Le contrôle de la réévaluation de redevances d’utilisation de fréquences radioélectriques

Catégorie

Contrats publics

Date

January 2015

Temps de lecture

6 minutes

CE 29 décembre 2014 Société Bouygues Télécom, req. n° 368773

La société Bouygues Télécom a été autorisée en 1994 à établir et exploiter un réseau radioélectrique ouvert au public à la norme GSM – réseau de deuxième génération (2 G) – en France métropolitaine dans la bande 1 800 MHz jusqu’au 8 décembre 2009. Cette autorisation a été renouvelée pour une durée de quinze ans par une décision du 5 novembre 2009 de l’ARCEP, l’utilisation des fréquences demeurant limitée à la norme GSM.

En vertu d’un décret du 24 octobre 2007 relatif aux redevances d’utilisation des fréquences radioélectriques dues par les titulaires d’autorisations d’utilisation de fréquences délivrées par l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, elle versait une redevance pour l’utilisation des fréquences de la bande 1 800 MHz.

A la suite d’une demande de la société Bouygues Télécom de levée des restrictions d’utilisation des fréquences de cette bande, l’ARCEP a modifié, par décision du 4 avril 2013, sa décision du 5 novembre 2009 et l’a autorisée, pour la durée restant à courir, à utiliser d’autres normes que la norme GSM dans cette bande de fréquences (lui permettant ainsi d’utiliser ces fréquences pour l’exploitation d’un réseau 4 G).

Parallèlement, le gouvernement a modifié le décret du 24 octobre 2007 par un décret du 22 mars 2013, qui a augmenté la part fixe de la redevance due au titre de l’utilisation des fréquences dans la bande 1 800 MHz, la part fixe variant selon que la bande de fréquences était utilisée sans restrictions ou uniquement pour un réseau 2 G.

La société Bouygues Télécom ayant contesté le décret du 22 mars 2013, le Conseil d’Etat l’a annulé en censurant l’erreur commise par le gouvernement dans la détermination du montant auquel devait être réévaluée la redevance versée.

    1 – La possibilité de réévaluer une redevance d’occupation du domaine public

Le Conseil d’Etat commence à cet égard par rappeler qu’il résulte des dispositions des articles L. 2124-26 1) « L’utilisation, par les titulaires d’autorisation, de fréquences radioélectriques disponibles sur le territoire de la République, constitue un mode d’occupation privatif du domaine public de l’Etat »., L. 2125-1 2) « Toute occupation ou utilisation du domaine public d’une personne publique mentionnée à l’article L. 1 donne lieu au paiement d’une redevance […] ». et L. 2125-3 3) « La redevance due pour l’occupation ou l’utilisation du domaine public tient compte des avantages de toute nature procurés au titulaire de l’autorisation ». du code général de la propriété des personnes publiques que l’utilisation de fréquences radioélectriques, par les titulaires d’autorisation, constitue un mode d’occupation privative du domaine public de l’Etat, qui donne lieu au paiement d’une redevance, laquelle tient compte des avantages de toute nature procurés par cette utilisation, la compétence en la matière appartenant ici au Premier ministre, ainsi que le fait que « si l’autorité gestionnaire du domaine public peut, avant même le terme d’une autorisation délivrée, modifier les conditions pécuniaires auxquelles est subordonnée l’occupation du domaine, elle ne peut toutefois légalement exercer cette prérogative qu’à raison de circonstances nouvelles intervenues ou portées à sa connaissance postérieurement à la délivrance de l’autorisation » (points 9-10).

La solution n’est pas nouvelle puisque le Conseil d’Etat avait récemment eu l’occasion d’en faire application au sujet d’un décret modifiant la redevance due par les sociétés concessionnaires d’autoroutes pour occupation du domaine public 4) Les règles de détermination du montant de cette redevance sont fixées par le code de la voirie routière qui retient tout à la fois la valeur locative des voies autoroutières exploitées par le concessionnaire et le montant du chiffre d’affaires réalisé par celui-ci au titre de son activité de concessionnaire d’autoroutes via un coefficient multiplicateur ; c’était ce dernier qui avait été modifié (de 0,015 à 0,055). Sur le fondement essentiellement de l’article L. 2125-3 du CG3P, le Conseil d’Etat a jugé « que les sociétés concessionnaires d’autoroutes occupent, pour l’exercice de la concession, le domaine public routier national que constitue l’autoroute et en retirent des avantages » et que « la volonté d’assurer une meilleure exploitation du domaine public fait partie des motifs pouvant justifier une modification du montant de la redevance dans le respect des dispositions citées ci-dessus du code général de la propriété des personnes publiques », avant de juger que c’est légalement « que, pour modifier la formule de calcul de la redevance d’occupation due par les sociétés concessionnaires d’autoroutes, basée sur la longueur de voie qui leur est concédée et leur chiffre d’affaires, le Premier ministre a pris en compte l’augmentation de ce dernier, plus rapide que celle de la redevance, constatée depuis son institution, en 1997 » (CE 16 décembre 2013 ESCOTA, req. n° 369304)..

