La libre appréciation du juge de l’exécution dans la détermination des mesures rendues nécessaires par l’annulation d’un acte détachable du contrat

Catégorie

Contrats publics

Date

January 2013

Temps de lecture

4 minutes

CE 10 décembre 2012 Société Lyonnaise des eaux France, req. n° 355127

Par un arrêt du 10 décembre 2012, le Conseil d’Etat a précisé l’étendue des pouvoirs dévolus au juge de l’exécution dans le cadre d’un recours en annulation contre les actes détachables d’un contrat.

En l’espèce, le syndicat intercommunal d’eau potable et d’assainissement (SIEA) de Ludon-Macau-Labarde a engagé deux procédures de passation de délégation de service public (DSP) ayant pour objet l’exploitation de son service de distribution d’eau potable d’une part, et de son service d’assainissement d’autre part.

La société Lyonnaise des eaux France a introduit un recours demandant l’annulation des deux délibérations en date du 17 juin 2005 par lesquelles le SIEA avait autorisé son président à conclure les DSP de ces deux services avec la société Aquitaine gestion urbaine et rurale (Agur), au motif de l’absence d’information des candidats sur les critères d’attribution des délégations[1]. Elle a assorti ce recours en annulation des actes détachables des contrats d’une demande tendant au prononcé d’une injonction de résoudre ces deux conventions.

Rappelons que la décision « Société Orphys »[2] a tracé la grille de lecture que doit suivre le juge de l’exécution de l’annulation d’un acte détachable du contrat, saisi d’une demande tendant au prononcé de mesures affectant le contrat, pour décider de celle qui est impliquée par ladite annulation.

Il lui appartient de tenir compte de la nature de l’illégalité constatée pour décider :

  •  Soit la poursuite de l’exécution du contrat, éventuellement sous réserve de mesures de régularisations prises par la personne publique ou convenues entre les parties ;
  • Soit, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général, enjoindre à la personne publique de résilier le contrat, le cas échéant avec un effet différé ;
  • Soit, devant une illégalité d’une particulière gravité, inviter les parties à résoudre leurs relations, ou, à défaut d’entente, à saisir le juge du contrat afin qu’il en règle les modalités si ce dernier estime que la résolution peut être une solution appropriée.

Le prononcé de ces injonctions s’inscrit dans le cadre de l’article L.911-1 du code de justice administrative[3], qui permet au juge, saisi de conclusions en ce sens, de prescrire à l’administration la mesure d’exécution impliquée par l’annulation de l’acte détachable.

En l’espèce, la société requérante avait seulement sollicité une injonction tendant à la résolution du contrat. Néanmoins, la limitation de cette demande n’empêche en rien le juge de prononcer l’une des mesures d’exécution qu’il estime la plus appropriée, puisque le Conseil d’Etat affirme clairement que « dans la détermination des mesures rendues nécessaires par l’annulation, le juge de l’exécution n’est pas tenu par celles demandées par le requérant ».

Une telle approche permet au juge de l’exécution de tirer les conséquences les plus adaptées de l’annulation d’un acte détachable du contrat, sans être contraint par le contenu de la demande d’injonction formulée : il s’agit de prononcer les mesures les plus exactement exigées par l’annulation d’un acte, analyse que le juge de l’injonction (juge de plein contentieux) conduisait d’ores et déjà sans être tenu strictement aux mesures sollicitées par les requérants[4].

Appliquée au domaine contractuel, cette approche présente le mérite d’un pragmatisme certain : au lieu de s’en tenir au seul rejet d’une mesure d’exécution qui s’avérerait inadaptée, comme celle tendant à la résolution du contrat par exemple, sans pouvoir prononcer d’autre mesure faute d’avoir été saisi à titre subsidiaire d’une autre demande, le juge administratif peut prononcer la mesure qui lui parait la plus adaptée au contexte.

Au cas particulier, le Conseil d’Etat constate que l’illégalité tenant à l’absence d’information sur les critères de choix des offres ne révèle aucune volonté de la part du SIEA de favoriser illégalement l’un des candidats. Rappelons qu’à l’époque (comme maintenant), les textes ne précisaient pas cette obligation de publier les critères de choix des offres dans le cadre de la passation d’une délégation de service public, et l’ensemble des praticiens considérait que le choix d’un délégataire se conduisait intuitu personae : ce n’est ainsi qu’en 2009 que le Conseil d’Etat a affirmé que les principes généraux de la commande publique impliquaient une information à cet égard dans le cadre de la passation des délégations de service public, malgré le silence des textes[5].

En conséquence, la résolution des conventions ne lui parait pas être une mesure d’exécution justifiée par les faits de l’espèce, tandis que la résiliation des conventions au 1er mai 2013 permet de mettre un terme aux contrats (ce vice étant jugé suffisamment grave et insusceptible de régularisation), tout en laissant au SIEA le temps de conduire (dans une certaine urgence…) les procédures de passation des futures délégations.

 

 


[1] CE 23 décembre 2009 Etablissement public du musée et du domaine de Versailles, req. n° 328827 : publié au Rec. CE. Par cet arrêt, le juge administratif a précisé que le silence des textes applicables aux délégations de service public sur le sujet des critères de choix des offres ne pouvait être compris comme n’imposant pas une information à cet égard, les principes généraux de la commande publique exigeant nécessairement une telle information. Toutefois, la personne publique n’est pas tenue d’indiquer les modalités de mise en œuvre de ces critères (soit leur pondération ou leur hiérachisation), dès lors qu’elle peut procéder de manière globale à leur appréciation.

[2] CE 21 février 2011 société Ophrys, req. n° 337349 : publié au Rec. CE ; CE 21 février 2011 société Véolia Propreté, req. n° 335306 : mentionné aux tables du Rec. CE.

[3]  Article L. 911-1 du code de justice administrative :  « Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution ».

[4] Voir par exemple pour des demandes d’injonction tendant à l’effacement de certaines données personnelles dans des dossiers informatiques, où le Conseil d’Etat enjoint finalement l’adoption d’un nouveau texte dans un délai, et, à défaut de l’adoption de ce nouveau texte dans ce délai, la suppression desdites données, ce qui n’était pas exactement le sens de l’injonction sollicitée (CE 11 janvier 2006 association des familles victimes du saturnisme, req. n° 267251 – voir également CE 19 juillet 2010 Fristot et Mme Charpy, req. n° 334014).

[5] Par ailleurs, on rappellera que l’arrêt département de Vendée (CE 7 novembre 2008, req. n° 291794) avait déjà porté atteinte à l’intuitu personae que l’on attachait traditionnellement au DSP en permettant au juge de contrôler le choix du délégataire (ce contrôle étant limité à l’erreur manifeste d’appréciation).

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