Précisions sur l’indemnisation du cocontractant d’une délégation de service public déclarée nulle

Catégorie

Contrats publics

Date

May 2021

Temps de lecture

6 minutes

CAA de Marseille 12 avril 2021, Atoll Finances, req n° 18MA4362

Par son arrêt Atoll Finances redu le 12 avril 2021, la cour administrative d’appel de Marseille s’est prononcée sur l’indemnisation du titulaire d’un contrat de délégation de service public déclaré nulle par le juge administratif.

Dans cette affaire, la commune de Digne-les-Bains souhaitait implanter un casino et a donc procédé à une procédure de passation d’une délégation de service public. La société Atoll Finances, au cours de la négociation avec la commune, a proposé de séparer l’exploitation du casino qu’elle réaliserait de la construction de l’établissement de jeu qui serait confié à la société 2J-IMMO au terme d’un compromis de vente par lequel la commune céderait le terrain d’assiette du futur casino à cette société. Ce montage a été accepté par la commune et la convention de délégation de service public a été conclue le 5 avril 2007.

Le préfet des Alpes de Haute-Provence a saisi le tribunal administratif de Marseille de deux requêtes tendant à l’annulation de la délibération autorisant à signer le contrat et de la convention elle-même. Par un jugement du 21 mai 2008, le tribunal administratif a fait droit à ses demandes.

La société Atoll Finance a, le 3 février 2014, saisi le tribunal administratif de Marseille afin que la commune l’indemnise des conséquences de cette illégalité. La société requérante demandait 194 170 EUR sur le fondement de la responsabilité quasi-contractuelle et 21 402 411 EUR sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle. Le tribunal administratif de Marseille a rejeté ses demandes dans un jugement du 27 juillet 2018. La société a décidé d’interjeter appel devant la cour administrative d’appel de Marseille.

Les juges d’appel, après avoir examiné la recevabilité de la requête (1), se sont intéressés au bien-fondé des différentes demandes d’indemnisation de la société (2).

1.          La recevabilité de la requête

La cour administrative d’appel de Marseille s’est prononcée à la fois sur la recevabilité de la requête d’appel (1.1), sur la recevabilité de la requête de première instance (1.2) et sur la prescription de l’action (1.3).

1.1

Les juges d’appel rappellent, tout d’abord, que l’article L.210-6 du code du commerce n’a pas pour objet de priver de la capacité à agir en justice une société qui serait radiée du régime de commerce et des sociétés. Ainsi, la cour administrative d’appel rejette les demandes de la commune tendant à ce que soit déclarée irrecevable la requête d’appel.

1.2

Ensuite, les juges écartent le moyen de la commune visant à déclarer irrecevable la demande de première instance au motif qu’il n’y aurait pas eu de demande préalable avant l’introduction du recours.

En effet, après avoir rappelé les articles R.421-1 et R.421-2 du code de justice administrative qui fixent les règles de liaison du contentieux indemnitaire, les juges relèvent que la société requérante avait adressé trois courriers dans lesquels elle sollicitait l’indemnisation des préjudices qu’elle imputait à la nullité du contrat tout en avertissant la commune de son intention de saisir le juge administratif. Ces courriers doivent donc être considérés comme des réclamations préalables, ainsi la demande de première instance était bien recevable.

Enfin, la cour administrative d’appel de Nancy rappelle la règle selon laquelle lorsque l’administration rejette une réclamation tendant à la réparation des conséquences dommages d’un fait alors le requérant pourra invoquer, à l’occasion d’un recours, l’ensemble des dommages causés par ce fait générateur quand bien même il n’aurait pas spécifié les chefs de préjudice dans sa réclamation.

Ainsi, la cour rejette le moyen de la commune visant à déclarer irrecevables certaines demandes de la société requérante.

1.3

S’agissant de la prescription, les juges d’appels rappellent, tout d’abord, les règles relatives à la prescription quadriennale qui figurent aux articles 1 et 2 de la loi du 31 décembre 1968 1)      Loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l’Etat, les départements, les communes et les établissements publics. Ensuite ils affirment que la société requérante doit être regardée comme ayant eu connaissance de la créance qu’elle invoque à la date du jugement du tribunal administratif de Marseille prononçant la nullité du contrat, soit le 17 juin 2008. De plus, la prescription quadriennale ayant débuté le 17 juin 2008 a été interrompue par les réclamations de la société en date du 15 juillet 2010, 19 novembre 2010 et 6 juin 2011.

Ainsi, l’action n’était pas prescrite à la date de sa requête de première instance le 3 février 2014.