Antérieurement, il avait même été considéré « que la volonté d’assurer une meilleure exploitation du domaine public, notamment par l’instauration d’une redevance tenant compte des avantages de toute nature qu’un permissionnaire est susceptible de retirer de l’occupation de ce domaine, fait partie des motifs d’intérêt général pouvant justifier qu’il soit mis fin à un contrat d’occupation du domaine public avant son terme » 5) CE 23 mai 2011 EPAD, req. n° 328525..

La nécessité pour le gestionnaire du domaine public de fixer, tant dans l’intérêt dudit domaine et de son affectation que dans l’intérêt général, les conditions auxquelles il entend subordonner les permissions d’occupation et, à ce titre, de déterminer le tarif des redevances en tenant compte des avantages de toute nature que le permissionnaire est susceptible de retirer de l’occupation du domaine public, a, de fait, donné lieu à de multiples décisions 6) Voir par exemple CE 10 juin 2010 Société des autoroutes Esterel-Côte d’Azur-Provence-Alpes (ESCOTA), req. n° 305136 : Rec. CE p. 762 – CE 1er février 2012 SA RTE EDF Transport, req. n° 338665 – CE 7 mai 2012 Syndicat intercommunal du canal des Alpines septentrionales, req. n° 343697 – CAA Marseille 13 mars 2012 Société La Crêpe d’Or, req. n° 09MA04081 – CAA Lyon 13 décembre 2012 M. Raymond Avrillier, req. n° 12LY01167 – CAA Lyon 28 février 2013 Communauté d’agglomération Grenoble Alpes Métropole, req. n° 12LY00820 – CAA Versailles 4 juillet 2013 Département des Hauts-de-Seine, req. n° 11VE02670. Voir également Nathalie Reuland, Comment fixer le montant de la redevance pour occupation du domaine public ?, AJDA 2013, p. 1340..

En l’espèce, le Conseil d’Etat relève :

« que la levée des restrictions d’utilisation pour des fréquences de la bande 1 800 MHz, décidée dans le cadre des dispositions de l’article 59 de l’ordonnance du 24 août 2011, permet aux opérateurs qui l’ont obtenue d’exploiter les fréquences correspondantes au moyen d’autres procédés que la norme GSM qui était auparavant seule autorisée sur ces fréquences ; que cette novation a constitué une circonstance nouvelle qui était de nature à permettre à l’autorité compétente de modifier les conditions pécuniaires mises à l’utilisation de ces fréquences, alors même que les autorisations qui avaient été délivrées n’étaient pas venues à expiration » (point 10).

    2 – La détermination du montant réévalué

Si le principe d’une réévaluation et sa possibilité au cas présent ne sont donc pas remis en cause, le Conseil d’Etat ajoute toutefois :

« que la modification du montant de la redevance due pour l’utilisation de ces fréquences ne saurait être fixée à un niveau qui serait manifestement disproportionné par rapport à l’avantage que les opérateurs en retirent ; que l’autorité compétente doit veiller, ainsi que le précisent les objectifs énoncés aux articles 13 et 14 de la directive 2002/20 CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002, à ce qu’une éventuelle augmentation, limitée à des proportions raisonnables, tienne compte du surcroît d’avantages de toute nature procurés au titulaire de l’autorisation, déterminé en ayant recours à une méthode d’évaluation objectivement justifiée, transparente et non discriminatoire ; qu’il appartient au juge de l’excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens soulevés à l’appui d’une contestation du nouveau montant de la redevance, de s’assurer que les bases de calcul retenues pour déterminer ce montant ne sont pas entachées d’erreur de droit et que le montant qui en résulte n’est pas manifestement disproportionné par rapport aux avantages de toute nature procurés aux opérateurs par les nouvelles conditions d’utilisation des fréquences » (point 11).

