la décision de justice par le contrevenant à l’expiration du délai imparti, « le maire ou le fonctionnaire compétent peut faire procéder d’office à tous travaux nécessaires » pour son exécution aux frais et risques du bénéficiaire des travaux irréguliers ou de l’utilisation irrégulière du sol.

Dans une décision du 13 mars 2019 (CE 13 mars 2019 M. C., req. n° 408126 : mentionné dans les Tab. Rec. CE), le Conseil d’Etat avait déjà confirmé – dans la droite lignée de sa jurisprudence Couitéas – que des motifs tirés de la sauvegarde de l’ordre ou de la sécurité publics pouvaient justifier ce refus d’exécution d’office, et donc l’ouverture du régime de responsabilité sans faute. En cas de refus illégal cependant, le régime de la responsabilité pour faute doit s’appliquer.

Réaffirmant ce principe, le Conseil d’Etat en précise les modalités d’application, dans un sens plus strict envers l’administration.

1.      Le point de départ de l’obligation d’exécution d’office

La première question posée au Conseil d’Etat dans cette affaire portait sur le fait de savoir si la liquidation de l’astreinte, dans l’hypothèse où elle a été prononcée par le juge pénal, constituait un préalable à l’exécution d’office, laquelle deviendrait en quelque sorte subsidiaire.

C’est la position que soutenait le ministre en indiquant que la liquidation de l’astreinte permettait d’écarter l’inaction qui lui était reprochée et, par conséquent, toute carence permettant d’engager sa responsabilité.

Toutefois, précise le Conseil d’Etat, « l’obligation à laquelle est tenue l’autorité compétente de faire procéder aux travaux nécessaires à l’exécution de la décision de justice prend effet à l’expiration du délai fixé par le juge pénal, indépendamment du prononcé éventuel d’une astreinte par le juge ou de sa liquidation par l’Etat », cette liquidation ne constituant « ni un préalable ni une alternative à cette exécution d’office ».

L’administration sera donc contrainte par le délai fixé par le juge pénal, à l’expiration duquel celle-ci pourra être tenue de se substituer au contrevenant inactif, sauf à justifier d’un motif qui lui permettrait de refuser régulièrement l’exécution d’office.

2.     Les motifs susceptibles de fonder un refus d’exécution d’office

En second lieu, le ministre reprochait à la cour administrative d’appel de Marseille de s’être mépris sur le sens de ses écritures puisqu’il estimait que son refus d’exécution devait être jugé régulier puisque fondé sur les difficultés d’exécution de la décision, tant d’ordre technique que financier compte-tenu du coût de la remise en état de lieux.

Ce moyen tendait donc à inclure ces motifs dans ceux tenant au « maintien de l’ordre et de la sécurité publique » (CE 30 novembre 1923 Sieur Couitéas, req. n° 38284 : publié au Rec. Leb.) autorisant un refus régulier du concours de la force publique.

Le Conseil d’Etat écarte cependant cette possibilité, le rapporteur public indiquant dans ses conclusions sur cette affaire que « cette réserve d’ordre public vise les situations dans lesquelles la remise en état entrainerait des problèmes de sécurité », et ne permet donc de couvrir des simples difficultés financières ou techniques.

Faute de justifier régulièrement d’un motif fondé sur cette réserve d’ordre public, le refus de prêter le concours de la force public devra être jugé illégal, et donc susceptible d’engager la responsabilité pour faute de l’administration.

 

 

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