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CE 15 juillet 2025 société Nouvelle Laiterie de la Montagne, req. n°494073 : aux T. du Rec. CE
Par une décision du 15 juillet 2025, le Conseil d’Etat précise :
- l’incidence, sur la licéité du contenu d’un contrat, de l’absence de clause de révision du prix pourtant obligatoire dans certains marchés de fournitures
- l’incidence des fautes commises par la personne publique sur la modération des pénalités contractuelles
Dans cette affaire, FranceAgriMer a conclu deux marchés de fournitures avec la société Nouvelle Laiterie de la Montagne. Le 13 janvier 2017, la société Nouvelle Laiterie de la Montagne (ci-après « la société NSLM ») avait sollicité, en raison de difficultés qu’elle rencontrait pour exécuter ces marchés, une hausse des prix de 18 % ou un report de la date de livraison des denrées. FranceAgriMer avait alors rejeté cette demande ainsi que celles réitérées par la suite la société cocontractante.
Par un courrier du 14 novembre 2017, FranceAgriMer a informé la société qu’il entendait mettre à sa charge des pénalités au regard du défaut de livraison des quantités de denrées prévues par les deux marchés. Après avoir rejeté le recours gracieux formé par la société Nouvelle Laiterie de la Montagne, FranceAgriMer a édicté quatre titres exécutoires datés des 20 et 27 novembre 2018. Par un jugement du 28 octobre 2021, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté la demande de cette société tendant à l’annulation de ces titres exécutoires (i) et à la décharge de l’obligation de payer lesdites pénalités (ii). La société a interjeté appel de ce jugement, rejeté par la cour administrative d’appel de Paris 1)CAA Paris 5 mars 2024 société SNLM, rec. n° 21PA06640.
Appelé à se prononcer sur le pourvoi formé par la société NSLM, la Haute-Juridiction a pu faire d’utiles rappels sur l’objet des pénalités prévues par les clauses d’un contrat de la commande publique et leur applicabilité, sur l’office du juge du contrat saisi d’un litige portant sur les clauses relatives à ces pénalités, sur l’opérance et l’inopérance des m soulevés par le titulaire du contrat ayant inexécuté une partie de ses obligations contractuelles ou encore sur la définition de la force majeure permettant de faire obstacle à la mise à la charge du titulaire du contrat de ces pénalités en cas d’inexécution.
Néanmoins, ce sont deux points plus notables et tranchés dans cette décision, qui ont attiré notre attention.
(a)
En premier lieu, le Conseil d’Etat s’est prononce la licéité d’un marché de fournitures n’intégrant pas de clause de révision du prix pourtant légalement requise.
Le Conseil d’Etat a tout d’abord rappelé que lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l’exécution du contrat, il incombe à celui-ci, eu égard à l’exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat. En effet, c’est seulement lorsqu’il constate soit une irrégularité tenant au caractère illicite du contenu du contrat, soit un vice d’une particulière gravité qu’il doit écarter le contrat et ne peut plus régler le litige sur le terrain contractuel.
Le Conseil d’Etat a ensuite remémoré à tous les dispositions de l’ancien code des marchés publics 2)Article 18 V du code des marchés publics (édition 2006 (désormais repris en substance dans le code de la commande publique 3)R. 2112-14 du code de la commande publique, applicable au litige, qui imposaient la présence d’une clause de révision de prix dans les marchés d’une durée d’exécution supérieure à trois mois et nécessitant le recours à une part importante de fournitures dont le prix est directement affecté par les fluctuations des cours mondiaux.
En l’espèce, le Conseil d’État relève que les marchés en litige auraient dû, au regard de leur objet, contenir une telle clause de révision de prix : or, ce n’était pas le cas.
Toutefois, il a jugé que cette illégalité ne constitue ni un vice d’une particulière gravité, ni n’entache d’illicéité le contenu de ces contrats. Dès lors, l’illégalité dont ces marchés sont entachés n’est pas de nature à justifier qu’ils soient écartés et donc de résoudre le litige sur le terrain extracontractuel. Ainsi, les juges de cassation ont conclu que les titres exécutoires en litige pouvaient légalement être fondés sur une créance née de l’inexécution de ces contrats.
(b)
En second lieu, le Conseil d’Etat s’est également penché sur la possibilité de moduler le montant d’une pénalité contractuelle en cas de fautes commises par le pouvoir adjudicateur.
Le Conseil d’Etat retient, sur conclusions contraires du rapporteur public, que pour déterminer s’il y a lieu de modérer les pénalités résultant d’un marché public, si elles atteignent un montant manifestement excessif et qu’il est saisi de conclusions en ce sens par une partie, le juge doit apprécier la gravité de l’inexécution constatée de la part du cocontractant au regard des fautes commises par le pouvoir adjudicateur.
Au cas d’espèce, la Haute-Juridiction relève qu’en refusant d’envisager toute modification des marchés pour remédier aux difficultés de livraison rencontrées par la société NSLM qui résultaient d’évènements extérieurs et imprévisibles et alors que desdits marchés auraient dû comprendre une clause de révision de prix, FranceAgriMer a contribué à placer son cocontractant dans une situation de ne pas pouvoir respecter ses obligations contractuelles. Elle retient que cette circonstance est de nature à atténuer la gravité de l’inexécution par la société NSLM et donc que cette dernière est fondée à solliciter une modération de 50% du montant des pénalités mises à sa charge.
References
1. | ↑ | CAA Paris 5 mars 2024 société SNLM, rec. n° 21PA06640 |
2. | ↑ | Article 18 V du code des marchés publics (édition 2006 |
3. | ↑ | R. 2112-14 du code de la commande publique |