La CJUE admet (enfin) expressément la qualité de l’équipe proposée comme critère d’attribution

Catégorie

Contrats publics

Date

April 2015

Temps de lecture

7 minutes

CJUE 26 mars 2015 Ambisig – Ambiente e Sistemas de Informação Geográfica SA, aff. C-601/13

Par une décision bienvenue mais un peu tardive – le problème ayant été expressément tranché par les nouvelles directives « marchés publics » qui seront prochainement transposées – la Cour de justice de l’Union européenne admet enfin très expressément que :

    « Pour la passation d’un marché de fourniture de services à caractère intellectuel, de formation et de conseil, l’article 53, paragraphe 1, sous a), de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services, ne s’oppose pas à l’établissement par le pouvoir adjudicateur d’un critère qui permet d’évaluer la qualité des équipes concrètement proposées par les soumissionnaires pour l’exécution de ce marché, critère tenant compte de la constitution de l’équipe ainsi que de l’expérience et du cursus de ses membres ».
    1 L’arrêt Lianakis et la prohibition apparente de la prise en compte de l’expérience comme critère d’attribution

On sait que le droit des marchés publics distingue de longue date la vérification de l’aptitude des candidats ou soumissionnaire sur la base de critères fondés sur leur capacité économique, financière et technique, et l’examen des offres sur la base de critères visant à identifier l’offre économiquement la plus avantageuse.

Par le célèbre arrêt Lianakis, rendu en 2008, la Cour de justice a considéré que les dispositions de la directive 92/50/CEE du 18 juin 1992 portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services « s’opposent à ce que, dans le cadre d’une procédure d’adjudication, le pouvoir adjudicateur tienne compte de l’expérience des soumissionnaires, de leur effectif et de leur équipement ainsi que de leur capacité à fournir le marché au moment prévu non pas à titre de « critères de sélection qualitative », mais à titre de « critères d’attribution » » 1)CJCE 24 janvier 2008 Emm. G. Lianakis AE et autres, aff. C-532/06, point 32 : Contrats-Marchés pub. n° 54, note W. Zimmer ; achatpublic.com 3 mars 2008, chron. A. Ménéménis ; CP-ACCP n° 77, mai 2008, p. 62, note Proot..

A plusieurs reprises, elle a été ainsi conduite à censurer l’appréciation, au stade de l’analyse des offres, d’éléments ressortissant en réalité aux capacités des candidats :

    – « l’expérience prouvée de l’expert, acquise lors d’études réalisées au cours des trois dernières années, […] l’effectif et l’équipement du bureau et […] la capacité à réaliser l’étude au moment prévu », « l’expérience, les qualifications et les moyens de nature à garantir une bonne exécution du marché » 2)CJCE 24 janvier 2008 Lianakis, aff. C-532/06, préc., points 10 et 31. ;
    – « l’expérience et la capacité réelle à garantir une bonne exécution du marché en question » 3)CJCE 12 novembre 2009 Commission c/ Grèce, aff. C-199/07, point 56. ;
    – le « critère de l’expérience de travaux précédents » 4)CJUE 9 octobre 2014 Espagne c/ Commission, aff. C-641/13 P, point 38..

