Extinction des publicités lumineuses entre 1h et 6h du matin : annulation partielle du décret du 5 octobre 2022 pour défaut de mesure transitoire

Catégorie

Environnement

Date

March 2023

Temps de lecture

4 minutes

CE 24 février 2023 Syndicat national de la publicité extérieure (SNPE), req. n° 468221 : mentionné aux tables du recueil Lebon

Le Conseil d’Etat a pris position sur la notion d’atteinte excessive aux intérêts privés que l’entrée en vigueur immédiate d’une nouvelle règlementation est susceptible d’entrainer, dans une décision du 24 février 2023 rendue dans le cadre d’un recours du syndicat national de la publicité extérieure (SNPE).

Pour mémoire 1)voir notre article « Publicités et enseignes lumineuses : un principe d’extinction nocturne obligatoire… presque partout » de novembre 2022, le décret du 5 octobre 2022 a instauré une obligation d’extinction entre 1 heure et 6 heures pour l’ensemble des publicités lumineuses et des enseignes lumineuses où qu’elles se trouvent sur le territoire, « à l’exception de celles installées sur l’emprise des aéroports, et de celles supportées par le mobilier urbain affecté aux services de transport et durant les heures de fonctionnement desdits services, à condition, pour ce qui concerne les publicités numériques, qu’elles soient à images fixes. ».

L’article 4 du décret instaure une mesure transitoire d’entrée en vigueur de cette obligation, au 1er juin 2023, exclusivement pour les publicités lumineuses supportées par le mobilier urbain.

Le pouvoir règlementaire a donc considéré que, pour l’ensemble des autres dispositifs de publicité et d’enseigne lumineuses, l’intérêt public relatif à cette obligation d’extinction exigeait une entrée en vigueur dans les règles de droit commun, c’est-à-dire le lendemain de la publication du décret (le décret est entré en vigueur le 6 octobre 2022).

Cette différence de traitement a été dénoncée par le SNPE qui estimait qu’elle entrait en contradiction avec les dispositions de l’article L. 221-5 du code des relations entre le public et l’administration selon lesquelles : « L’autorité administrative investie du pouvoir réglementaire est tenue […] d’édicter des mesures transitoires […] lorsque l’application immédiate d’une nouvelle réglementation est impossible ou qu’elle entraîne, au regard de l’objet et des effets de ses dispositions, une atteinte excessive aux intérêts publics ou privés en cause […] ».

D’abord saisi dans le cadre d’un référé suspension, le Conseil d’Etat avait fait observer, dans une ordonnance du 26 octobre 2022 (req n° 468222), que le réglage des dispositifs n’était pas matériellement impossible dans les brefs délais qui étaient imposés et que les poursuites pénales également établies sans délai par le décret prévoyaient une procédure de mise en demeure avant toute sanction de telle sorte que les opérateurs avaient en tout état de cause un délai supplémentaire pour se mettre en conformité.

Le Conseil d’Etat avait alors rejeté le recours de la SNPE sur le fondement de l’absence d’urgence et ne s’était pas positionné sur l’existence d’un doute sérieux sur la légalité des dispositions règlementaires litigieuses.

C’est à présent chose faite puisque la décision au fond du 24 février 2023 donne, partiellement, raison au SNPE en annulant l’article 4 du décret du 5 octobre 2022 « en tant qu’il n’a pas différé l’obligation d’extinction nocturne pour les publicités lumineuses autres que celles supportées par le mobilier urbain et dont le fonctionnement ou l’éclairage n’est pas pilotable à distance ».

Une annulation prudente dont la portée est avant tout théorique.

En effet, l’annulation est limitée aux seuls dispositifs non pilotables à distance pour lesquels, et on le comprend bien, les opérateurs publicitaires ne pouvaient matériellement pas opérer les réglages nécessaires dès le lendemain de la publication du décret.

Dans ces conditions, alors qu’une absence de mise en conformité peut conduire au prononcé de contraventions de la cinquième classe, il incombait au pouvoir réglementaire, pour des motifs de sécurité juridique, de permettre aux opérateurs publicitaires de disposer d’un délai pour procéder à cette mise en conformité.

Ce faisant, le Conseil d’Etat a considéré que l’entrée en vigueur de l’obligation généralisée d’extinction nocturne le lendemain de la publication du décret a porté une atteinte excessive aux intérêts des entreprises du secteur.

Par ailleurs, le Conseil d’Etat relève que la généralisation de l’obligation d’extinction nocturne répond à l’intérêt général qui s’attache à la protection de l’environnement et du cadre de vie ainsi qu’aux efforts d’économies d’énergie et de lutte contre le gaspillage énergétique. Plus spécifiquement, il constate qu’à la date du décret du 5 octobre 2022 les perspectives en matière d’approvisionnement énergétique et de tension sur le réseau électrique durant l’hiver impliquaient de prendre des mesures rapides pour faire face aux difficultés anticipées.

L’intérêt général de l’obligation d’extinction conduit ainsi le juge administratif à préciser qu’un délai transitoire d’un mois pour son entrée en vigueur était suffisant.

L’équilibre ainsi établi par le juge entre des intérêts publics et/ou privés divergents relève d’une évidente appréciation au cas par cas : Le Conseil d’Etat prend en effet soin de rappeler que les professionnels du secteur avaient été informés depuis le printemps 2021 des projets d’évolution de la règlementation à venir et que la seule circonstance que, pour les publicités lumineuses supportées par le mobilier urbain qui étaient antérieurement exemptées de façon générale de l’obligation d’extinction nocturne, l’application de la nouvelle obligation s’imposant désormais à elles ait été différée au 1er juin 2023 ne saurait, en tout état de cause, caractériser une atteinte au principe d’égalité.

Nous retiendrons que ce n’est pas tant l’impact économique des sanctions pénales qui justifie l’annulation partiellement du décret du 5 octobre mais bien le principe même d’une obligation sanctionnable imposée du jour au lendemain sans possibilité matérielle avérée pour les opérateurs publicitaires de se mettre en conformité dans le délai imposé. Une période transitoire de courte durée est au demeurant justifiée par les impératifs d’approvisionnement énergétique au jour de l’adoption du décret.

En définitive, le Conseil d’Etat rappelle l’absence de droit au maintien d’une règlementation et procède à un délicat arbitrage entre les intérêts publics qui ont gouverné l’édiction de cette nouvelle règlementation et la sécurité juridique revendiquée par les entreprises.

 

 

 

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