La CJUE rappelle la méthode aux juges nationaux : le contrôle de gestion permettant de qualifier les fédérations sportives d’organisme de droit public est établi par la réunion d’un faisceau d’indices

Catégorie

Contrats publics

Date

February 2021

Temps de lecture

5 minutes

CJUE, 3 février 2021, C155/19 et C156/19

La qualité de pouvoir adjudicateur emporte bien entendu des conséquences importantes, dès lors que les contrats qu’ils passent sont soumis aux règles de la commande publique 1)En application de l’article 1er de la Directive 2014/24/UE transposée en droit français à l’article L 1210-1 du code de la commande publique..

Pour mémoire, sont notamment compris dans la notion de « pouvoirs adjudicateurs » les « organismes de droit public », selon l’expression consacrée par la Directive 2014/24/UE (art. 2).

Dans son arrêt du 3 février dernier, la Cour de Justice de l’Union européenne (ci-après CJUE) développe une méthode à l’intention des juges nationaux s’agissant du faisceau d’indices à réunir pour déterminer si le critère du « contrôle de gestion » exercé par une personne publique sur l’organisme de droit public est ou non rempli.

En effet, rappelons que pour être qualifié d’organisme de droit public, il faut remplir trois conditions cumulatives, étant entendu que les trois critères de la troisième condition sont alternatifs 2)Articles 2.3 et 2.4 de la Directive 2014/24/UE et CJCE 15 janv. 1998, Mannesmann Anlagenbau Austria AG e.a., C-44/96: CJEG 1998. 239, note Bréchon-Moulènes et Richer.. Ainsi, les organismes de droit public sont des entités :

  • créées pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial, et ;
  • dotées de la personnalité juridique, et ;
  • soit financées majoritairement par l’État, les autorités régionales ou locales ou par d’autres organismes de droit public, soit leur gestion est soumise à un contrôle de ces autorités ou organismes, soit leur organe d’administration, de direction ou de surveillance est composé de membres dont plus de la moitié sont désignés par l’État, les autorités régionales ou locales ou d’autres organismes de droit public.

En l’espèce, la Cour a été saisie par renvoi préjudiciel des juridictions italiennes. Elles posaient deux questions :

  • la Fédération italienne de football (ci-après « FIGC ») peut-elle être considérée comme un organisme créé pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial alors notamment qu’elle a le statut d’association et qu’elle jouit d’une capacité d’autofinancement ?
  • la FIGC est-elle soumise à un contrôle de gestion de la part du Comité national olympique italien (ci-après « CONI »)  ?

La deuxième condition relative à l’exigence d’une personnalité juridique n’a pas nécessité de question préjudicielle. Les fédérations ayant la forme d’association (comme c’est le cas en droit français 3)Article L.131-2 du code du sport.), elles ont bien une personnalité juridique.

I.   Sur la première condition : la création pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel et commercial

Il faut d’une part, l’exercice d’une activité satisfaisant des besoins d’intérêt général et d’autre part, une activité ayant un caractère autre qu’industriel et commercial.

Dans un premier temps la CJUE estime qu’en Italie, les fédérations exercent une activité d’intérêt général constituée par le sport 4)Considérant 38..

De plus, les fédérations sportives italiennes exercent des missions dénuées de caractère industriel et commercial telles que « le contrôle du déroulement régulier des compétitions et des championnats, la prévention et la sanction du dopage ou bien encore la préparation olympique et de haut niveau » 5)Considérant 39.. Mais la Cour estime que la juridiction de renvoi devra elle-même vérifier cet absence d’intérêt industriel et commercial.

Pour finir sur la première condition, la Cour rappelle que sont indifférents : la forme de la fédération (en l’espèce sa forme associative) 6)CJUE 10 novembre 1998 BFI Holding, C‑360/96, EU:C:1998:525, point 62 ; et, CJUE, 15 mai 2003, Commission/Espagne, C‑214/00, EU:C:2003:276, points 55 et 56 ; ainsi que CJUE, 12 septembre 2013, IVD, C‑526/11, EU:C:2013:543, point 21., le fait que la fédération exerce d’autres activités qui ne sont pas d’intérêt général 7)CJUE 10 novembre 1998 BFI Holding, C‑360/96, EU:C:1998:525, point 55. et la capacité d’autofinancement de la fédération 8)CJUE 15 janvier 1998 Mannesmann Anlagenbau Austria e.a. (C‑44/96, EU:C:1998:4)..

Ainsi, la fédération italienne en cause semble bien avoir été créée pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel et commercial.

II.    Sur la troisième condition en sa deuxième branche : le contrôle de gestion par une personne publique

La Cour de Justice rappelle que le contrôle de gestion doit être de nature à créer une dépendance étroite de cet organisme à l’égard de l’Etat, des autorités régionales ou locales ou d’autres organismes de droit public susceptible de permettre à ces pouvoirs publics d’influencer les décisions dudit organisme en matière de marchés publics 9)CJCE 7 février 2003 Adolf Trukey, c-373/00..

