Ce n’est pas toujours au maître d’ouvrage de payer les travaux supplémentaires !

Catégorie

Contrats publics

Date

March 2024

Temps de lecture

4 minutes

CAA Paris 1er mars 2024 Société CIDAD, req. n° 21PA04681

Par un arrêt du 1er mars 2024, la cour administrative d’appel de Paris précise les conditions d’engagement de la responsabilité quasi-délictuelle des autres participants à une opération de construction à l’égard du titulaire du marché public de travaux.

En l’espèce, le département de Paris a conclu un marché de travaux portant sur la construction d’un collège, d’un centre sportif et de logements de fonction, décomposé en cinq lots. Le lot n° 1 « gros-œuvre étendu » a été confié à la société Hervé, le lot n° 2 « plomberie, chauffage, ventilation » à la société UTB et le lot n° 3 « électricité courants forts et faibles » à la société Balas. La maîtrise d’œuvre a quant à elle été confiée à un groupement conjoint dont la société Ateliers 234 était le mandataire, qui a sous-traité la mission d’ordonnancement, pilotage et coordination des travaux (OPC) à la société CIDAD.

La réception avec réserves a été prononcée le 1er avril 2015 avec un retard de 4 mois et 14 jours.

Les sociétés CIDAD, Balas et Ateliers 234 ont interjeté appel du jugement du tribunal administratif de Paris qui les a condamnées in solidum, à la demande de la société Hervé, à indemniser cette dernière au titre de travaux de reprise et de l’allongement de la durée du chantier. La société UTB a, quant à elle, formé un appel provoqué.

Pour rappel, il est constant que le titulaire d’un marché peut rechercher la responsabilité quasi-délictuelle des autres participants à une même opération de travaux avec lesquels il n’est pourtant lié par aucun contrat de droit privé 1)CE 5 juillet 2017 Société Eurovia Champagne-Ardenne, req. n° 396430 : mentionné aux T. du Rec. CE : « Considérant que, dans le cadre d’un contentieux tendant au règlement d’un marché relatif à des travaux publics, le titulaire du marché peut rechercher, outre la responsabilité contractuelle du maître d’ouvrage, la responsabilité quasi-délictuelle des autres participants à la même opération de construction avec lesquels il n’est lié par aucun contrat de droit privé ».

A ce titre, le Conseil d’Etat avait récemment précisé que, lorsqu’il engage la responsabilité quasi-délictuelle des autres participants à une opération de construction avec lesquels il n’est pourtant pas contractuellement lié, le titulaire d’un marché de travaux peut se prévaloir des manquements aux stipulations des contrats qu’ils ont conclus avec le maître d’ouvrage 2)CE 11 octobre 2021 Société CMEG, req. n° 438872 : au Rec. CE : « Dans le cadre d’un litige né de l’exécution de travaux publics, le titulaire du marché peut rechercher la responsabilité quasi-délictuelle des autres participants à la même opération de construction avec lesquels il n’est lié par aucun contrat, notamment s’ils ont commis des fautes qui ont contribué à l’inexécution de ses obligations contractuelles à l’égard du maître d’ouvrage, sans devoir se limiter à cet égard à la violation des règles de l’art ou à la méconnaissance de dispositions législatives et réglementaires. Il peut en particulier rechercher leur responsabilité du fait d’un manquement aux stipulations des contrats qu’ils ont conclus avec le maître d’ouvrage ».

En l’espèce, se fondant sur cette jurisprudence, la cour administrative d’appel de Paris considère que :

« Dans le cadre d’un litige né de l’exécution de travaux publics, le titulaire du marché peut rechercher la responsabilité quasi délictuelle des autres participants à la même opération de construction avec lesquels il n’est lié par aucun contrat, sans devoir se limiter à cet égard à la violation des règles de l’art ou à la méconnaissance de dispositions législatives et réglementaires »

Appliquant ce principe aux travaux de reprise dont la société Hervé sollicitait le paiement, la cour estime que dès lors qu’il ne s’agit pas de travaux supplémentaires commandés par le maître d’ouvrage mais de travaux rendus nécessaires par la dégradation de ses ouvrages imputable à des fautes commises par d’autres intervenants au chantier, ce n’est pas au maître d’ouvrage de les payer. Les sociétés intervenantes sur le chantier peuvent donc être condamnées à indemniser cette société sur le fondement de la responsabilité quasi délictuelle.

En l’occurrence, la cour considère d’abord que c’est à tort que le tribunal administratif de Paris a condamné in solidum la société CIDAD au paiement des travaux de reprise, les dégradations en cause ne lui étant pas imputables. Puis, elle confirme le jugement sur la condamnation in solidum des sociétés Balas et UTB, compte tenu des fautes qu’elles ont commises.

