La responsabilité du maître d’œuvre en cas de travaux supplémentaires

Catégorie

Contrats publics

Date

January 2018

Temps de lecture

3 minutes

CE 20 décembre 2017 Société Poulingue, req. n° 401747

La communauté d’agglomération du Grand Troyes a attribué en 2006 à la Société Poulingue un lot d’un marché de travaux conclu en vue de la construction d’un campus universitaire, pour un montant initial d’environ 900 000 EUR HT. La maîtrise d’œuvre de ce projet a été confiée à la société Lipsky-Rollet Architectes.

Après la réception de l’ouvrage, la société Poulingue a demandé au maître d’ouvrage le paiement des travaux supplémentaires à hauteur de 407 990 EUR TTC. Face à l’opposition du maître d’ouvrage, l’entrepreneur a saisi le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne qui a condamné le maître d’ouvrage au paiement desdits travaux supplémentaires à hauteur de 162 025 EUR TTC seulement et le maître d’œuvre à garantir le maitre d’ouvrage à hauteur de 95% de cette somme.

Par la suite, le maître d’œuvre a interjeté appel de ce jugement et a obtenu de la cour administrative d’appel de Nancy une décharge quasiment totale de sa condamnation, celui-ci n’étant plus tenu à garantir le maître d’ouvrage qu’à hauteur de 3 000 EUR environ. C’est contre cet arrêt que la communauté d’agglomération du Grand Troyes s’est pourvue en cassation.

Pour mémoire et tel que le rappelle le Conseil d’Etat dans la présente décision, «l’entrepreneur a le droit d’être indemnisé du coût des travaux supplémentaires indispensables à la réalisation d’un ouvrage dans les règles de l’art » 1)Principe établi par la jurisprudence :CE, 13 mai 2015, Sociétés Gallego et Temsol, req. n° 380863 ; CE 3, mars 2010, Société Presspali SPA, req. n° 304604 ; CAA de Marseille 3 octobre 2016 Société Sogev, req. n° 15MA01607.. La charge de cette indemnisation pèse en principe sur le maître d‘ouvrage.

Mais qu’en est-il en cas de faute du maître d’œuvre qui n’a pas anticipé l’exigence de tels travaux ?

Pour le Conseil d’Etat, l’appel en garantie du maître d’œuvre n’est alors possible que si la faute qu’il a commise en n’identifiant pas ces travaux est directement à l’origine du préjudice constitué par les travaux supplémentaires, soit dans les deux hypothèses suivantes :

► en cas de mauvaise évaluation initiale des travaux qui, s’ils avaient été connus en temps utiles par le maître d’ouvrage, auraient conduit celui-ci à renoncer au projet de construction ou à le modifier ;
► en cas de faute dans la conception de l’ouvrage ou dans le suivi de travaux conduisant à un coût de travaux supérieur à celui qui aurait dû être celui de l’ouvrage.

Alors, la garantie du maître d’œuvre jouera à hauteur de la différence entre le coût initial de l’ouvrage auquel s’ajoute le montant des travaux supplémentaires, et le cout de l’ouvrage si le maître d’œuvre n’avait pas commis sa faute 2)Sur le procédé de calcul de l’indemnisation : CE, 1er juillet 1970, Commune de Sainteny, req. n° 70820 72704 p. 451 ; CE, 14 novembre 1979, Novarina et autres et District du Grand Rodez, req. n° 01818 06703 07415, T. p. 799. Sur le procédé de calcul de l’indemnisation : CE, 1er juillet 1970, Commune de Sainteny, req. n° 70820 72704 p. 451 ; CE, 14 novembre 1979, Novarina et autres et District du Grand Rodez, req. n° 01818 06703 07415, T. p. 799.

Dans le cas d’espèce, la Haute juridiction a rejeté le pourvoi formé par la communauté d’agglomération du Grand Troyes aux motifs que « celle-ci n’établissait pas qu’elle aurait renoncé à la construction du campus universitaire ou aurait modifié le projet si elle avait su que des travaux supplémentaires étaient indispensables à sa réalisation dans les règles de l’art » et ne soutenait pas que « le montant des travaux indispensables à la réalisation de l’ouvrage dans les règles de l’art, y compris les travaux supplémentaires, aurait été supérieur au coût de la construction du campus universitaire si la société Lipsky-Rollet Architectes n’avait pas commis de fautes lors de la conception de cet ouvrage ».

En d’autres termes, même si le maître d’œuvre avait identifié lesdits travaux supplémentaires avant qu’ils ne soient réalisés, il n’est pas établi ni que le maître d’ouvrage aurait renoncé au projet ou que le coût de la construction aurait été inférieur à celui finalement supporté. L’idée est ainsi de ne tenir le maître d’œuvre responsable que si la faute commise est à l’origine exclusive du paiement des travaux supplémentaires, ce qui constitue un positionnement plutôt favorable à la maîtrise d’œuvre.

Cette décision a le mérite de clarifier les rapports entre l’entrepreneur, le maître d’ouvrage et le maître d’œuvre en cas de travaux supplémentaires.

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1. Principe établi par la jurisprudence :CE, 13 mai 2015, Sociétés Gallego et Temsol, req. n° 380863 ; CE 3, mars 2010, Société Presspali SPA, req. n° 304604 ; CAA de Marseille 3 octobre 2016 Société Sogev, req. n° 15MA01607.
2. Sur le procédé de calcul de l’indemnisation : CE, 1er juillet 1970, Commune de Sainteny, req. n° 70820 72704 p. 451 ; CE, 14 novembre 1979, Novarina et autres et District du Grand Rodez, req. n° 01818 06703 07415, T. p. 799.

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