La nullité d’un marché public liée à l’irrégularité de son contenu ne peut être écartée lorsqu’il porte atteinte au monopole du droit établi par l’article 54 de la loi du 31 décembre 1971

Catégorie

Contrats publics

Date

May 2012

Temps de lecture

3 minutes

CAA Lyon 22 mars 2012 société CTR, req. n° 11LY01404

Par une intéressante décision mêlant application du principe de loyauté contractuelle, dégagé par l’arrêt commune de Béziers[1], et appréciation du monopole de la réalisation des consultations juridiques, la Cour administrative d’appel de Lyon a apporté d’utiles précisions sur les irrégularités pouvant être invoquées par les parties à un contrat public pour en contester la validité.

Il s’agissait en l’espèce d’une convention par laquelle la société CTR s’était engagée à réaliser un audit consistant à vérifier le bien-fondé juridique du versement des cotisations sociales des Ateliers du Cheney (un établissement de services d’aide par le travail) au regard de la règlementation en vigueur, comme à l’assister dans les procédures permettant d’obtenir la restitution des indus. La société CTR était rémunérée par le biais d’un pourcentage sur les économies ainsi réalisées.

Dans un premier temps, la Cour exclut que l’établissement les Ateliers du Cheney puisse se prévaloir des irrégularités ayant affecté la passation de ce contrat pour en écarter l’application. Certes, l’établissement n’avait suivi aucune procédure de publicité et de mise en concurrence, puisqu’il avait conclu le contrat après démarchage direct de la société auprès de ses services, ce qui est susceptible de constituer en soi une grave atteinte aux principes fondamentaux de liberté d’accès aux marchés publics et d’égalité de traitement des candidats. Toutefois, dans le cadre d’un litige qui oppose les parties à un contrat, et non pas initié par un candidat ayant été empêché d’accéder au marché de ce fait, la logique d’appréciation des conséquences d’une telle irrégularité est différente. Ainsi, la Cour relève qu’aucun élément ne laisse supposer que le consentement de l’établissement aurait été vicié, ou qu’il n’aurait pas saisi la consistance de la prestation proposée par la société CTR. Cette solution s’inscrit pleinement dans la logique du principe de loyauté des relations contractuelles, notamment parce qu’un tel moyen aurait abouti à désengager l’établissement de ses obligations, alors qu’il a lui-même écarté toute procédure de publicité et de mise en concurrence pour le conclure.

Dans un second temps, la Cour estime toutefois que l’irrégularité du contenu du marché public ainsi conclu est d’une telle gravité que le prononcé de sa nullité ne peut pas être écarté. En effet, le marché confiait à la société CTR le soin de réaliser un audit juridique du bien-fondé des cotisations sociales appelées auprès de l’établissement, ce qui contrevient au monopole de l’exercice du droit prévu par l’article 54 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques. La société bénéficiait certes d’un agrément pour réaliser des consultations juridiques, mais seulement à titre accessoire de son activité principale. Cette méconnaissance d’un monopole légal affecte d’une telle irrégularité le contenu du contrat que le litige entre les parties ne peut pas être résolu sur le terrain contractuel.

En conséquence, la Cour fait application des principes de règlement financier de la nullité d’un contrat, lesquels supposent d’une part la prise en compte de l’enrichissement sans cause de l’administration, soit l’indemnisation des dépenses utiles exposées par le cocontractant au bénéfice de l’établissement ; et d’autre part la prise en compte éventuelle de la faute commise par l’administration pour indemniser le cocontractant du préjudice qu’il subit du fait de la nullité, notamment la perte du bénéfice escompté[2].

Au cas d’espèce, et c’est suffisamment rare pour être souligné, la Cour considère que l’établissement n’a commis aucune faute en concluant ce contrat, puisque sa nullité résulte non pas des conditions de sa passation, mais de son contenu, lequel a été déterminé par la société CTR, qui a proposé la signature d’un contrat-type rédigé par ses soins. D’autre part, la Cour ne retient au titre des dépenses utiles qu’une somme de 3 000 euros pour la réalisation de l’audit, ce qui représente une part négligeable des demandes de la société requérante (près de 200 000 euros).


[1]              CE 28 décembre 2009 commune de Béziers, req. n° 304802.

[2]              CE 10 avril 2008 société Decaux, req. n° 244950. 

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