Guide sur les autorisations de la nouvelle commission nationale d’aménagement commercial à destination des juges du fond

Catégorie

Aménagement commercial

Date

February 2011

Temps de lecture

7 minutes

Suite à la modification des dispositions de l’article R. 311-1 du code de justice administrative par le décret n° 2010-164 du 22 février 2010 et la suppression de la compétence du Conseil d’Etat pour connaître des « recours dirigés contre les décisions administratives des organismes collégiaux à compétence nationale », les décisions de la commission nationale d’aménagement commercial (CNAC) doivent désormais être contestées devant le tribunal administratif.

Toutefois, avant l’intervention de ce décret, le Conseil d’Etat a été saisi d’une cinquantaine de requêtes en la matière. L’occasion pour la Haute Juridiction de fixer les bases de la jurisprudence qui sera désormais appliquée par les tribunaux administratifs.

C’est ainsi que, par un arrêt du 4 octobre 2010 Syndicat Commercial et Artisanal de l’Agglomération Sénonaise (req. n° 333413), publié au Recueil Lebon, le Conseil d’Etat a non seulement confirmé le fait que sa jurisprudence précédente relative à la procédure suivie devant la commission nationale d’équipement commercial (CNEC) s’applique de la même manière à la CNAC (2) mais s’est également prononcé sur les critères de fond qui président désormais aux autorisations d’aménagement commercial (3).

Avant de développer ces deux points, il convient de revenir brièvement sur la notion d’intérêt à agir à l’encontre d’une autorisation d’exploitation (1).

1          L’intérêt à agir à l’encontre d’une autorisation d’exploitation reste un intérêt commercial

Le 22 juillet 2009, la CNAC a confirmé l’autorisation qui avait été accordée par la commission départementale d’aménagement commercial de l’Yonne pour la création d’un ensemble commercial d’une surface de vente de 14 850 m² dénommé Porte de Bourgogne à Sens.

Cette décision a été contestée devant la Haute Juridiction par le Syndicat commercial et artisanal de l’agglomération sénonaise et les sociétés Bonnemain et Sens Distribution, deux sociétés exploitant chacune un commerce concurrent de la zone de chalandise. En ne se prononçant pas sur les fins de non recevoir soulevées par les défendeurs, le Conseil d’Etat a implicitement reconnu l’intérêt à agir de ces requérants.

Par conséquent, la Haute Juridiction continue de considérer que justifie d’un intérêt à agir contre une autorisation d’exploitation toute personne démontrant un intérêt commercial susceptible d’être lésé, et notamment les organisations locales de défense du petit commerce et les commerçants concurrents de la zone de chalandise.

Il aurait pu en être autrement dès lors que les critères désormais pris en compte par les commissions d’aménagement commercial pour autoriser les projets commerciaux ont été modifiés par la loi de modernisation de l’économie (LME) du 4 août 2008, laquelle avait précisément pour but de développer la concurrence et non pas de protéger le petit commerce à la différence de la loi Royer du 27 décembre 1973.

Néanmoins, comme l’a rappelé le rapporteur public Rémi Keller dans ses conclusions, l’objectif de protection du petit commerce subsiste dans la loi « tel un fantôme du passé » puisque l’article 1er alinéa 3 de la loi Royer n’a pas été abrogé par la LME et qu’il dispose :

« Les pouvoirs publics veillent à ce que l’essor du commerce et de l’artisanat permette l’expansion de toutes les formes d’entreprises, indépendantes, groupées ou intégrées, en évitant qu’une croissance désordonnée des formes nouvelles de distribution ne provoque l’écrasement de la petite entreprise et le gaspillage des équipements commerciaux et ne soit préjudiciable à l’emploi ».

Bien que cet objectif ne soit plus aujourd’hui prioritaire et ne se concrétise finalement que dans l’interdiction de l’abus de position dominante[1], il a permis au Conseil d’Etat de conserver la même définition de l’intérêt à agir qu’auparavant.