En l’espèce, la Cour relève que le CONI est chargé pour l’essentiel «  d’édicter des règles en matière sportive, de vérifier leur bonne application et d’intervenir uniquement au niveau de l’organisation des compétitions et de la préparation olympique sans réglementer l’organisation et la pratique au quotidien des différentes disciplines sportives » 10)Considérant 56.. Elle en déduit qu’il ne saurait être considéré, de prime abord, comme un organe hiérarchique capable de contrôler et de diriger la gestion des fédérations sportives nationales, et ce encore moins lorsque ces fédérations jouissent d’une autonomie de gestion.

Mais la présomption peut être renversée si, dans les faits, les pouvoirs de l’autorité publique (ici le CONI) ont pour effet de créer une dépendance de la fédération au point de l’influencer en matière de marché public 11)Considérant 58..

La Cour estime alors que le juge national doit examiner si les différents pouvoirs de la personne publique (le CONI) lui permettent d’exercer une influence sur les fédérations nationales, notamment en matière de passation de marchés publics, ou si ces pouvoirs sont généraux et ne font qu’encadrer les activités des fédérations. Elle rappelle toutefois qu’elle peut, statuant sur renvoi préjudiciel, apporter des précisions visant à guider la juridiction nationale dans sa décision.

C’est ce qu’elle fait en énumérant plusieurs pouvoirs du CONI que la juridiction de renvoi devra examiner pour déterminer s’ils ont pour effet de créer une dépendance d’une fédération sportive à l’égard du CONI au point que celui-ci puisse influencer les décisions de ladite fédération en matière de marchés publics :

  • la reconnaissance des fédérations nationales 12)Considérants 60 et suivants. ;
  • l’adoption des normes d’encadrement de la pratique sportive 13)Considérant 64.;
  • l’évaluation de la conformité des statuts des fédérations à la loi, à ses propres statuts et aux principes fondamentaux qu’il a établi 14)Considérant 65.;
  • l’approbation des bilans et budgets annuels des fédérations nationales 15)Considérant 66.;
  • la nomination d’auditeurs représentant le CONI dans les fédérations 16)Considérant 70.;
  • le contrôle de l’exercice des activités à caractère public confiées aux fédération ainsi que leur bon fonctionnement 17)Considérant 71.;
  • la mise sous tutelle des fédérations sportives nationales en cas de grave irrégularité de gestion, de graves violations du droit du sport, d’impossibilité de fonctionnement de ces fédérations ou de problèmes de régularité des compétitions sportives 18)Considérant 72..

La Cour précise que l’analyse de ces pouvoirs « doit faire l’objet d’une appréciation d’ensemble » 19)Considérant 73.. C’est un faisceau d’indices qui pourra révéler l’existence ou l’absence d’influence.

Enfin, la Cour se prononce sur la circonstance relevée par la juridiction de renvoi que les différentes fédérations sportives nationales exercent une influence sur l’activité de l’autorité publique concernée (le CONI) en raison de leur participation majoritaire au sein des principaux organes collégiaux délibérants de celle-ci. Cette circonstance constitue l’un des principaux intérêts de l’arrêt car si la question était de savoir si le CONI contrôlait la gestion des fédérations, il pouvait en même temps être considéré de ce fait que c’était les fédérations qui pouvaient en réalité influencer le CONI, relativisant ainsi un éventuel contrôle.

Elle considère toutefois que cette circonstance n’est pertinente que s’il peut être établi que chacune de ces fédérations, prise isolément, est en mesure d’exercer une influence significative sur le contrôle public exercé par cette autorité à son égard avec pour conséquence que ce contrôle serait neutralisé et qu’une telle fédération sportive nationale retrouverait ainsi la maîtrise de sa gestion, et ce nonobstant l’influence des autres fédérations sportives nationales se trouvant dans une situation analogue 20)Considérant 75..

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References   [ + ]

1. En application de l’article 1er de la Directive 2014/24/UE transposée en droit français à l’article L 1210-1 du code de la commande publique.
2. Articles 2.3 et 2.4 de la Directive 2014/24/UE et CJCE 15 janv. 1998, Mannesmann Anlagenbau Austria AG e.a., C-44/96: CJEG 1998. 239, note Bréchon-Moulènes et Richer.
3. Article L.131-2 du code du sport.
4. Considérant 38.
5. Considérant 39.
6. CJUE 10 novembre 1998 BFI Holding, C‑360/96, EU:C:1998:525, point 62 ; et, CJUE, 15 mai 2003, Commission/Espagne, C‑214/00, EU:C:2003:276, points 55 et 56 ; ainsi que CJUE, 12 septembre 2013, IVD, C‑526/11, EU:C:2013:543, point 21.
7. CJUE 10 novembre 1998 BFI Holding, C‑360/96, EU:C:1998:525, point 55.
8. CJUE 15 janvier 1998 Mannesmann Anlagenbau Austria e.a. (C‑44/96, EU:C:1998:4).
9. CJCE 7 février 2003 Adolf Trukey, c-373/00.
10. Considérant 56.
11. Considérant 58.
12. Considérants 60 et suivants.
13. Considérant 64.
14. Considérant 65.
15. Considérant 66.
16. Considérant 70.
17. Considérant 71.
18. Considérant 72.
19. Considérant 73.
20. Considérant 75.

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