La fraude fait obstacle à la régularisation d’une autorisation d’urbanisme sur le fondement de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme

Catégorie

Urbanisme et aménagement

Date

March 2024

Temps de lecture

4 minutes

CE 11 mars 2024 Commune de Saint-Raphaël req n°464257, mentionné aux T. du Rec. CE.

Par cette décision, mentionnée aux Tables, le Conseil d’Etat affirme, pour la première fois, que le juge administratif ne peut prononcer une mesure de régularisation sur le fondement des dispositions de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme 1)Article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme : « Sans préjudice de la mise en œuvre de l’article L. 600-5, le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager ou contre une décision de non-opposition à déclaration préalable estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu’un vice entraînant l’illégalité de cet acte est susceptible d’être régularisé, sursoit à statuer, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour cette régularisation, même après l’achèvement des travaux. Si une mesure de régularisation est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. Le refus par le juge de faire droit à une demande de sursis à statuer est motivé. » dès lors que l’autorisation d’urbanisme dont il est saisi a été obtenue par fraude.

Il est vrai que si cette solution avait déjà été retenue par des juges du fond 3)Comme le souligne Laurent Domingo, rapporteur public, dans ses conclusions sous cette décision, certaines juridictions du fond avaient déjà admis que le fraude n’était pas régularisable (CAA Lyon 12 octobre 2021 M. Farre, req n°20LY03430 – CAA Marseille 30 novembre 2023 Mme Gay, req n°22MA02534 – CAA Nancy 27 décembre 2023 M. Humbert req n°20NC1144)., la question ne s’était jamais posée devant la Haute juridiction.

Dans l’espèce soumise à cassation, le maire de la commune de Saint-Raphaël a délivré, le 3 mai 2019, un permis de construire autorisant le changement de destination d’un garage avec annexe en maison à usage d’habitation ainsi que l’extension de la construction existante.

Or, par un jugement en date du 22 mars 2022, le tribunal administratif de Toulon, saisi par des voisins du projet, a annulé pour excès de pouvoir le permis litigieux au motif qu’il méconnaissait, d’une part, les règles du plan local d’urbanisme relatives à l’implantation des constructions par rapport aux limites séparatives et, d’autre part, celles relatives aux aires de stockage des ordures ménagères.

Dans son pourvoi en cassation contre le jugement précité, la commune fait, tout d’abord, valoir que le tribunal ne pouvait faire application de la règle du plan local d’urbanisme prévoyant que « toute construction nouvelle doit présenter une ou plusieurs aires de stockage correctement dimensionnées (…) » dès lors que le projet doit être réalisé sur une construction existante.

Le Conseil d’État considère toutefois que le tribunal n’a pas commis d’erreur d’interprétation en appliquant cette règle dès que lors la transformation d’un garage en une maison d’habitation avec extension de l’existant doit être qualifié de « construction nouvelle » 2)Dans ses conclusions, Laurent Domingo affirme que « eu égard à la finalité de la règle, dès lors qu’il s’agit de transformer un garage en maison d’habitation, il est logique de juger que le projet autorisé est une construction nouvelle au sens de cet article, car elle nécessite l’aire de stockage des ordures ménagères dont le garage était dépourvu »..

Ensuite, la commune de Saint-Raphaël reproche au tribunal de ne pas avoir sursis à statuer afin de permettre la régularisation du permis de construire sur le fondement de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme.

Pour mémoire 4)Voir sur ce point l’article sur notre blog « Précisions en matière de régularisation de permis de construire dans le cadre des articles L. 600-5 et L. 600-5-1 du code de l’urbanisme »., depuis l’adoption de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique 5)Loi n°2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, lorsque le ou les vices affectant la légalité de l’autorisation d’urbanisme dont l’annulation est demandée sont susceptibles d’être régularisés, le juge administratif doit, en application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, surseoir à statuer sur les conclusions dont il est saisi contre cette autorisation, sauf à ce que le juge fasse le choix de recourir à l’article L. 600-5 du code de l’urbanisme 6)Article L. 600-5 du code de l’urbanisme : « Sans préjudice de la mise en œuvre de l’article L. 600-5-1, le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager ou contre une décision de non-opposition à déclaration préalable, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu’un vice n’affectant qu’une partie du projet peut être régularisé, limite à cette partie la portée de l’annulation qu’il prononce et, le cas échéant, fixe le délai dans lequel le titulaire de l’autorisation pourra en demander la régularisation, même après l’achèvement des travaux. Le refus par le juge de faire droit à une demande d’annulation partielle est motivé. », ou sauf à ce que le bénéficiaire de l’autorisation lui ait indiqué qu’il ne souhaitait pas bénéficier d’une mesure de régularisation.

