La commune et l’Etat responsables vis-à-vis de l’acquéreur d’un terrain dont le classement en zone constructible est entaché d’illégalité

Catégorie

Urbanisme et aménagement

Date

May 2015

Temps de lecture

3 minutes

L’arrêt commenté contribue à préciser le régime de responsabilité de l’administration en cas de décisions d’urbanisme illégales.

La société Masarin a acquis deux terrains sur le territoire de la commune littorale de Crozon classés en zone d’urbanisation future (1NAc) du plan d’occupation des sols (POS) à la suite d’une modification intervenue après accord du préfet du Finistère en application du II de l’article L. 146-4 du code de l’urbanisme. Le maire de la commune a ensuite délivré un permis de construire à la société qui devait être annulé par le tribunal administratif de Rennes, ce qu’a confirmé la cour administrative d’appel de Nantes, pour méconnaissance des dispositions de la loi littorale en matière d’extension de l’urbanisation.

C’est dans ces circonstances que la société Masarin a saisi le maire de la commune d’une demande indemnitaire préalable en réparation de son préjudice qu’elle estimait avoir subi du fait de la délivrance d’un permis de construire illégal. Le tribunal administratif de Rennes a fait partiellement droit à la demande de la société Masarin en condamnant la commune de Crozon à lui verser une somme de 55 780,13 euros à titre de dommages et intérêts et a, à la demande de la commune, condamné l’Etat à la garantir pour moitié des sommes mises à sa charge ; jugement confirmé en appel dans un arrêt particulièrement motivé (CAA Nantes 18 janvier 2013 Ministre de l’égalité des territoires et du logement, req. n° 11NT02173).

Le Conseil d’Etat reprend l’intégralité du raisonnement de la cour administrative d’appel de Nantes en jugeant, après avoir reconnu la faute partagée de la commune et de l’Etat dans le classement des terrains en zone constructible, que :

« (…) la société Masarin avait, lors de l’acquisition des parcelles le 18 août 1998, une assurance suffisante, donnée par la commune et par l’Etat, de leur constructibilité tant au regard du plan d’occupation des sols que de l’article L. 146-4 du code de l’urbanisme et que le préjudice résultant pour la société de la différence entre le prix d’acquisition des terrains et leur valeur réelle trouvait son origine directe non dans les actes de cession de ces terrains, mais dans la modification illégale du plan d’occupation des sols de la commune ; qu’en retenant ainsi l’existence d’un lien de causalité directe entre les illégalités commises par l’administration et le préjudice subi par la société Masarin, alors même qu’elle relevait par ailleurs que les actes de cession n’avaient été assortis d’aucune condition suspensive ou résolutoire, la cour administrative d’appel de Nantes a exactement qualifié les faits qui lui étaient soumis ».

La solution dégagée par le Conseil d’Etat pourrait marquer un infléchissement de sa jurisprudence dans l’appréciation du caractère direct du lien de causalité en matière de responsabilité résultant de décisions illégales en matière d’urbanisme.

Ainsi, dans un arrêt Ministère de l’écologie et du développement durable et commune du Rayol-Canadel du 28 octobre 2009 (req. n° 299753 : Mentionné aux tables du Rec. CE), le Conseil d’Etat a refusé de faire droit à l’action indemnitaire engagée par l’acquéreur d’un lot en zone d’aménagement concerté (ZAC) à la suite de l’annulation en cascade des actes rendant son terrain inconstructible (classement des terrains, création de la ZAC et approbation du plan d’aménagement de zone).

En effet, selon ce dernier arrêt, le préjudice résultant pour l’acquéreur de la différence entre le prix auquel il a acquis son terrain et la valeur réelle de celui-ci « trouve son origine directe non pas dans les actes ayant permis l’aménagement de la zone puis ultérieurement la vente des terrains, qui ne conféraient aucun droit à construire, mais dans les contrats de vente passés entre les acquéreurs et l’aménageur de la zone, lesquels pouvaient prévoir, en particulier, que la vente n’était conclue que sous réserve de l’obtention des permis de construire ».

C’est ce raisonnement que semble remettre en cause l’arrêt commenté en considérant que la différence entre le prix d’acquisition des terrains et leur valeur résulte, pour l’acquéreur, directement de la modification illégale du POS et non pas de l’acte de cession desdits terrains.

Cette solution est d’autant plus notable que l’acquéreur n’avait pas pris le soin d’inscrire de condition suspensive dans la promesse de vente des parcelles liée à la délivrance d’un permis de construire définitif.

Toujours est-il que l’acquéreur doit disposer, pour que l’entière responsabilité de l’administration soit reconnue, d’une « assurance suffisante » que ses terrains étaient effectivement constructibles à la date de leur acquisition.

Gageons que cette notion nourrira désormais le débat contentieux en matière de responsabilité administrative liée à des décisions d’urbanisme illégales.

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