En toute hypothèse, il convient de rappeler que cette solution se justifie également par l’objet même de l’autorisation d’exploitation commerciale. On peut en effet raisonnablement penser qu’une décision qui permet à un commerçant de s’implanter dans une zone doit pouvoir être contestée par un commerçant concurrent de la même zone dont l’activité sera nécessairement impactée, et ce quels que soient les critères finalement pris en compte par l’autorité qui délivre cette autorisation.

Notons enfin que, bien que cela ne soit pas précisé dans l’arrêt rendu, il y a de fortes chances pour que la Haute Juridiction conserve, comme le lui a d’ailleurs suggéré le rapporteur public Keller, le critère de la zone de chalandise pour vérifier l’intérêt commercial susceptible d’être lésé par les requérants.

2          La jurisprudence relative à la procédure suivie devant la CNEC reste applicable à la CNAC 

Tout d’abord, le Conseil d’Etat a confirmé le fait que les décisions de la CNAC se substituent à celles des CDAC.

Il a ainsi refusé de faire application de la jurisprudence Houlbreque[2] invoquée par les requérants et admettant, dans certains cas, la possibilité de soulever devant le juge administratif les vices entachant la décision d’une autorité administrative à l’occasion d’un recours intenté à l’encontre de la décision prise par l’autorité hiérarchique après recours administratif préalable obligatoire.

Rappelons qu’en principe, la décision prise par l’autorité hiérarchique arrête définitivement la position de l’administration. En ce sens, elle se substitue à la décision initiale, laquelle ne peut plus être déférée au juge administratif[3].

Toutefois, dans l’arrêt Houlbreque, le Conseil d’Etat a admis l’existence d’une exception lorsque l’administré ne bénéficie pas, devant l’autorité chargée d’instruire le recours administratif préalable obligatoire, des mêmes garanties que devant l’autorité administrative initiale.

En définitive, en refusant d’appliquer cette jurisprudence, le Conseil d’Etat a implicitement admis que la procédure suivie devant la CNAC offre des garanties équivalentes à celle suivie devant les commissions départementales.

Notons qu’une telle solution se justifie amplement dès lors que la LME a conservé la nature du contrôle aujourd’hui exercé par la CNAC sur les décisions des CDAC. Ainsi, la CNAC ne peut se contenter de censurer une décision de CDAC dont la procédure suivie est irrégulière. Elle doit au contraire se prononcer sur le projet qui lui est soumis en fonction des principes énoncés aux articles L. 750-1 et L. 752-6 du code de commerce et peut entendre, si elle le juge utile, les acteurs locaux qui ont pu s’exprimer devant la CDAC. Il s’agit donc bien d’une nouvelle analyse du projet dans son entier dans les mêmes conditions que la CDAC.

Ensuite, le Conseil d’Etat a confirmé le fait que le règlement intérieur de la commission nationale ne lui était pas opposable puisque, alors même que l’article 4 de ce règlement prévoit que les convocations doivent être adressées aux membres huit jours avant la réunion, il a jugé que « l’article R. 752-49 du code de commerce n’impose aucun délai particulier au président de la commission nationale pour l’envoi des convocations à ses membres ».

Là encore, la solution retenue aurait pu être différente dès lors que la LME a fait du recours devant la CNAC un recours administratif préalable obligatoire à tout contentieux.

En effet, puisque les éventuels vices de procédure, même substantiels, qui entacheraient la décision de la CDAC ne peuvent plus à aucun moment être contrôlés par le juge administratif, il était permis de croire que le Conseil d’Etat aurait modifié sa position quant aux vices entachant la procédure suivie devant la CNAC, laquelle est principalement régie par son règlement intérieur et non par les dispositions du code de commerce.

Or, si le règlement intérieur de la CNAC ne lui est pas opposable, cela signifie qu’aucun vice de procédure, même substantiel, qui entacherait sa décision ne peut être soulevé à l’occasion d’un recours juridictionnel.

