Formule de notation et respect du principe d’égalité : quel contrôle du juge ?

Catégorie

Contrats publics

Date

October 2013

Temps de lecture

5 minutes

CAA Nantes 19 septembre 2013 Commune de Belleville-sur-Loire, req. n° 12NT01553

Les règles relatives aux mesures de publicité dont doivent bénéficier les critères et sous critères de jugement des offres sont à présent fixées[1]. De manière schématique, dès lors que l’on a affaire à un critère de sélection au sens de l’article 53 du CMP[2], ceux-ci ainsi que leur pondération ou leur hiérarchisation doivent être portés à la connaissance des candidats. Par ailleurs, le juge en contrôle la légalité[3].

Les obligations de transparence s’avèrent moins prégnantes s’agissant de la méthode de notation des critères et sous-critères : le devoir d’information du pouvoir adjudicateur sur les critères d’attribution d’un marché public ne s’étend pas aux éléments de la méthode retenue pour les noter[4] (on pense, par exemple, aux formules mathématiques utilisées pour attribuer une note au critère prix).

Toutefois, si le juge permet au pouvoir adjudicateur de « cacher » en quelque sorte sa méthode de notation, ce qui est discutable dès lors qu’en fonction des mécanismes il est possible d’accentuer ou de réduire les écarts entre les candidats[5], il n’en contrôle pas moins, in fine, sa régularité.

Dans un arrêt du 19 septembre dernier, la cour administrative d’appel de Nantes offre une illustration de ce contrôle.

A la suite d’un appel à concurrence lancé par la commune de Belleville-sur-Loire en vue de passer un marché à bons de commande pour l’entretien de ses espaces verts divisé en quatre lots, une société s’est vue attribuer l’ensemble des lots.

Par un recours gracieux, le préfet du Cher a sollicité de la part de la commune la résiliation des lots. Compte tenu du refus opposé par celle-ci, le préfet a saisi le tribunal administratif d’Orléans en invoquant l’illégalité de la méthode de notation retenue. Le tribunal a fait droit à sa demande de déféré en prononçant l’annulation des lots en question.

La cour administrative d’appel de Nantes va confirmer la position du juge de première instance.

Après avoir rappelé la méthode utilisée pour noter le critère prix[6], le juge d’appel en examine les impacts pour conclure à son illégalité :

« la méthode d’appréciation du prix ainsi définie avait pour effet de réduire de manière importante la portée du critère du prix dans l’appréciation globale des offres, dès lors que les écarts entre les prix étaient pour une grande part neutralisés, et de conférer aux deux autres critères, et en particulier au critère technique, une portée supérieure à la proportion de respectivement 50 % et 40% retenue pour son appréciation ; que, par application de ces critères, la société Milan Paysages s’est vu attribuer les quatre lots alors qu’en ce qui concerne le lot n° 1 notamment l’offre de l’association Altea reposait sur un prix inférieur de moitié à celui proposé par elle ; qu’en retenant une telle méthode d’appréciation des offres la commune doit, ainsi, être regardée comme ayant, pour les quatre lots en litige, méconnu les règles de la concurrence et le principe d’égalité entre les candidats, alors même que l’application de cette méthode a pu rester sans influence sur l’attribution de certains des lots en cause ; (…) les premiers juges ont, pour ce seul motif, régulièrement pu annuler les marchés litigieux ».

Schématiquement, un candidat proposant un prix substantiellement plus compétitif[7] voyait son avantage neutralisé de sorte que la portée des critères et de leur pondération s’en trouvait remise en cause. On relèvera que la méthode est censurée en elle-même puisque la cour annule le marché alors même que celle-ci « a pu rester sans influence sur l’attribution ».

Cet arrêt rappelle donc que le juge administratif est susceptible de contrôler l’ingénierie mise en œuvre dans le cadre de la méthode de notation. La difficulté est alors de déterminer à partir de quand les effets de la méthode adoptée seront jugés acceptables ou non[8]. Pour l’heure, on précisera que la Haute Juridiction avait déjà censuré :

►        une méthode de notation qui aboutissait à l’attribution, pour un ou plusieurs critères, de notes négatives[9] ; et

►        la mauvaise conception d’une méthode de notation qui ne pouvait pas être mise en œuvre dans certains cas[10] et qui « au demeurant (…) ne permettait pas d’attribuer de manière certaine la meilleure note au candidat proposant l’offre la plus avantageuse ».


