La notion d’offre anormalement basse n’est pas transposable aux contrats de concession

Catégorie

Contrats publics, Droit administratif général

Date

March 2020

Temps de lecture

4 minutes

CE 26 février 2020 Commune de Saint-Julien-en-Genevois, req. n° 436428 : mentionné dans les tables du recueil Lebon

La commune de Saint-Julien-en-Genevois (Haute-Savoie) a lancé une procédure de concession de services portant sur la mise à disposition, l’installation, la maintenance, l’entretien et l’exploitation commerciale d’abris voyageurs et de mobiliers urbains, par un avis d’appel public à la concurrence du 11 février 2019. Deux entreprises se sont portées candidates à l’attribution de ce contrat et ont été admises à concourir.

La commune a retenu la candidature de la société Girod médias, titulaire sortant. Son concurrent, la société Jean-Claude Decaux France (JCDecaux France), a saisi le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Grenoble afin que cette procédure soit annulée.

Par une ordonnance n° 1907101 du 15 novembre 2019, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a annulé la procédure de passation de la concession et enjoint à la commune de reprendre ladite procédure au stade de l’analyse des candidatures.

C’est à l’encontre de cette ordonnance que la commune de Saint-Julien-en-Genevois a formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat.

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Le juge des référés précontractuels du tribunal administratif de Toulouse a estimé qu’en l’absence d’indication des quantités maximales des mobiliers supplémentaires que la commune pourrait être amenée à acquérir auprès du titulaire, le critère n°8 intitulé « coût supplémentaire pour la commune », pondéré à hauteur de 34% et portant sur le prix unitaire de ces différents mobiliers, avait méconnu le principe de la définition préalable par l’autorité concédante de l’étendue de ses besoins et avait laissé à la commune une marge de choix discrétionnaire constitutive d’une méconnaissance de ses obligations de publicité et de mise en concurrence.

Toutefois, les juges du Palais Royal ont considéré que, si l’autorité concédante estime possible qu’il soit nécessaire au cours de l’exécution du contrat de commander des prestations supplémentaires, sans être en mesure d’en déterminer le volume exact au stade de la mise en concurrence initiale, il lui est possible de prévoir un critère d’appréciation des offres fondé sur la comparaison des prix unitaires proposés par les candidats pour ces prestations.

Comme le noteGilles Pélissier, rapporteur public, dans ses conclusions, l’article 36 du décret n° 2016-86 du 1er février 2016 relatif aux contrats de concession – aujourd’hui codifié à l’article R. 3135-1 du code de la commande publique – prévoit une telle évolution « sous la forme de clauses de réexamen ou d’options claires, précises et sans équivoque » qui « indiquent le champ d’application et la nature des modifications ou options envisageables, ainsi que les conditions dans lesquelles il peut en être fait usage ».

Le rapporteur public soulignait ainsi dans ces conclusions qu’ :

« il n’y a rien d’étonnant à ce qu’un contrat de concession, qui s’étale sur une certaine durée, en l’occurrence douze ans, envisage l’éventualité de modifications […]

le caractère éventuel de cette extension ne saurait faire obstacle, par lui-même, à ce que l’autorité concédante introduise un critère de sélection des offres portant sur le coût de sa réalisation »

Gilles Pélissier ne voyait ainsi pas « de raison de subordonner la régularité d’un critère fondé sur le prix unitaire à l’indication d’un volume de commande, par définition inconnu s’agissant d’une éventualité, ni même d’un maximum ».

Les 7ème et 2ème chambres réunies ont décidé d’annuler l’ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse sur ce fondement, puis de régler directement l’affaire au fond.

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Les juges du Palais Royal ont estimé que la procédure de publicité et de mise en concurrence conduite par la commune de Saint-Julien-en-Genevois n’était entachée d’aucune irrégularité.

L’intérêt de l’arrêt tient surtout l’examen d’un des moyens soulevés par la société JCDecaux, qui soutenait que l’offre présentée par la société Girod Médias, finalement retenue, était anormalement basse et qu’elle aurait dû donc être écartée par l’autorité concédante. Girod Médias proposait l’achat de mobiliers à 1 EUR sans limitation de leur quantité, alors que JCDecaux France proposait de n’en fournir gratuitement que trois, les suivants étant facturés 700 EUR.

Dans ses conclusions, le rapporteur public Gilles Pélissier soulignait que le Conseil d’Etat n’avais « jamais eu l’occasion de [se] prononcer sur l’opérance, et dans l’affirmative, l’application, de la notion d’offre anormalement basse en matière de concessions ».

Le rapporteur public, après avoir rappelé que le rejet d’une offre en raison de son caractère anormalement bas est prévu de longue date par les dispositions applicables aux marchés publics, soulignait que dans le cadre d’un contrat de concession, le prix versé par l’acheteur ne peut, par définition, qu’avoir un rôle marginal dans l’équilibre économique du contrat.

Gilles Pélissier proposait toutefois de transposer la notion d’offre anormalement basse au droit des concessions, en l’appliquant non pas au prix, mais à l’équilibre économique général du contrat, « la sous-évaluation manifeste qui caractérise l’offre anormalement basse portant sur le risque assumé par le concessionnaire au regard des prestations qu’il s’engage à accomplir ». Le rapporteur public jugeait même qu’une telle transposition n’était pas inutile, « dans la mesure où les objectifs qu’elle poursuit, à savoir de garantir la bonne exécution du contrat sont tout aussi prégnants lorsque c’est l’exploitation même d’un service qui est externalisée, voire davantage lorsque ce service est un service public dont la personne publique doit garantir à ses usagers la continuité et la qualité ».

Les 7ème et 2ème chambres réunis n’ont toutefois pas adopté ce raisonnement en jugeant, de manière assez lapidaire que :

« la prohibition des offres anormalement basses et le régime juridique relatif aux conditions dans lesquelles de telles offres peuvent être détectées et rejetées ne sont pas applicables, en tant que tels, aux concessions ».

Le moyen tiré du caractère anormalement bas d’une offre présentée par un candidat à l’attribution d’un contrat de concession ne peut donc être utilement soulevé devant le juge administratif.

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