Le délai de prescription en matière d’indemnisation de pratiques anticoncurrentielles prévu par le code de commerce peut s’appliquer aux pratiques qui ont pris fin avant son entrée en vigueur

Catégorie

Contrats publics

Date

June 2023

Temps de lecture

5 minutes

CE 1er juin 2023 Sté Forbo Sarlino et autres, req. n° 468098 : mentionné aux T du Rec. CE

Par une décision en date du 1er juin 2023, le Conseil d’Etat a jugé que les dispositions de l’article L. 482-1 du code de commerce 1)L. 482-1 c. com, issu de l’ordonnance n°2017-303 du 9 mars 2017 relative aux actions en dommages et intérêts du fait des pratiques anticoncurrentielles, adoptée pour la transposition de la directive 2014/104/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 novembre 2014 relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des Etats membres et de l’Union européenne instituant une nouvelle règle de prescription s’appliquent aux actions indemnitaires introduites à compter de leur entrée en vigueur, y compris lorsqu’elles portent sur des pratiques anticoncurrentielles qui ont pris fin avant leur entrée en vigueur, dans la mesure où ces actions n’étaient pas déjà prescrites en vertu des règles antérieurement applicables.

En l’espèce, l’Autorité de la concurrence a sanctionné différentes entreprises intervenant dans le secteur de la fabrication et de la commercialisation des produits de revêtements de sols pour entente illicite pour des faits commis du 8 octobre 2001 au 22 septembre 2011 2)Décision n° 17-D-20 du 18 octobre 2017 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des revêtements de sols résilients.

S’estimant lésé, le centre hospitalier de Metz-Thionville a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg de prescrire une expertise en vue d’évaluer le préjudice qu’il aurait subi dans le cadre de la construction du nouvel hôpital de Metz en 2006.

Par une ordonnance du 2 novembre 2021 rendue sur le fondement des dispositions de l’article R. 532-1 du CJA 3)R. 532-1 CJA, le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a fait droit à cette demande.

Par une seconde ordonnance du 6 mai 2022, une nouvelle société a été mise en cause.

Les sociétés ont alors relevé appel de ces deux ordonnances.

La cour administrative d’appel de Nancy 4)CAA Nancy 22 septembre 2022 Sté Tarkett France et autres, req. n°21NC02970 avait alors relevé dans un premier temps que le centre hospitalier n’avait pu avoir connaissance des faits en cause, de leur qualification, des auteurs et de l’existence d’un préjudice subi qu’à la date de la décision de l’Autorité de la concurrence, le 18 octobre 2017. La cour administrative d’appel avait ensuite appliqué le délai de prescription de cinq ans de l’article L. 482-1 du code de commerce pour estimer que la demande d’expertise avait été formée dans les délais.

Par conséquent, l’action au fond n’étant pas prescrite, la demande d’expertise présente un caractère utile 5)CE 13 juillet 2011 ONIAM, req. n°345756. La cour administrative avait au demeurant souligné que l’expertise présentait une utilité « compte tenu des particularités du litige et de l’intérêt lié à la mise en œuvre d’une procédure contradictoire ».

Devant le Conseil d’Etat, les sociétés soutenaient que les dispositions du code de commerce n’étaient applicables qu’aux pratiques anticoncurrentielles postérieures à leur entrée en vigueur et que la cour administrative avait donc commis une erreur de droit.

Dans une précédente décision 6)CE 22 novembre 2022 SNCF Mobilités, req. n°418645 portant précisément sur des problématiques d’action en indemnisation des personnes publiques du fait de pratiques anticoncurrentielles, le Conseil d’Etat avait pu estimer que :

  • jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, les actions fondées sur la responsabilité quasi-délictuelle des auteurs de pratiques anticoncurrentielles se prescrivent par dix ans à compter de la manifestation du dommage,
  • après l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, la prescription est régie par les dispositions de l’article 2224 du code civil (prescription quinquennale),
  • depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 9 mars 2017, les dispositions de l’article L. 482-1 du code du commerce s’appliquent (prescription quinquennale).

Les sociétés requérantes soulevaient une erreur de droit tirée d’une application erronée des dispositions de l’article L. 482-1 du code de commerce 7)il peut être noté que les sociétés n’ont pas contesté la détermination du point de départ du délai de prescription, critique qui aurait pu être formulée par un moyen en dénaturation.