[1]     CE sect. 30 janvier 2009 ANPE, req. n° 290236 – CE 18 juin 2010 commune de Saint-Pal-de-Mons, req. n° 337377.

[2]     S’agissant des sous-critères, la grille de lecture du juge est la suivante : « si le pouvoir adjudicateur décide, pour mettre en œuvre ces critères de sélection des offres, de faire usage de sous-critères également pondérés ou hiérarchisés, il doit porter à la connaissance des candidats la pondération ou la hiérarchisation de ces sous-critères dès lors que, eu égard à leur nature et à l’importance de cette pondération ou hiérarchisation, ils sont susceptibles d’exercer une influence sur la présentation des offres par les candidats ainsi que sur leur sélection et doivent en conséquence être eux-mêmes regardés comme des critères de sélection […] » (CE 18 juin 2010 commune de Saint-Pal-de-Mons, req. n° 337377) – cf. également : CE 25 mars 2013 société Cophignon et OPH des Ardennes, req. n° 364951.

[3]     CE 18 décembre 2012 UGAP, req. n°363208 – CE 25 mars 2013 département de l’Isère, req. n° 364950.

[4]     CE 25 mars 2013 société Cophignon et OPH des Ardennes, req. n° 364951 – CE 21 mai 2010 commune d’Ajaccio, req. n° 333737 – CE 31 mars 2010 collectivité territoriale de Corse, req. n° 334279 – CE 2 août 2011 syndicat mixte de la vallée de l’Orge aval, req. n° 348711 – CE 23 mai 2011 commune d’Ajaccio, req. n° 339406.

[5]     Voir notamment sur ces points : M. Jacob, P. Pasquier, P. Ravenel, L’offre économiquement la plus avantageuse, Le Moniteur, 2ème éd. – O. Frot, Marchés publics : comment choisir le mieux disant, Afnor, 2006.

[6]     « Le règlement de la consultation prévoyait pour l’ensemble des lots que les offres de prix (P) seraient notées au prorata de leur valeur relative par rapport à l’offre de prix la plus basse (P0) selon la formule mathématique suivante : Np = 40/12 X (7 – P/P0) et que la valeur technique résulterait de l’addition des notes attribuées pour chacun des sous-critères (…) ».

[7]     Moitié moindre nous apprend l’arrêt.

[8]     Pour des exemples de contrôle n’ayant pas abouti à la censure de la méthode de notation : TA Montreuil ord. 9 septembre 2013 société ICF Environnement, req. n° 1308782 – CE 15 février 2013 société SFR, req. n° 363854 – CE 11 avril 2012 syndicat Ody 1218 Newline du Lloyd’s de Londres, req. n° 354652 – 354652 – CE 21 mai 2010 commune d’Ajaccio, req. n° 333737.

[9]     CE 18 décembre 2012 département de la Guadeloupe, req. n° 362532 : une telle note, « en se soustrayant aux notes obtenues sur les autres critères dans le calcul de la note globale, serait susceptible de fausser la pondération relative des critères initialement définie et communiquée aux candidats ».

[10]    CE 19 avril 2013 ville de Marseille, req. n° 365340 : « la méthode de notation retenue, consistant en la détermination d’une note globale par la somme des notes attribuées, d’une part, à la proposition de prix payable par la ville à son cocontractant pour l’enlèvement des véhicules et, d’autre part, à la proposition de prix de reprise du véhicule payable, à l’inverse, par le cocontractant à la ville, ne pouvait être mise en œuvre dans l’hypothèse d’une offre de prix pour l’enlèvement des véhicules d’un montant égal à zéro euro, dès lors qu’elle reposait sur le calcul du quotient entre le montant de l’offre la moins disante et le montant de l’offre du candidat, et que cette difficulté avait suscité une incertitude au moment du dépôt des offres, conduisant la ville à modifier la formule au moment de l’analyse des offres ».

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