Il est donc possible aujourd’hui d’affirmer qu’il n’existe plus aucune garantie procédurale en matière d’urbanisme commercial. Il convient pourtant de rappeler que les règles de procédure, ont principalement pour objet de régir des grands principes tels que le principe du contradictoire ou d’impartialité.

D’ailleurs, poursuivant en ce sens, le Conseil d’Etat a rejeté l’application du principe des droits de la défense devant la commission nationale en rappelant que celle-ci ne constitue ni une juridiction, ni un tribunal au sens des dispositions de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Selon la Haute Juridiction, il en résulte notamment que la CNAC n’est pas « tenue de communiquer aux requérants contestant une décision d’autorisation accordée à une société pétitionnaire les documents produits par cette dernière pour sa défense afin que ceux-ci puissent y répondre ».

Enfin, s’agissant de la motivation des décisions de la CNAC, il importe de noter que la modification des critères fixés par les articles L. 750-1 et L. 752-6 du code de commerce n’a pas conduit le Conseil d’Etat à modifier sa jurisprudence constante selon laquelle la commission nationale n’est pas « tenue de prendre explicitement parti sur le respect, par le projet qui lui est soumis, de chacun des objectifs et critères d’appréciation fixés par les dispositions législatives applicables ».

A présent, sur le fond, voyons que le Conseil d’Etat a officiellement abandonné sa jurisprudence Guimatho.

3          L’abandon de la jurisprudence Guimatho  

La Haute Juridiction a mis fin au « contrôle du bilan » exercé par le juge administratif sur les autorisations d’exploitation commerciale.

Toutefois, il semble que la Haute Juridiction n’entende pas procéder désormais à un contrôle restreint limité à l’erreur manifeste d’appréciation des autorisations d’aménagement commercial mais conserver un contrôle normal puisqu’elle conclut en affirmant, au cas d’espèce, que « la commission nationale d’aménagement commercial n’a pas fait une inexacte application des dispositions précédemment citées du code de commerce ».

Ainsi, comme le lui a suggéré le rapporteur public Rémi Keller, le Conseil d’Etat s’est conformé au droit communautaire alors même que, il est vrai, le fondement législatif qui avait commandé la jurisprudence Guimatho, à savoir, l’objectif de protection du petit commerce prévu à l’article 1er alinéa 3 de la loi Royer, n’a pas formellement disparu de la législation.

Néanmoins, comme l’a rappelé le rapporteur public, cette objectif ne reflète pas la volonté du législateur puisque, au contraire, le nouveau dispositif vise à développer la concurrence et donc, conformément au droit communautaire, à permettre à de nouveaux acteurs d’opérer sur le marché de la grande distribution française.

Le contrôle opéré par le juge administratif sera donc désormais le contrôle normal de la légalité d’une décision administrative en fonction de plusieurs objectifs fixés par la loi.

Et, parmi les nouveaux objectifs fixés par la LME, le rapporteur public Rémi Keller a proposé au Conseil d’Etat de considérer l’aménagement du territoire et le développement durable comme des « objectifs de premier rang ». Par conséquent, ces critères devraient l’emporter sur celui de la protection des consommateurs, lequel risque d’ailleurs selon nous, assez souvent, de conduire à réintroduire un contrôle économique des autorisations d’exploitation.

Emmanuelle Jouvin – avocate à la cour


[1]              Prévue à l’article L. 752-26 du code de commerce : « En cas d’exploitation abusive d’une position dominante ou d’un état de dépendance économique de la part d’une entreprise ou d’un groupe d’entreprises exploitant un ou plusieurs magasins de commerce de détail, l’Autorité de la concurrence peut procéder aux injonctions et aux sanctions pécuniaires prévues à l’article L. 464-2 (…) ».

[2]              CE 18 novembre 2005 : Rec. CE p. 513.

[3]              Voir notamment : CE 30 mars 1973 Gens : Rec. CE p. 269 – CE 29 juin 1983 Forest : Rec. CE p. 279.

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