A la suite de l’arrêt Lianakis, on a pu s’interroger sur le point de savoir si l’expérience et plus largement les moyens humains et matériels ne pouvaient jamais être un critère d’attribution ou si leur prise en compte étaient néanmoins possible dès lors qu’ils ne se rapportaient pas aux moyens généraux du candidat mais à ceux que ledit candidat entendait, dans son offre, affecter spécifiquement à l’exécution du marché. Il était à cet égard possible de considérer que l’arrêt Lianakis n’avait pas entendu écarter cette seconde hypothèse, qui n’était pas celle qui avait été soumise à la Cour 5)« À la suite de l’arrêt Lianakis, on peut en effet se demander dans quelle mesure la possibilité d’employer un critère d’attribution (qui sera souvent d’ailleurs un sous-critère de la valeur technique) portant sur les moyens humains ou matériels spécifiquement affectés à l’exécution du marché (et décrits en conséquence dans l’offre) peut encore être retenue. La Cour ne la condamne pas expressément puisque les éléments pris en compte comme critères d’attribution dans l’affaire faisant l’objet de la question préjudicielle semblaient bien être les moyens globaux ou généraux des candidats : l’expérience prouvée de l’expert, acquise lors d’études réalisées au cours des trois dernières années, c’est-à-dire ce que l’on apprécie habituellement au stade des candidatures au regard des références produites ; l’effectif et l’équipement du bureau, que l’on apprécie au même stade, l’article 32 de la directive 92/50 permettant d’exiger des candidats « une déclaration indiquant les effectifs moyens annuels du prestataire de services et l’importance du personnel d’encadrement pendant les trois dernières années [et] une déclaration indiquant l’outillage, le matériel et l’équipement technique dont le prestataire dispose pour l’exécution des services ». De même, dans sa conclusion, elle constate que la directive s’oppose à ce que soient pris en compte, au stade de l’examen des offres, l’expérience des soumissionnaires, leur effectif, leur équipement et leur capacité à exécuter le marché au moment prévu, sans que la formulation retenue puisse conduire à penser qu’il ne s’agirait pas là, en ce qui concerne l’effectif et l’équipement, des moyens globaux du soumissionnaire » (Philippe Proot, note précitée)..

Il a ainsi été progressivement considéré par la doctrine européenne et les juridictions nationales que le critère de l’expérience et de la qualité de l’équipe dédiée pouvait être utilisé 6)Voir sur ce point les conclusions très détaillées de l’avocat général Melchior Wathelet sur l’affaire Ambisig, lues le 18 décembre 2014, notamment points 43-57 (sur la portée que revêt selon lui l’arrêt Lianakis) et 75-79 (sur la position de différents auteurs européens et d’une juridiction danoise)..

En droit français, le Conseil d’Etat a à cet égard clairement jugé « que, si elles imposent au pouvoir adjudicateur de vérifier les capacités des candidats au moment de l’examen des candidatures, ces dispositions [des articles 52 et 53 du code des marchés publics] ne lui interdisent pas, s’il est non discriminatoire et lié à l’objet du marché, de retenir un critère ou un sous-critère relatif aux moyens en personnel et en matériel affectés par le candidat à l’exécution des prestations du marché afin d’en garantir la qualité technique » 7)CE 11 mars 2013 Assistance publique – Hôpitaux de Paris, req. n° 364706, point 8. Pour d’autres aspects de la jurisprudence nationale, voir : http://www.adden-leblog.com/?p=6463..

Bien plus, la nouvelle directive 2014/24/UE du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics, abrogeant la directive 2004/18/CE, a entendu lever toute ambiguïté, en indiquant expressément à son article 67 « Critères d’attribution du marché » que parmi les critères possibles, peuvent figurer « l’organisation, les qualifications et l’expérience du personnel assigné à l’exécution du marché, lorsque la qualité du personnel assigné peut avoir une influence significative sur le niveau d’exécution du marché » 8)Voir aussi son considérant 94..

Néanmoins, la Cour de justice ne l’avait jamais clairement admis sur le fondement de la directive 2004/18/CE du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services. Et, du reste, très récemment, dans l’affaire Espagne c/ Commission du 9 octobre 2014, elle avait même paru adopter une position très restrictive 9)Confrontée à l’argumentation selon laquelle « il est également possible de considérer […] que les capacités du soumissionnaire sont susceptibles d’être utilisées en tant que critère d’attribution dans la mesure où elles visent à identifier l’offre économiquement la plus avantageuse. […] Pour être pris en compte comme critère d’attribution, […] le soumissionnaire doit expliquer le lien entre son expérience antérieure et l’objet du marché en question en faisant ressortir en quoi son expérience contribue à rendre son offre la plus avantageuse économiquement. […] Le critère de l’expérience antérieure serait ainsi destiné à identifier l’offre économiquement la plus avantageuse puisqu’il présente un lien avec l’objet du marché et avec la qualité de son exécution », la Cour la rejette en rappelant que dans l’arrêt Lianakis, elle « a ainsi exclu que le critère de l’expérience puisse servir de critère d’attribution, contrairement à l’argumentation présentée » (points 23, 28, 29 et 36)..

