La liberté de l’acheteur public s’étend aux éléments d’appréciation utilisés pour la notation des critères d’attribution

Catégorie

Contrats publics

Date

December 2020

Temps de lecture

4 minutes

CE 20 novembre 2020, Société Evancia, req. n° 427761 : mentionné dans les tables du recueil Lebon

La question du contrôle exercé par le juge sur l’examen des offres auquel s’est livré l’acheteur public a déjà donné lieu à une jurisprudence fournie que viendra utilement compléter la présente décision du 20 novembre 2020.

Celle-ci a pour origine un marché public de services conclu entre le centre communal d’action sociale (CCAS) de Saint-Malo et la société Maison Bleue pour la réservation de vingt places en crèche. La société Evancia, plus connue sous le nom de Babilou, a contesté devant le tribunal administratif de Rennes la validité du contrat en qualité de candidat évincé et assorti sa demande de conclusions indemnitaires liées à la perte de chance de se voir attribuer le marché en cause sur le fondement de la jurisprudence « Tarn-et-Garonne » (CE Ass. 4 avril 2014 Département Tarn-et-Garonne, req. n° 358994 : publié au Rec. CE).

Après avoir obtenu la résiliation du contrat devant en première instance, la société Evancia fut déboutée de l’ensemble de ses demandes par la cour administrative d’appel de Nantes qui annula le jugement en tant qu’il prononçait la résiliation du marché.

La société Evancia saisit donc le Conseil d’Etat afin qu’il statue sur ses demandes d’annulation et indemnitaires.

L’acheteur peut définir librement les éléments d’appréciation utilisés pour la notation des offres

La liberté dont jouissent les acheteurs dans le cadre de la procédure de passation d’un marché public porte sur la détermination des critères de sélection des offres, celle de leur pondération ainsi que sur le choix de la méthode de notation mise en œuvre.

Il s’agit naturellement d’une liberté encadrée puisque les critères définis par l’acheteur ne doivent pas être dépourvus de lien avec l’objet du marché ou ses conditions d’exécution et ne peuvent ainsi se révéler discriminatoires (CE 28 avril 2006 Commune de Toulouse, req. n° 280197 : Mentionné dans les tables du recueil Lebon).

Il en va de même pour la pondération de ces critères au sujet de laquelle le Conseil d’Etat a récemment précisé qu’elle ne pouvait pas conduire à ce que l’acheteur ne choisisse pas l’offre la plus économiquement avantageuse (CE 10 juin 2020 Ministre des Armées, req. n° 431194 : Mentionné dans les tables du recueil Lebon).

S’agissant de la méthode de notation des offres, le Conseil d’Etat rappelle dans la présente décision que celle-ci est définie librement pour la mise en œuvre des critères de sélections qui ont été rendus publics. Il y précise que cette liberté s’étend tant aux « éléments d’appréciation pris en compte pour l’élaboration de la note des critères » qu’aux « modalités de détermination de cette note par combinaison de ces éléments d’appréciation ».

La Haute Juridiction ajoute toutefois qu’une telle méthode serait entachée d’irrégularité si les éléments d’appréciation utilisés par acheteurs étaient dépourvus de tout lien avec le critère auquel ils doivent servir ou si les modalités de détermination de la note des critères de sélection par combinaison de ces éléments étaient, par elles-mêmes, de nature à priver de leur portée ces critères ou à neutraliser leur pondération et seraient ainsi susceptibles de conduire, pour la mise en œuvre de chaque critère, à ce que la meilleure note ne soit pas attribuée à la meilleure offre, ou, au regard de l’ensemble des critères pondérés, à ce que l’offre économiquement la plus avantageuse ne soit pas choisie.

Précisons que dans une telle hypothèse, la circonstance que la méthode de notation ait été préalablement rendue public est sans influence sur l’irrégularité dont elle est entachée.

Des éléments à caractère financier peuvent être utilisés pour apprécier le critère de la valeur technique

En l’occurrence, la critique formulée par la société requérante portait très précisément sur deux éléments d’appréciation utilisés par le CCAS de Saint-Malo au titre du critère portant sur la valeur technique de l’offre auquel était alloué 60 points contre 40 pour le critère du « prix unitaire à la place ».

Ce critère était décomposé en quatre sous-critères dont l’un se rapportait à la « qualité du projet d’établissement » du candidat. Pour l’appréciation de ce critère, le CCAS s’était fondé sur deux éléments d’appréciation portant respectivement sur les moyens humains mis en œuvre et sur le projet d’établissement lui-même.

Parmi les éléments pris en compte au titre du projet d’établissement figuraient notamment les « projets complémentaires » composés de quatre éléments d’appréciation, dont le « budget alimentation annuel » proposé par le candidat.

La société Evancia critiquait cet élément d’appréciation, notamment en raison de son caractère financier et de sa prise en compte par l’acheteur également au titre du critère prix.

Le Conseil d’Etat considère toutefois qu’un tel élément, qui permet notamment d’apprécier la qualité des repas servis aux enfants, n’est pas sans lien avec le critère lié à la qualité du projet d’établissement auquel il se rattache. La circonstance qu’il puisse être également utilisé pour apprécier le critère du « prix unitaire à la place » ne pose pas de difficulté selon le juge dès lors qu’il ne s’agissait que d’un élément parmi d’autres permettant d’apprécier tant l’alimentation des enfants que le prix.

La critique de la société Evancia portait par ailleurs sur l’un des éléments d’appréciation pris en compte au titre des moyens humains mis en œuvre, eux-mêmes appréciés dans le cadre du sous-critère tiré de la qualité du projet d’établissement, et qui portait sur la masse salariale brute.

Le Conseil d’Etat considère toutefois que cet élément qui comporte un aspect financier est révélateur des salaires versés au personnel de crèche et donc de son niveau de qualification, et traduit également les moyens de remplacement mis en œuvre par le candidat en cas d’absence du personnel et sa capacité à assurer ainsi la continuité du service.

Ajoutant qu’il s’agit là encore d’un élément parmi d’autres permettant au CCAS d’apprécier les moyens humains alloués au projet, le juge considère que la masse salariale brute n’est pas dépourvue de tout lien avec le critère de la valeur technique de l’offre auquel elle se rattache.

Le Conseil d’Etat poursuit ainsi son interprétation libérale et constructive en matière d’appréciation des offres par l’acheteur en admettant que des éléments d’appréciation à caractère financier puissent être utilisés pour apprécier la qualité de l’offre proposée par un candidat, sous réserve bien entendu qu’ils présentent un lien avec le critère auquel ils se rapportent et ne mettent pas en péril le choix de l’offre la plus économiquement avantageuse.

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