La nécessité de mettre fin à une convention dépassant la durée prévue par la loi d’une délégation de service public constitue un motif d’intérêt général justifiant sa résiliation unilatérale par la personne publique

Catégorie

Contrats publics

Date

May 2013

Temps de lecture

5 minutes

CE 7 mai 2013 Société auxiliaire de parcs de la région parisienne (SAPP), req. n° 365043 : à publier au Rec. CE

Par un arrêt du 7 mai dernier, le Conseil d’Etat a apporté d’utiles précisions sur le contrôle du juge opéré sur une mesure de résiliation contestée par l’une des parties au contrat 1) CE 21 mars 2011 commune de Béziers, req. n° 304806 : publié au Rec. CE., notamment dans le cadre de l’exercice d’un référé-suspension.

En l’espèce, la commune de Fontainebleau a notifié à la Société auxiliaire de parcs de la région parisienne (SAPP) une décision de résiliation de deux conventions conclues avec elle en 1996 pour une durée de vingt-cinq ans avec portant sur la modernisation et l’exploitation de trois parcs de stationnement, motif pris de leur durée excessive au regard des exigences de l’article L. 1411-2 du CGCT 2) « Les conventions de délégation de service public doivent être limitées dans leur durée. Celle-ci est déterminée par la collectivité en fonction des prestations demandées au délégataire. Lorsque les installations sont à la charge du délégataire, la convention de délégation tient compte, pour la détermination de sa durée, de la nature et du montant de l’investissement à réaliser et ne peut dans ce cas dépasser la durée normale d’amortissement des installations mises en œuvre […] »..

La SAPP a saisi le juge d’un recours de plein contentieux contre cette mesure de résiliation, assorti d’un référé-suspension, en soutenant d’une part que la durée de 25 ans des conventions ne contrevenait pas aux exigences de l’article L. 1411-2 du CGCT, et d’autre part que le motif tiré d’une durée excessive d’une délégation de service public n’autorisait pas une personne publique à résilier unilatéralement les conventions.

Saisi dans le cadre d’un pourvoi dirigé contre l’ordonnance rejetant le référé-suspension, le Conseil d’Etat ne suit pas cet argumentaire.

D’une part, il pose pour principe que « […] eu égard à l’impératif d’ordre public imposant de garantir, par une remise en concurrence périodique, la liberté d’accès des opérateurs économiques aux contrats de délégation de service public et la transparence des procédures de passation, la nécessité de mettre fin à une convention dépassant la durée prévue par la loi d’une délégation de service public constitue un motif d’intérêt général justifiant sa résiliation unilatérale par la personne publique, sans qu’il soit besoin qu’elle saisisse au préalable le juge […] ».

La Haute Juridiction fait preuve d’une tolérance particulière en requalifiant la mesure de « caducité » prononcée par la commune en mesure de résiliation unilatérale justifiée par un motif d’intérêt général.
S’il est constant qu’une personne publique peut décider de mettre un terme anticipé à un contrat pour un motif d’intérêt général, lequel peut notamment tenir à l’illicéité des clauses qu’il contient, il est regrettable de voir le juge passer si vite sur l’analyse du caractère ou non excessif de la durée de 25 ans retenue en l’espèce.

Le Conseil d’Etat relève qu’ « eu égard à son office », le juge des référés n’a pas commis d’erreur de droit ni dénaturé les pièces du dossier en estimant que le moyen tiré de ce que la durée des conventions litigieuses ne pouvait être regardée comme excessive n’était pas à propre, en l’état de l’instruction, à créer un doute sérieux sur la légalité de la mesure contestée.

Il nous semble que le contrôle du juge sur ce point aurait pu être plus développé. C’est en réalité la SAPP qui s’est vue supporter la charge de la preuve, puisqu’il lui appartenait en sa qualité de requérante de démontrer que la durée de 25 ans n’était pas excessive. Toutefois, elle avait fait valoir en première instance qu’à ce jour, lui restaient à amortir 2,5 millions d’EUR d’investissements sur 8 années de contrat. Le juge des référés s’est borné à estimer que cette circonstance « n’est pas, par elle-même, de nature à démontrer que la durée des conventions ne serait pas excessive » 3) TA Melun 21 décembre 2012 SAPP, req. n° 1210077/8..

Pourtant, il n’est pas rare de constater de telles durées dans les délégations de service public ayant suscité des investissements conséquents (ainsi, la limite de durée posée par la loi pour les délégations de service public de l’eau et de l’assainissement est de 20 ans).

