La délivrance d’un permis de construire en l’absence de consultation de l’ABF n’entache pas ce dernier d’inexistence

Catégorie

Urbanisme et aménagement

Date

April 2015

Temps de lecture

5 minutes

CE 18 mars 2015 Association Ligue de défense des Alpilles, req. n° 367491

Le recours en déclaration d’inexistence vise à obtenir du juge qu’il déclare « nul et non avenu » une décision prise par l’Administration en raison, notamment, de l’illégalité particulièrement grave qui l’entache.

Outre le fait que les illustrations jurisprudentielles de la théorie de l’inexistence sont peu nombreuses, compte tenu de l’extrême gravité de ces illégalités, la décision du Conseil d’Etat Association Ligue de défense des Alpilles du 18 mars 2015 est particulièrement intéressante dans la mesure où elle a été rendue en matière de permis de construire.

Plus précisément, dans cette affaire, le Conseil d’Etat devait se prononcer sur le caractère inexistant d’un permis de construire en raison de l’absence de consultation de l’Architecte des Bâtiments de France (ABF).

En effet, le maire de la commune d’Eygalières avait accordé un permis de construire à M. et Mme B., par arrêté du 18 janvier 2008, en vue de la construction d’une maison d’habitation et une piscine.
Situé dans le champ de visibilité de la chapelle Saint-Sixte, inscrite à l’inventaire des monuments historiques, le permis de construire ne pouvait donc être délivré qu’avec l’accord de l’ABF en application de l’article R. 421-38-4 du code de l’urbanisme alors applicable.

En vertu des dispositions précitées, l’accord était réputé donné faute de réponse dans le délai d’un mois suivant la transmission du permis de construire par les services instructeurs.

L’association Ligue de défense des Alpilles, qui soutenait que le permis de construire aurait été obtenu par fraude, avait demandé au maire, par un courrier du 8 juin 2009, le retrait de ce permis et l’interruption des travaux.

Déboutée de ces demandes par une décision du 31 juillet 2009, l’association avait alors saisi le Tribunal administratif de Marseille afin que soit déclaré « nul et non avenu » l’arrêté de permis de construire du 18 janvier 2008.

Le Tribunal avait fait droit à sa demande par un jugement du 22 décembre 2010. En d’autres termes, l’inexistence juridique du permis litigieux avait été reconnue au motif que l’administration aurait simulé l’avis réputé favorable de l’ABF visé dans l’arrêté de permis de construire.

Pour parvenir à cette conclusion, le Tribunal s’était fondé principalement sur deux éléments :

    – La commune avait produit un courrier signé du service instructeur qui se présentait comme une demande d’avis ou d’accord à l’attention de l’ABF. Cette lettre qui était datée du 10 juillet 2007 indiquait pourtant que la demande de permis de construire avait été complétée le 12 octobre 2007.
    – En outre, dans une lettre du 5 mars 2009, l’ABF indiquait à la présidente de la Ligue de défense des Alpilles ne pas avoir été saisi pour avis de cette demande et être attaché à la préservation du site d’implantation du projet.

Toutefois, la Cour administrative d’appel de Marseille avait annulé ce jugement et rejeté les demandes présentées par l’association Ligue de défense des Alpilles par un arrêt du 15 novembre 2012.

En effet, la Cour avait constaté l’absence de manœuvre frauduleuse au regard du faisceau d’indices suivant :

    – Les procès-verbaux d’audition établis par la gendarmerie dans le cadre de la procédure diligentée par le procureur de la République, qui avait d’ailleurs classé sans suite la plainte pour faux et usage de faux déposée par la Ligue de défense des Alpilles, ne permettaient pas de conclure que le courrier du 10 juillet 2007 serait un faux document ;
    – Aucune autre des pièces du dossier n’était susceptible d’établir que l’administration aurait intentionnellement antidaté la lettre de saisine de l’ABF
    – Selon les rapports d’audition, l’ABF aurait rendu un avis favorable sans réserve s’il s’était prononcé sur le projet de M.B.

En outre, la cour précisait, qu’à supposer même que l’ABF n’ait pas été consulté conformément aux dispositions réglementaires du code de l’urbanisme, cette grave illégalité n’était pas de nature à faire regarder le permis de construire comme un acte juridiquement inexistant.

C’est dans ce contexte que l’Association Ligue de défense des Alpilles a formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat à l’encontre de l’arrêt rendu par la CAA de Marseille du 15 novembre 2012.

Le Conseil d’Etat devait donc se prononcer, au cas d’espèce, sur l’existence, ou non, d’une manœuvre frauduleuse de l’administration, ainsi que sur le caractère inexistant du permis de construire litigieux.

Tout d’abord, le Conseil d’Etat confirme, dans cette décision, que le fait de ne pas saisir l’ABF, alors même que son accord est requis, entache certes d’illégalité le permis de construire mais ne suffit pas à caractériser l’existence d’une fraude, laquelle suppose la réunion d’un élément matériel et d’un élément intentionnel 1) Cf. Point n°8 : « 8. Considérant, en troisième lieu, que si le fait de ne pas saisir l’architecte des bâtiments de France dans le cas où son accord est, comme en l’espèce, requis constitue une irrégularité de nature à entacher la légalité du permis de construire, cette seule circonstance ne saurait, toutefois, suffire à caractériser l’existence d’une fraude, laquelle suppose la réunion d’un élément matériel et d’un élément intentionnel ; que la cour n’a, dès lors, pas commis d’erreur de droit en écartant l’existence, en l’espèce, d’une fraude, après avoir constaté qu’aucun élément du dossier ne permettait de démontrer que l’administration se serait volontairement soustraite à l’obligation de saisir l’architecte des bâtiments de France ; »..

