La fraude, dans l’obtention d’un permis de construire, ne peut être caractérisée par des faits postérieurs à la délivrance de l’autorisation (CE 13 juillet 2012 Mme Marie-Anne E., req. n° 344710).

Catégorie

Urbanisme et aménagement

Date

July 2012

Temps de lecture

3 minutes

Le Conseil d’Etat vient de rappeler qu’il est exclu de tenir compte d’évènements postérieurs à la délivrance du permis de construire pour caractériser l’intention frauduleuse. 

Dans cette affaire, était en cause un permis de construire autorisant la construction d’un bâtiment à usage agricole destiné au stockage de fourrage pour les bovins. Tandis que le tribunal administratif de Rouen a rejeté la demande d’annulation formulée par des propriétaires voisins, la cour administrative d’appel de Douai a annulé le jugement et l’arrêté de permis en considérant que la demande n’aurait été déposée que dans l’objectif d’échapper aux prescriptions des dispositions du règlement sanitaire départemental selon lesquelles les bâtiments renfermant des élevages de bovins ne doivent pas être implantés à moins de 50 mètres des immeubles habités. 

A cet égard, la cour a retenu que « (…) en réalité la construction a été immédiatement, dans les faits, destinée à l’accueil de bovins et devait être soumise aux dispositions précitées du règlement sanitaire départemental du département de l’Eure » (CAA Douai 30 septembre 2010 M. et Mme Pierre A., req. n° 10DA00033). 

Ce raisonnement a toutefois été censuré par le Conseil d’Etat :

« Considérant qu’un permis de construire n’a pas d’autre objet que d’autoriser des constructions conformes aux plans et indications fournis par le pétitionnaire ; que la circonstance que ces plans et indications pourraient ne pas être respectés ou que ces constructions risqueraient d’être ultérieurement transformées ou affectées à un usage non-conforme aux documents et aux règles générales d’urbanisme n’est pas par elle-même, sauf le cas d’éléments établissant l’existence d’une fraude à la date de la délivrance du permis, de nature à affecter la légalité de celui-ci ; que la survenance d’une telle situation après la délivrance du permis peut conduire le juge pénal à faire application des dispositions répressives de l’article L. 480-4 du code de l’urbanisme ; qu’en revanche, elle est dépourvue d’incidence sur la légalité du permis de construire, sans qu’il soit besoin pour le juge administratif de rechercher l’existence d’une fraude ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède qu’en se fondant, pour annuler le permis litigieux, sur les motifs tirés de ce que son bénéficiaire aurait d’emblée donné à la construction litigieuse un usage autre que celui pour lequel l’autorisation avait été accordée et de ce que la demande de permis n’aurait ainsi été présentée qu’afin d’échapper aux prescriptions de l’article 153-4 du règlement sanitaire départemental, la cour a entaché son arrêt d’une erreur de droit ; que, par suite, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, Mme C est fondée à demander l’annulation de l’arrêt attaqué (…) ».

C’est ainsi que, sauf en cas de fraude, établie à la date de la délivrance de l’autorisation, l’utilisation d’un bâtiment pour une destination différente de celle pour laquelle il a été autorisé n’affecte pas, en soi, la légalité du permis de construire mais peut être censurée par le juge pénal, conformément aux dispositions de l’article L. 480-4 du code de l’urbanisme.

Cette décision s’inscrit dans une jurisprudence classique du Conseil d’Etat. 

En effet, il a déjà été jugé que la circonstance que les plans de la demande de permis de construire ne soient pas respectés ou que les constructions soient transformées ou affectées à une destination non conforme aux règles d’urbanisme applicables n’est pas, en elle-même, de nature à entacher la légalité du permis (CE 30 juillet 2003 Mme Javet-Tanguy, req. n° 227712). 

De plus, le Conseil d’Etat retient, de manière constante, que la fraude est caractérisée par des faits intervenus avant la délivrance de l’autorisation, qu’il s’agisse de mentions ou de plans erronés dans le dossier de demande (CE 20 mai 1994 Masméjean, req. n° 85114) ou de travaux antérieurs à la demande (CE 23 juillet 1993 Bourgon, req. n° 129391) ou des deux à la fois (CE 9 juin 2004 De Ribas, req. n° 248042). 

Mais cette décision précise expressément qu’après la date de la délivrance du permis, le juge administratif n’a pas à rechercher l’existence d’une fraude si des mentions figurant dans le dossier de demande ne sont pas respectées ou si les constructions autorisées sont transformées ou affectées à un usage non conforme aux documents d’urbanisme, ce type de situation étant sans incidence sur la légalité du permis, et ne pouvant être sanctionné que par le juge pénal. 

Il est intéressant de noter, à cet égard, que dans un arrêt, le Conseil d’Etat avait suivi le même raisonnement que la cour administrative d’appel de Douai à l’occasion d’un pourvoi en cassation contre une ordonnance de référé suspendant l’exécution d’une décision de retrait d’un permis de construire. Il avait en effet considéré que l’intention frauduleuse, qui permet précisément à l’administration de retirer un permis sans délai, pouvait être mise en évidence par des faits postérieurs à la délivrance de l’autorisation, tels que la réalisation de travaux selon des plans différents de ceux figurant dans le dossier de demande (CE 27 juillet 2005 Commune de Générac, req. n° 273943). Cette décision, non publiée au Recueil Lebon, paraît toutefois isolée. 

Le juge administratif limite donc clairement la qualification de fraude aux manœuvres révélées antérieurement à la délivrance de l’autorisation, laissant le juge pénal sanctionner celles qui interviendraient après, quand bien même elles auraient été préalablement prévues. 

Voir la décision CE 13 juillet 2012 Mme Marie-Anne E., req. n° 344710

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