2.          Le bien fondé des demandes

La cour administrative d’appel a, avant toute chose rappelé sa jurisprudence 2)   CE 7 décembre 2012, commune de Castres, req. n° 351752 qui affirme que le cocontractant de l’administration peut prétendre au remboursement de certaines dépenses lorsque le contrat conclu est entaché de nullité :

« Le cocontractant de l’administration dont le contrat est entaché de nullité peut prétendre, sur un terrain quasi-contractuel, au remboursement de celles de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité envers laquelle il s’était engagé. Dans le cas où le contrat en cause est une concession de service public, il peut notamment, à ce titre, demander à être indemnisé de la valeur non amortie, à la date à laquelle les biens nécessaires à l’exploitation du service font retour à l’administration, des dépenses d’investissement qu’il a consenties, ainsi que du déficit qu’il a, le cas échéant, supporté à raison de cette exploitation, compte tenu notamment des dotations aux amortissements et des frais afférents aux emprunts éventuellement contractés pour financer les investissements, pour autant toutefois qu’il soit établi, au besoin après expertise, que ce déficit était effectivement nécessaire, dans le cadre d’une gestion normale, à la bonne exécution du service. Dans le cas où la nullité du contrat résulte d’une faute de l’administration, il peut en outre, sous réserve du partage de responsabilités découlant le cas échéant de ses propres fautes, prétendre à la réparation du dommage imputable à la faute de l’administration. A ce titre, il peut demander le paiement du bénéfice dont il a été privé par la nullité du contrat, si toutefois l’indemnité à laquelle il a droit sur un terrain quasi-contractuel ne lui assure pas déjà une rémunération supérieure à celle que l’exécution du contrat lui aurait procurée. »

La cour va ensuite examiner successivement la responsabilité quasi-contractuelle (2.1) et quasi-délictuelle de la commune (2.2).

2.1          La responsabilité quasi-contractuelle de la commune

Les juges rappellent, tout d’abord, que le cocontractant de l’administration dont le contrat est entaché de nullité peut demander à être indemnisé sur le fondement de l’enrichissement sans cause de la collectivité signataire du contrat. La cour rappelle cependant ensuite que si la consistance des prestations s’évalue au moment où elles ont exécuté, leur utilité pour la personne publique contractante s’apprécie à la date où le juge statue. Que dès lors, l’abandon du projet par l’administration est de nature à priver les dépenses engagées par le cocontractant de toute utilité pour celle-ci sauf si cet abandon est la conséquence des études réalisées.

Ainsi, le projet de casino ayant été abonné par la commune de Digne-les-Bains, les dépenses exposées par la société Atoll Finances sont dépourvues d’utilité pour la commune. Dès lors, la cour administrative d’appel de Marseille a confirmé l’analyse du tribunal administratif et a donc rejeté la demande de la société requérante.

2.2          La responsabilité quasi-délictuelle de la commune

Avant toute chose, la cour administrative d’appel de Marseille a examiné le partage de responsabilité des fautes entre la commune de Digne-les-Bains et la société Atoll Finances.

Dans un premier temps, la cour relève que la nullité du contrat est due au montage contractuel proposé par la société pendant les négociations qui méconnaît les règles de publicité et de mise en concurrence. Elle considère ensuite que la société requérante bénéficiait, à la fois grâce à ses salariés qualifiés et à ses divers conseils juridiques qui l’ont accompagné, d’une expérience qui aurait dû lui permettre de savoir que son montage contractuel serait illégal. Ainsi, elle estime que la société requérante est fautive à hauteur de 50 % quant à la nullité du contrat.

Dans un second temps, les juges d’appel estiment que c’est à tort que la commune argue de ce que la société requérante n’avait pas à commencer l’exécution du contrat avant l’obtention des agréments et autorisations nécessaire à l’exploitation du casino. En effet, les juges considèrent qu’il était normal que la société engage des démarches, études et dépenses préalables indispensables à la bonne exécution du contrat. Dès lors, elle rejette l’argument d’imprudence soulevé par la commune.

La cour administrative d’appel va ensuite examiner les préjudices avancés par la société requérante à savoir une indemnisation du bénéfice perdu (a) et des sommes exposées pour l’attribution et l’exécution du contrat (b).

(a)

La société requérante affirme qu’elle devrait, à titre principal être indemnisé de la perte de bénéfice escompté du fait de la nullité du contrat, et, à titre subsidiaire du bénéfice qu’elle aurait perçu si son offre principale (légale) avait été retenue.

Sur la première hypothèse, la cour considère que l’illégalité même du contrat, résultant de son projet, ainsi que son absence d’exécution empêche de facto l’indemnisation de la société requérante.

Sur la seconde hypothèse, les juges considèrent que son offre principale n’aurait pas amené à de tels bénéfices car la société arguait durant les négociations que celle-ci ne pourrait être rentable avec le montage envisagé par la commune.

Ainsi, la cour administrative d’appel rejette les demandes de la société requérante.

(b)

S’agissant des sommes exposées pour l’attribution et l’exécution du contrat, la cour administrative d’appel de Marseille estime que peuvent être indemnisées les dépenses d’investissement réalisées avant le 19 novembre 2017, date à laquelle la commune a ordonné à la société de suspendre de telles dépenses, ainsi que les dépenses de fonctionnement nécessaires au maintien en activité de la société même après cette date.

Finalement, la cour administrative d’appel considère que le préjudice de la société Atoll Finances au titre des dépenses liées à la préparation et à l’exécution du contrat s’élève à la somme de 78 419,25 euros. Et, eu égard au partage de responsabilité précité, la société Atoll Finances est fondée à demander, d’une part, la condamnation de la commune de Digne-les-Bains à lui verser la somme de 39 209,63 euros et, d’autre part, l’annulation du jugement attaqué en ce qu’il a de contraire à cet arrêt.

 

Partager cet article

References   [ + ]

3 articles susceptibles de vous intéresser