Or, en l’espèce, pour arrêter le nouveau montant de la part fixe de la redevance due par les opérateurs au titre de l’utilisation sans restrictions de fréquences de la bande 1 800 MHz, le Premier ministre s’était approprié l’estimation retenue par la commission des participations et des transferts dans un avis émis au vu notamment d’une étude réalisée par une banque conseil de l’Etat.

Mais, d’une part, dans son avis, la commission, pour déterminer un montant annuel de redevance, était partie d’un montant global déterminée en fonction de la valeur d’une utilisation sans restrictions de la bande de fréquences pendant quinze ans, commettant ainsi une première erreur puisque l’autorisation dont bénéficiait la société Bouygues Télécom, si elle était de quinze ans à la date de son renouvellement à compter du 9 décembre 2009, était d’une durée moindre lors de l’intervention du décret du 22 mars 2013.

Et, d’autre part, l’évaluation de la valeur intrinsèque de la bande de fréquences reposait sur une hypothèse d’utilisation des fréquences en cause au seul moyen d’un réseau 4 G alors qu’il était avéré que « les fréquences en cause ne peuvent, en fait, être utilisées, au moins pendant un temps, exclusivement avec la norme 4 G, compte tenu de la nécessité pour l’opérateur de continuer d’acheminer sur cette bande de fréquences un volume notable de communications par le biais de la norme 2 G ». Ce faisant, le décret avait ainsi fixé « un montant de part fixe en fonction des avantages estimés pour une utilisation exclusive avec la norme 4 G, alors que les avantages procurés à l’opérateur peuvent être regardés comme différant sensiblement selon que les fréquences sont utilisées avec la norme 2 G ou la norme 4 G » et il avait donc retenu « un montant de redevance qui n’est pas en rapport avec les avantages effectivement procurés par cette utilisation ».

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References   [ + ]

1. « L’utilisation, par les titulaires d’autorisation, de fréquences radioélectriques disponibles sur le territoire de la République, constitue un mode d’occupation privatif du domaine public de l’Etat ».
2. « Toute occupation ou utilisation du domaine public d’une personne publique mentionnée à l’article L. 1 donne lieu au paiement d’une redevance […] ».
3. « La redevance due pour l’occupation ou l’utilisation du domaine public tient compte des avantages de toute nature procurés au titulaire de l’autorisation ».
4. Les règles de détermination du montant de cette redevance sont fixées par le code de la voirie routière qui retient tout à la fois la valeur locative des voies autoroutières exploitées par le concessionnaire et le montant du chiffre d’affaires réalisé par celui-ci au titre de son activité de concessionnaire d’autoroutes via un coefficient multiplicateur ; c’était ce dernier qui avait été modifié (de 0,015 à 0,055). Sur le fondement essentiellement de l’article L. 2125-3 du CG3P, le Conseil d’Etat a jugé « que les sociétés concessionnaires d’autoroutes occupent, pour l’exercice de la concession, le domaine public routier national que constitue l’autoroute et en retirent des avantages » et que « la volonté d’assurer une meilleure exploitation du domaine public fait partie des motifs pouvant justifier une modification du montant de la redevance dans le respect des dispositions citées ci-dessus du code général de la propriété des personnes publiques », avant de juger que c’est légalement « que, pour modifier la formule de calcul de la redevance d’occupation due par les sociétés concessionnaires d’autoroutes, basée sur la longueur de voie qui leur est concédée et leur chiffre d’affaires, le Premier ministre a pris en compte l’augmentation de ce dernier, plus rapide que celle de la redevance, constatée depuis son institution, en 1997 » (CE 16 décembre 2013 ESCOTA, req. n° 369304).
5. CE 23 mai 2011 EPAD, req. n° 328525.
6. Voir par exemple CE 10 juin 2010 Société des autoroutes Esterel-Côte d’Azur-Provence-Alpes (ESCOTA), req. n° 305136 : Rec. CE p. 762 – CE 1er février 2012 SA RTE EDF Transport, req. n° 338665 – CE 7 mai 2012 Syndicat intercommunal du canal des Alpines septentrionales, req. n° 343697 – CAA Marseille 13 mars 2012 Société La Crêpe d’Or, req. n° 09MA04081 – CAA Lyon 13 décembre 2012 M. Raymond Avrillier, req. n° 12LY01167 – CAA Lyon 28 février 2013 Communauté d’agglomération Grenoble Alpes Métropole, req. n° 12LY00820 – CAA Versailles 4 juillet 2013 Département des Hauts-de-Seine, req. n° 11VE02670. Voir également Nathalie Reuland, Comment fixer le montant de la redevance pour occupation du domaine public ?, AJDA 2013, p. 1340.

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