Ensuite, le Conseil d’Etat rappelle la nature du contrôle opéré sur l’appréciation de l’existence d’une manœuvre frauduleuse lorsqu’il statue en tant que juge de cassation : l’appréciation des juges du fond est souveraine et seule une dénaturation des faits de l’espèce est susceptible d’être censurée 2) Cf. Point n° 10 : « 10. Considérant, en cinquième lieu, qu’en déduisant des éléments de fait, rappelés au point 3, qu’elle a relevés que la preuve de l’existence d’une manœuvre frauduleuse de l’administration n’était pas rapportée, la cour s’est livrée à une appréciation souveraine qui, dès lors qu’elle est exempte de dénaturation, ne saurait être discutée devant le juge de cassation ;.

Enfin, le Conseil d’Etat, après avoir énoncé « qu’un acte administratif ne peut être regardé comme juridiquement inexistant que s’il est entaché d’un vice d’une gravité telle qu’il affecte non seulement sa légalité mais son existence même » 3) Cf. Point n° 11., confirme le raisonnement opéré par la Cour au terme duquel l’illégalité d’un permis de construire résultant de l’absence de saisine de l’ABF, « pour grave qu’elle soit » n’est pas de nature à faire regarder le permis de construire comme un acte juridiquement inexistant.

Reste à savoir ce qu’aurait jugé le Conseil d’Etat si, à l’inverse, il avait reconnu l’existence d’une manœuvre frauduleuse de l’administration ?

Rappelons que le Conseil d’Etat considère traditionnellement que si un acte administratif obtenu par fraude ne crée pas de droits, il n’en est pas pour autant inexistant 4) CE Section 29 novembre 2002 Assistance publique-Hôpitaux de Marseille, req. n° 223027 : Publié au Rec. CE 2002, p. 63 : « Considérant que, si un acte administratif obtenu par fraude ne crée pas de droits et, par suite, peut être retiré ou abrogé par l’autorité compétente pour le prendre, alors même que le délai de retrait de droit commun serait expiré, il incombe à l’ensemble des autorités administratives de tirer, le cas échéant, toutes les conséquences légales de cet acte aussi longtemps qu’il n’y a pas été mis fin ; qu’il suit de là qu’en jugeant que l’AP-HM ne pouvait utilement se prévaloir d’une éventuelle fraude entachant la nomination de Mme Papegnies pour refuser à l’intéressée le bénéfice des congés de longue maladie puis de longue durée prévus par les articles 18 et 19 du décret susvisé du 19 avril 1988, la cour administrative d’appel de Marseille, dont l’arrêt est suffisamment motivé, n’a pas commis d’erreur de droit ; »..

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1. Cf. Point n°8 : « 8. Considérant, en troisième lieu, que si le fait de ne pas saisir l’architecte des bâtiments de France dans le cas où son accord est, comme en l’espèce, requis constitue une irrégularité de nature à entacher la légalité du permis de construire, cette seule circonstance ne saurait, toutefois, suffire à caractériser l’existence d’une fraude, laquelle suppose la réunion d’un élément matériel et d’un élément intentionnel ; que la cour n’a, dès lors, pas commis d’erreur de droit en écartant l’existence, en l’espèce, d’une fraude, après avoir constaté qu’aucun élément du dossier ne permettait de démontrer que l’administration se serait volontairement soustraite à l’obligation de saisir l’architecte des bâtiments de France ; ».
2. Cf. Point n° 10 : « 10. Considérant, en cinquième lieu, qu’en déduisant des éléments de fait, rappelés au point 3, qu’elle a relevés que la preuve de l’existence d’une manœuvre frauduleuse de l’administration n’était pas rapportée, la cour s’est livrée à une appréciation souveraine qui, dès lors qu’elle est exempte de dénaturation, ne saurait être discutée devant le juge de cassation ;
3. Cf. Point n° 11.
4. CE Section 29 novembre 2002 Assistance publique-Hôpitaux de Marseille, req. n° 223027 : Publié au Rec. CE 2002, p. 63 : « Considérant que, si un acte administratif obtenu par fraude ne crée pas de droits et, par suite, peut être retiré ou abrogé par l’autorité compétente pour le prendre, alors même que le délai de retrait de droit commun serait expiré, il incombe à l’ensemble des autorités administratives de tirer, le cas échéant, toutes les conséquences légales de cet acte aussi longtemps qu’il n’y a pas été mis fin ; qu’il suit de là qu’en jugeant que l’AP-HM ne pouvait utilement se prévaloir d’une éventuelle fraude entachant la nomination de Mme Papegnies pour refuser à l’intéressée le bénéfice des congés de longue maladie puis de longue durée prévus par les articles 18 et 19 du décret susvisé du 19 avril 1988, la cour administrative d’appel de Marseille, dont l’arrêt est suffisamment motivé, n’a pas commis d’erreur de droit ; ».

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