La question de droit est posée par le rapporteur public : « la règle de prescription fixée par le nouvel article L. 482-1 du code de commerce est-elle applicable aux actions indemnitaires fondées sur des pratiques [anti]concurrentielles commises et ayant cessé antérieurement à l’entrée en vigueur de ces nouvelles dispositions, si les victimes n’ont eu connaissance de ces pratiques et n’agissent que postérieurement à cette entrée en vigueur ? » 8)conclusions du rapporteur public M. Nicolas Labrune

Le Conseil d’Etat commence par construire une analogie entre les dispositions de l’article 22 de la directive 2014/104/UE du 26 novembre 2014 relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence et celles de l’article 12 de l’ordonnance du 9 mars 2017 qui la transpose.

Le rapporteur public souligne que l’article 22 de la directive distingue les dispositions procédurales et les dispositions substantielles de la directive. De même, le I de l’article 12 de l’ordonnance distingue « d’une part les dispositions « procédurales » de l’ordonnance (…) s’appliquent aux instances en cours (…) D’autre part, les dispositions « substantielles » (…) de l’ordonnance entrent en vigueur seulement à compter du lendemain de la publication de l’ordonnance, soit le 11 mars 2017 et ne sont pas applicables aux instances en cours ».

Mais, « l’appréciation du caractère substantiel ou procédural d’une disposition étant autonome en droit de l’UE et en droit national » il restait à déterminer si les règles de prescription constituaient des règles procédurales ou substantielles.

Le Conseil d’Etat va alors s’appuyer sur l’arrêt Volvo AB 9)CJUE 22 juin 2022 Volvo AB et DAF Trucks NV, aff. C-267/20 suivant lequel : « relève de son champ d’application temporel un recours en dommages et intérêts pour une infraction au droit de la concurrence qui, bien que portant sur une infraction au droit de la concurrence qui a pris fin avant l’entrée en vigueur de ladite directive, a été introduit après l’entrée en vigueur des dispositions la transposant dans le droit national, dans la mesure où le délai de prescription applicable à ce recours en vertu des anciennes règles ne s’est pas écoulé avant la date d’expiration du délai de transposition de la même directive » 10)Ibid, Point 79.

Le Conseil d’Etat en conclut donc que les règles de prescription appartiennent à la catégorie des règles procédurales : « les dispositions de l’article L. 482-1 du code de commerce créées par cette ordonnance instituant une nouvelle règle de prescription s’appliquent aux actions indemnitaires introduites à compter de leur entrée en vigueur, y compris lorsqu’elles portent sur des pratiques anticoncurrentielles qui ont pris fin avant leur entrée en vigueur, dans la mesure où ces actions n’étaient pas déjà prescrites en vertu des règles antérieurement applicables. »

La cour administrative d’appel de Nancy a souverainement fixé au 18 octobre 2017 le point de départ du délai de prescription de l’action indemnitaire que le centre hospitalier envisage d’introduire. L’action n’était pas déjà prescrite en vertu des anciennes règles. La cour administrative a donc, à bon droit, appliqué les dispositions de l’article L. 482-1 du code de commerce pour juger que l’action introduite à la date du 11 mai 2021 n’était pas prescrite.

La demande d’expertise apparait donc utile. Les autres moyens n’étant pas fondés, le pourvoi des sociétés est rejeté.

 

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References   [ + ]

1. L. 482-1 c. com, issu de l’ordonnance n°2017-303 du 9 mars 2017 relative aux actions en dommages et intérêts du fait des pratiques anticoncurrentielles, adoptée pour la transposition de la directive 2014/104/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 novembre 2014 relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des Etats membres et de l’Union européenne
2. Décision n° 17-D-20 du 18 octobre 2017 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des revêtements de sols résilients
3. R. 532-1 CJA
4. CAA Nancy 22 septembre 2022 Sté Tarkett France et autres, req. n°21NC02970
5. CE 13 juillet 2011 ONIAM, req. n°345756
6. CE 22 novembre 2022 SNCF Mobilités, req. n°418645
7. il peut être noté que les sociétés n’ont pas contesté la détermination du point de départ du délai de prescription, critique qui aurait pu être formulée par un moyen en dénaturation
8. conclusions du rapporteur public M. Nicolas Labrune
9. CJUE 22 juin 2022 Volvo AB et DAF Trucks NV, aff. C-267/20
10. Ibid, Point 79

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