    2 La solution de l’arrêt Ambisig

La Cour était saisie dans le cadre d’un litige portant sur la possibilité, au regard de l’article 53 « Critères d’attribution du marché » de la directive 2004/18, de retenir un critère d’attribution intitulé « Évaluation de l’équipe », « obtenu en tenant compte de la constitution de l’équipe, de l’expérience attestée et de l’analyse du cursus ». Dans ce cadre, elle était interrogée par le Tribunal administratif suprême du Portugal, qui avait considéré nécessaire de l’interroger « en raison d’une contradiction qui existerait entre, d’une part, la jurisprudence […] résultant de l’arrêt Lianakis […] et, d’autre part, […] le fait que la qualité est l’un des critères d’attribution prévus par l’article 53 ».

La Cour admet la validité d’un tel critère, en procédant en plusieurs étapes.

Premièrement, elle relève que l’arrêt Lianakis a été rendu au regard d’une précédente directive (la directive 92/50) et, surtout, qu’il « n’exclut pas qu’un pouvoir adjudicateur puisse, dans certaines conditions, fixer et appliquer un critère tel que celui figurant dans la question préjudicielle au stade de l’attribution du marché. En effet, cet arrêt concerne en fait les effectifs et l’expérience des soumissionnaires en général et non pas, comme en l’espèce, les effectifs et l’expérience des personnes constituant une équipe particulière qui, de manière concrète, doit exécuter le marché » (points 25-26). Elle synthétise ainsi la minutieuse démonstration de son avocat général, sans toutefois y renvoyer.

Deuxièmement, elle relève (points 27-30) que la directive 2004/18 a introduit de nouveaux éléments par rapport à la directive 92/50 :

    – son article 53 prévoit que l’offre économiquement la plus avantageuse doit être identifiée « du point de vue du pouvoir adjudicateur » et qu’il « accorde ainsi à ce pouvoir adjudicateur une plus grande marge d’appréciation » ;
    – son considérant 46 indique qu’il y a lieu « de rechercher l’offre qui « présente le meilleur rapport qualité/prix », ce qui est ainsi de nature à renforcer le poids de la qualité dans les critères d’attribution des marchés publics » ;
    – les critères pouvant être retenus par les pouvoirs adjudicateurs pour déterminer l’offre économiquement la plus avantageuse ne sont pas énumérés de manière limitative par l’article 53.

Troisièmement, l’objection tirée de l’arrêt Lianakis et de la contradiction qui pourrait exister ayant été écartée, elle juge enfin que :

    « La qualité de l’exécution d’un marché public peut dépendre de manière déterminante de la valeur professionnelle des personnes chargées de l’exécuter, valeur constituée par leur expérience professionnelle et leur formation.
    Il en est plus particulièrement ainsi lorsque la prestation faisant l’objet du marché est de nature intellectuelle et porte, comme dans l’affaire au principal, sur des services de formation et de conseil.
    Lorsqu’un tel marché doit être exécuté par une équipe, ce sont les compétences et l’expérience de ses membres qui sont déterminantes pour apprécier la qualité professionnelle de cette équipe. Cette qualité peut être une caractéristique intrinsèque de l’offre et liée à l’objet du marché, au sens de l’article 53, paragraphe 1, sous a), de la directive 2004/18.
    Par conséquent, ladite qualité peut figurer comme critère d’attribution dans l’avis de marché ou dans le cahier des charges concernés
    » (points 31-34).