Or, en l’espèce, et comme le souligne le rapporteur public dans ses conclusions, « pris en eux-mêmes, les deux vices [retenus par le tribunal] peuvent faire l’objet d’une régularisation sans apporter au projet un bouleversement tel qu’il en changerait la nature même ».

Toutefois, et c’est là tout l’apport de cette décision, la Haute juridiction affirme pour la première fois que :

« 7. (…) le juge ne peut faire application de ces dispositions lorsque l’autorisation d’urbanisme dont il est saisi a été obtenue par fraude »

Il est vrai que les dispositions de l’article L. 600-1-5 du code de l’urbanisme ne prévoient pas explicitement qu’une autorisation obtenue par fraude ne pourrait pas faire l’objet d’une mesure de régularisation.

Toutefois, dans le silence du texte et comme le souligne le rapporteur public, la « fraude corrompt tout ». En effet, un permis de construire obtenu par fraude, outre le fait qu’il est illégal, ne crée aucun droit au profit de son bénéficiaire 7)CE 20 janvier 1967 Société immobilière des 4, 6 et 8 rue Léo Délibes à Sceaux, req n°65492 : mentionné aux T. du Rec. CE. et, en particulier, de « droit à construire» 8)La Cour de cassation estime que le permis obtenu par fraude équivaut à son absence (Cass. Crim. 4 novembre 1998, n°97-82.569, publié au Bull. ; Cass. Crim. 17 octobre 2000, n°00-80.612 .

Au cas d’espèce, le Conseil d’État relève que le tribunal a jugé que l’auteur de la demande de permis de construire a « sciemment induit la commune en erreur » en fournissant à l’administration des informations erronées sur l’état de la construction existante « afin de bénéficier d’une règle d’urbanisme plus favorable » relative à l’implantation de la construction.

Par voie de conséquence, la Haute juridiction considère « qu’en s’abstenant, dans ces circonstances, de mettre en œuvre les dispositions de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, le tribunal administratif n’a pas méconnu son office, ni commis d’erreur de droit » et rejette, par suite, le pourvoi de la commune de Saint-Raphaël.

 

 

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1. Article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme : « Sans préjudice de la mise en œuvre de l’article L. 600-5, le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager ou contre une décision de non-opposition à déclaration préalable estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu’un vice entraînant l’illégalité de cet acte est susceptible d’être régularisé, sursoit à statuer, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour cette régularisation, même après l’achèvement des travaux. Si une mesure de régularisation est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. Le refus par le juge de faire droit à une demande de sursis à statuer est motivé. »
2. Dans ses conclusions, Laurent Domingo affirme que « eu égard à la finalité de la règle, dès lors qu’il s’agit de transformer un garage en maison d’habitation, il est logique de juger que le projet autorisé est une construction nouvelle au sens de cet article, car elle nécessite l’aire de stockage des ordures ménagères dont le garage était dépourvu ».
3. Comme le souligne Laurent Domingo, rapporteur public, dans ses conclusions sous cette décision, certaines juridictions du fond avaient déjà admis que le fraude n’était pas régularisable (CAA Lyon 12 octobre 2021 M. Farre, req n°20LY03430 – CAA Marseille 30 novembre 2023 Mme Gay, req n°22MA02534 – CAA Nancy 27 décembre 2023 M. Humbert req n°20NC1144).
4. Voir sur ce point l’article sur notre blog « Précisions en matière de régularisation de permis de construire dans le cadre des articles L. 600-5 et L. 600-5-1 du code de l’urbanisme ».
5. Loi n°2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique
6. Article L. 600-5 du code de l’urbanisme : « Sans préjudice de la mise en œuvre de l’article L. 600-5-1, le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager ou contre une décision de non-opposition à déclaration préalable, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu’un vice n’affectant qu’une partie du projet peut être régularisé, limite à cette partie la portée de l’annulation qu’il prononce et, le cas échéant, fixe le délai dans lequel le titulaire de l’autorisation pourra en demander la régularisation, même après l’achèvement des travaux. Le refus par le juge de faire droit à une demande d’annulation partielle est motivé. »
7. CE 20 janvier 1967 Société immobilière des 4, 6 et 8 rue Léo Délibes à Sceaux, req n°65492 : mentionné aux T. du Rec. CE.
8. La Cour de cassation estime que le permis obtenu par fraude équivaut à son absence (Cass. Crim. 4 novembre 1998, n°97-82.569, publié au Bull. ; Cass. Crim. 17 octobre 2000, n°00-80.612

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