S’agissant de l’allongement de la durée du chantier, la cour examine également si les conditions d’engagement de la responsabilité quasi-délictuelle sont réunies. Elle estime ainsi que si la responsabilité de la société Balas dans l’allongement de la durée du chantier a pu être engagée à bon droit, le montant de l’indemnisation prononcée par le tribunal administratif doit toutefois être réduit (seuls les frais de gardiennage après la réception peuvent être mis à sa charge).

Précisons enfin qu’il existe une subtilité lorsque c’est le maître d’ouvrage qui engage la responsabilité quasi-délictuelle des participants à une opération de construction avec lesquels il n’a pas conclu de contrat de louage d’ouvrage. Il peut effectivement engager une action à l’encontre de ceux qui sont intervenus sur le fondement d’un contrat conclu avec l’un des constructeurs, en invoquant la violation des règles de l’art ou la méconnaissance de dispositions législatives mais pas au titre des manquements aux obligations contractuelles 3)CE 7 décembre 2015 Commune de Bihorel, req. n° 380419 : au Rec. CE : « Considérant qu’il appartient, en principe, au maître d’ouvrage qui entend obtenir la réparation des conséquences dommageables d’un vice imputable à la conception ou à l’exécution d’un ouvrage de diriger son action contre le ou les constructeurs avec lesquels il a conclu un contrat de louage d’ouvrage ; qu’il lui est toutefois loisible, dans le cas où la responsabilité du ou des cocontractants ne pourrait pas être utilement recherchée, de mettre en cause, sur le terrain quasi-délictuel, la responsabilité des participants à une opération de construction avec lesquels il n’a pas conclu de contrat de louage d’ouvrage, mais qui sont intervenus sur le fondement d’un contrat conclu avec l’un des constructeurs ; que s’il peut, à ce titre, invoquer, notamment, la violation des règles de l’art ou la méconnaissance de dispositions législatives et réglementaires, il ne saurait, toutefois, se prévaloir de fautes résultant de la seule inexécution, par les personnes intéressées, de leurs propres obligations contractuelles ».

 

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References   [ + ]

1. CE 5 juillet 2017 Société Eurovia Champagne-Ardenne, req. n° 396430 : mentionné aux T. du Rec. CE : « Considérant que, dans le cadre d’un contentieux tendant au règlement d’un marché relatif à des travaux publics, le titulaire du marché peut rechercher, outre la responsabilité contractuelle du maître d’ouvrage, la responsabilité quasi-délictuelle des autres participants à la même opération de construction avec lesquels il n’est lié par aucun contrat de droit privé »
2. CE 11 octobre 2021 Société CMEG, req. n° 438872 : au Rec. CE : « Dans le cadre d’un litige né de l’exécution de travaux publics, le titulaire du marché peut rechercher la responsabilité quasi-délictuelle des autres participants à la même opération de construction avec lesquels il n’est lié par aucun contrat, notamment s’ils ont commis des fautes qui ont contribué à l’inexécution de ses obligations contractuelles à l’égard du maître d’ouvrage, sans devoir se limiter à cet égard à la violation des règles de l’art ou à la méconnaissance de dispositions législatives et réglementaires. Il peut en particulier rechercher leur responsabilité du fait d’un manquement aux stipulations des contrats qu’ils ont conclus avec le maître d’ouvrage »
3. CE 7 décembre 2015 Commune de Bihorel, req. n° 380419 : au Rec. CE : « Considérant qu’il appartient, en principe, au maître d’ouvrage qui entend obtenir la réparation des conséquences dommageables d’un vice imputable à la conception ou à l’exécution d’un ouvrage de diriger son action contre le ou les constructeurs avec lesquels il a conclu un contrat de louage d’ouvrage ; qu’il lui est toutefois loisible, dans le cas où la responsabilité du ou des cocontractants ne pourrait pas être utilement recherchée, de mettre en cause, sur le terrain quasi-délictuel, la responsabilité des participants à une opération de construction avec lesquels il n’a pas conclu de contrat de louage d’ouvrage, mais qui sont intervenus sur le fondement d’un contrat conclu avec l’un des constructeurs ; que s’il peut, à ce titre, invoquer, notamment, la violation des règles de l’art ou la méconnaissance de dispositions législatives et réglementaires, il ne saurait, toutefois, se prévaloir de fautes résultant de la seule inexécution, par les personnes intéressées, de leurs propres obligations contractuelles »

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