Mieux vaut tard que jamais…

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References   [ + ]

1. CJCE 24 janvier 2008 Emm. G. Lianakis AE et autres, aff. C-532/06, point 32 : Contrats-Marchés pub. n° 54, note W. Zimmer ; achatpublic.com 3 mars 2008, chron. A. Ménéménis ; CP-ACCP n° 77, mai 2008, p. 62, note Proot.
2. CJCE 24 janvier 2008 Lianakis, aff. C-532/06, préc., points 10 et 31.
3. CJCE 12 novembre 2009 Commission c/ Grèce, aff. C-199/07, point 56.
4. CJUE 9 octobre 2014 Espagne c/ Commission, aff. C-641/13 P, point 38.
5. « À la suite de l’arrêt Lianakis, on peut en effet se demander dans quelle mesure la possibilité d’employer un critère d’attribution (qui sera souvent d’ailleurs un sous-critère de la valeur technique) portant sur les moyens humains ou matériels spécifiquement affectés à l’exécution du marché (et décrits en conséquence dans l’offre) peut encore être retenue. La Cour ne la condamne pas expressément puisque les éléments pris en compte comme critères d’attribution dans l’affaire faisant l’objet de la question préjudicielle semblaient bien être les moyens globaux ou généraux des candidats : l’expérience prouvée de l’expert, acquise lors d’études réalisées au cours des trois dernières années, c’est-à-dire ce que l’on apprécie habituellement au stade des candidatures au regard des références produites ; l’effectif et l’équipement du bureau, que l’on apprécie au même stade, l’article 32 de la directive 92/50 permettant d’exiger des candidats « une déclaration indiquant les effectifs moyens annuels du prestataire de services et l’importance du personnel d’encadrement pendant les trois dernières années [et] une déclaration indiquant l’outillage, le matériel et l’équipement technique dont le prestataire dispose pour l’exécution des services ». De même, dans sa conclusion, elle constate que la directive s’oppose à ce que soient pris en compte, au stade de l’examen des offres, l’expérience des soumissionnaires, leur effectif, leur équipement et leur capacité à exécuter le marché au moment prévu, sans que la formulation retenue puisse conduire à penser qu’il ne s’agirait pas là, en ce qui concerne l’effectif et l’équipement, des moyens globaux du soumissionnaire » (Philippe Proot, note précitée).
6. Voir sur ce point les conclusions très détaillées de l’avocat général Melchior Wathelet sur l’affaire Ambisig, lues le 18 décembre 2014, notamment points 43-57 (sur la portée que revêt selon lui l’arrêt Lianakis) et 75-79 (sur la position de différents auteurs européens et d’une juridiction danoise).
7. CE 11 mars 2013 Assistance publique – Hôpitaux de Paris, req. n° 364706, point 8. Pour d’autres aspects de la jurisprudence nationale, voir : http://www.adden-leblog.com/?p=6463.
8. Voir aussi son considérant 94.
9. Confrontée à l’argumentation selon laquelle « il est également possible de considérer […] que les capacités du soumissionnaire sont susceptibles d’être utilisées en tant que critère d’attribution dans la mesure où elles visent à identifier l’offre économiquement la plus avantageuse. […] Pour être pris en compte comme critère d’attribution, […] le soumissionnaire doit expliquer le lien entre son expérience antérieure et l’objet du marché en question en faisant ressortir en quoi son expérience contribue à rendre son offre la plus avantageuse économiquement. […] Le critère de l’expérience antérieure serait ainsi destiné à identifier l’offre économiquement la plus avantageuse puisqu’il présente un lien avec l’objet du marché et avec la qualité de son exécution », la Cour la rejette en rappelant que dans l’arrêt Lianakis, elle « a ainsi exclu que le critère de l’expérience puisse servir de critère d’attribution, contrairement à l’argumentation présentée » (points 23, 28, 29 et 36).

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