On se souvient au demeurant que le Conseil d’Etat avait pu retenir une conception souple du lien entre la durée des DSP et le temps de l’amortissement évoqué par l’article L. 1411-2 du CGCT, en jugeant expressément que la durée d’une DSP pouvait ne pas correspondre exactement à l’amortissement comptable des investissements réalisés par le délégataire, mais comprendre également l’amortissement de ses charges d’exploitation 4) CE 11 août 2009 société Maison Comba, req. n° 303517 : mentionné aux tables du Rec. CE : « […] la durée normale d’amortissement des installations susceptible d’être retenue par une collectivité délégante, peut être la durée normalement attendue pour que le délégataire puisse couvrir ses charges d’exploitation et d’investissement, compte tenu des contraintes d’exploitation liées à la nature du service et des exigences du délégant, ainsi que de la prévision des tarifs payés par les usagers, que cette durée coïncide ou non avec la durée de l’amortissement comptable des investissements; qu’en jugeant que la durée normale des investissements ne saurait se réduire par principe à la durée comptable mais résultait d’un équilibre global entre les différents éléments précités, la cour administrative d’appel de Marseille, qui n’avait pas à vérifier que la convention de délégation contenait elle-même les justificatifs de sa durée, n’a donc pas commis d’erreur de droit […] ».

Dans ces conditions, il est difficile de comprendre en quoi la durée de 25 ans initialement fixée, et qui laisse 2,5 millions d’EUR d’investissements (sans compter les charges d’exploitation) à amortir sur 8 années serait excessive – mais la Haute juridiction se retranche derrière l’office du juge des référés pour écarter le moyen sans répondre à cette question.

Enfin, cette approche fait bien peu de cas du principe de loyauté contractuelle, alors que la dure d’une délégation de service public est une caractéristique essentielle du contrat que la personne publique doit définir elle-même et porter à la connaissance des candidats 5) CE 23 mai 2008 Musée Rodin, req. n° 306153..

Cette jurisprudence revient à admettre qu’une personne publique puisse de désengager d’un contrat dont elle connaissait pourtant parfaitement les termes, qu’elle avait elle-même définis, en se prévalant d’une irrégularité qu’elle a finalement elle-même commise – ce que la jurisprudence « Béziers I » 6) CE 28 décembre 2009 commune de Béziers, req. n° 304802 : « […] il appartient alors au juge, lorsqu’il constate l’existence d’irrégularités, d’en apprécier l’importance et les conséquences, après avoir vérifié que les irrégularités dont se prévalent les parties sont de celles qu’elles peuvent, eu égard à l’exigence de loyauté des relations contractuelles, invoquer devant lui […] » visait justement à éviter.

Conjuguée avec le contrôle pour le moins timide que le juge semble exercer sur le caractère réellement excessif de la durée retenue, une telle approche peut légitimement inquiéter les titulaires de délégations de service public, qui sont potentiellement nombreux à pouvoir se voir opposer des mesures de résiliations unilatérales fondées sur un tel motif.

Reste que cet arrêt qualifie la mesure de résiliation pour motif d’intérêt général : un tel procédé suppose en principe l’indemnisation du cocontractant de l’intégralité du préjudice qu’il subit du fait de cette mesure, soit a minima l’indemnisation du montant non amorti des investissements intéressant les biens de retour, et en principe celle du bénéfice manqué sur la durée restant à exécuter du contrat – mais il n’est pas impossible que le juge exclue cette dernière partie de l’indemnisation, en considérant que la durée du contrat étant illicite, le délégataire n’aurait pu exploiter le service pendant ce laps de temps.

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1. CE 21 mars 2011 commune de Béziers, req. n° 304806 : publié au Rec. CE.
2. « Les conventions de délégation de service public doivent être limitées dans leur durée. Celle-ci est déterminée par la collectivité en fonction des prestations demandées au délégataire. Lorsque les installations sont à la charge du délégataire, la convention de délégation tient compte, pour la détermination de sa durée, de la nature et du montant de l’investissement à réaliser et ne peut dans ce cas dépasser la durée normale d’amortissement des installations mises en œuvre […] ».
3. TA Melun 21 décembre 2012 SAPP, req. n° 1210077/8.
4. CE 11 août 2009 société Maison Comba, req. n° 303517 : mentionné aux tables du Rec. CE : « […] la durée normale d’amortissement des installations susceptible d’être retenue par une collectivité délégante, peut être la durée normalement attendue pour que le délégataire puisse couvrir ses charges d’exploitation et d’investissement, compte tenu des contraintes d’exploitation liées à la nature du service et des exigences du délégant, ainsi que de la prévision des tarifs payés par les usagers, que cette durée coïncide ou non avec la durée de l’amortissement comptable des investissements; qu’en jugeant que la durée normale des investissements ne saurait se réduire par principe à la durée comptable mais résultait d’un équilibre global entre les différents éléments précités, la cour administrative d’appel de Marseille, qui n’avait pas à vérifier que la convention de délégation contenait elle-même les justificatifs de sa durée, n’a donc pas commis d’erreur de droit […] »
5. CE 23 mai 2008 Musée Rodin, req. n° 306153.
6. CE 28 décembre 2009 commune de Béziers, req. n° 304802 : « […] il appartient alors au juge, lorsqu’il constate l’existence d’irrégularités, d’en apprécier l’importance et les conséquences, après avoir vérifié que les irrégularités dont se prévalent les parties sont de celles qu’elles peuvent, eu égard à l’exigence de loyauté des relations contractuelles, invoquer devant lui […] »

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