Forages d’exploration et évaluation environnementale

Catégorie

Environnement

Date

February 2015

Temps de lecture

4 minutes

CJUE 11 février 2015 Marktgemeinde Straßwalchen e.a. c/ Bundesminister für Wirtschaft, Familie und Jugend, aff. C-531/13

La directive 85/337/CEE du Conseil du 27 juin 1985 concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement a constitué durant de longues années la source du droit communautaire des études d’impact. En raison des nombreuses modifications qu’elle a subies, elle a fait l’objet d’une codification qui a abouti à son remplacement par la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement. S’agissant toutefois d’une codification à droit constant, les décisions interprétant la directive 85/337 conservent tout leur intérêt au regard de l’actuelle directive 2011/92.

C’est précisément au regard des dispositions de la directive 85/337, et plus particulièrement de ses annexes, que la Cour de justice de l’Union européenne vient de rendre une décision dans une affaire où était en cause la réalisation d’un forage d’exploration de 4 150 mètres de profondeur qui, n’ayant pas fait l’objet d’une évaluation de ses incidences sur l’environnement, était contesté par une soixantaine de personnes.

1 Le contexte de la décision

Le maître d’ouvrage avait en effet obtenu la permission, en cas de découverte d’hydrocarbures, d’extraire, à titre expérimental, du gaz naturel pour une quantité totale pouvant atteindre 1 000 000 m3, afin de s’assurer de l’exploitabilité du forage (à raison, essentiellement, de 150 000 m3 à 250 000 m3 de gaz par jour).

L’article 4 de la directive 85/337 prévoit que les projets de travaux ou d’ouvrages figurant à l’annexe I de la directive sont soumis à évaluation environnementale et que ceux figurant à l’annexe II peuvent l’être, soit d’emblée s’ils atteignent certains seuils, soit après un examen au cas par cas par l’autorité administrative 1)En droit français, les modalités de l’examen au cas par cas sont notamment fixés par les articles R. 122-2, R. 122-3 et R. 122-6 du code de l’environnement..

Au point 14 de l’annexe I, on trouve à cet égard la rubrique « Extraction de pétrole et de gaz naturel à des fins commerciales, lorsque les quantités extraites dépassent quotidiennement 500 tonnes de pétrole et 500 000 mètres cubes de gaz ».

Les requérants contestant l’absence d’évaluation environnementale du forage d’exploration préalablement à sa réalisation, le juge national saisi a interrogé la Cour de justice :

    – D’abord sur la question de savoir si un forage d’exploration intervient « à des fins commerciales » alors qu’il ne vise qu’à vérifier la rentabilité d’un gisement, le volume total d’hydrocarbures susceptibles d’être extraits dans ce cadre pouvant être au surplus relativement restreint.
    – Et ensuite, et dans l’affirmative, sur celle de savoir si l’administration ne doit prendre en compte, pour apprécier la nécessité d’une évaluation des incidences sur l’environnement au regard des seuils fixés, que l’ensemble des projets de même nature du point de vue de leur effet cumulatif, et en l’espèce tous les forages exploités sur le territoire de la commune.

2 La source de l’obligation d’une évaluation environnementale

Sur la première question, la Cour de justice répond en deux temps, en retenant la possibilité d’une évaluation environnementale mais sur un autre fondement que celui envisagé.

Elle considère ainsi d’abord que « le point 14 de l’annexe I de la directive 85/337 doit être interprété en ce sens qu’un forage d’exploration, tel que celui en cause au principal, dans le cadre duquel un essai d’extraction de gaz naturel et de pétrole est envisagé afin de déterminer l’exploitabilité commerciale d’un gisement, ne relève pas du champ d’application de cette disposition » (point 32).

Elle relève ainsi que s’il « est vrai qu’un forage d’exploration réalisé en vue de vérifier l’exploitabilité et donc la rentabilité d’un gisement est, par définition, une opération effectuée à des fins commerciales [et qu’il] n’en irait autrement […] que dans le cas d’un forage servant uniquement à des fins de recherche scientifique et non à la préparation d’une activité économique » (point 22), il résulte néanmoins du contexte et de l’objectif du point 14 de l’annexe I qu’il ne concerne pas les forages d’exploration.

Premièrement, cette annexe « prévoit des seuils qui doivent être dépassés quotidiennement, ce qui indique qu’elle vise des projets d’une certaine durée qui permettent l’extraction continue de quantités relativement importantes d’hydrocarbures » (point 23). Deuxièmement, les seuils retenus sont « sans rapport » avec les quantités extraites dans les forages d’exploration tels que celui en cause (point 24). Troisièmement, « ce n’est que sur la base d’un forage d’exploration que peut être déterminée la quantité d’hydrocarbures qui peut être extraite quotidiennement » (point 25).

Dans un second temps, elle relève cependant au vu de l’annexe II de la directive « que l’ensemble des forages d’exploration n’échappent pas d’emblée au champ d’application de cette directive » (point 26).

En effet, cette annexe, qui vise les projets soumis à évaluation environnementale soit en fonction de seuils soit après un examen au cas par cas, comporte une rubrique « industries extractives » qui mentionne les : « Forages en profondeur, notamment : les forages géothermiques, les forages pour le stockage des déchets nucléaires, les forages pour l’approvisionnement en eau, à l’exception des forages pour étudier la stabilité des sols ».

Elle en déduit que, « dans la mesure où les forages d’exploration constituent des forages en profondeur, ils relèvent » de cette rubrique (point 30), avant de relever « qu’un forage d’exploration, tel que celui en cause au principal, qui vise à déterminer l’exploitabilité commerciale d’un gisement et qui peut aller jusqu’à 4 150 mètres de profondeur, constitue un forage en profondeur » au sens de ces dispositions (point 31).

3 L’appréciation des effets cumulés du forage et d’autres projets

Sur la seconde question, qui portait sur le point de savoir si l’autorité compétente n’est tenue de prendre en compte que les effets cumulatifs des projets de même nature et, en l’occurrence, tous les forages exploités sur le territoire de la commune, la Cour considère « qu’il incombe à une autorité nationale, lorsqu’elle vérifie si un projet doit être soumis à une évaluation des incidences sur l’environnement, d’examiner l’impact que celui-ci pourrait avoir conjointement avec d’autres projets [et que], en l’absence de spécification, cette obligation n’est pas limitée aux seuls projets de même nature » (point 45), pas davantage que « l’appréciation à porter sur l’incidence d’autres projets ne saurait dépendre des limites communales » (point 46).

En effet, l’article 2 de la directive, dont les deux premiers paragraphes renvoient aux annexes I et II, prévoit en son paragraphe 3 que, pour l’examen au cas par cas ou la fixation des seuils ou critères fixés en application du paragraphe 2, il est tenu compte des critères de sélection pertinents fixés à l’annexe III.

Or, au nombre de ces derniers, figurent les effets cumulatifs du projet avec d’autres projets, la Cour relevant à cet égard que « l’absence de prise en considération de l’effet cumulatif d’un projet avec d’autres projets peut avoir pour résultat pratique de le soustraire à l’obligation d’évaluation alors que, pris ensemble avec d’autres projets, il est susceptible d’avoir des incidences notables sur l’environnement » (point 43).

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1. En droit français, les modalités de l’examen au cas par cas sont notamment fixés par les articles R. 122-2, R. 122-3 et R. 122-6 du code de l’environnement.

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